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Cro-magnon au McDo

Cro-magnon au McDo © Mohammad Sanaei-unsplash

L’industrie agro-alimentaire a placé l’humain devant une débauche de nourriture que son cerveau peine à gérer. Et engraisse au passage le marché rentable des régimes voués à l’échec.


"Mal manger tue". En arrivera-t-on un jour à devoir coller des avertissements sur les petits plats que nous mijote avec amour (du chiffre d’affaires) l’industrie alimentaire ? L’obésité est devenue la deuxième cause de mortalité après le tabac, révèle une étude portant sur quatre millions de personnes dans 32 pays (1). Mais, avertissent les chercheurs, un “simple” surpoids entraîne déjà des risques de décès prématurés, en particulier chez les hommes et les jeunes. En 2030, 38% de l’humanité pourrait être en surpoids et 20% obèse (2). "Pourquoi, sachant que l’excès d’alimentation bouche nos artères, met sens dessus-dessous notre métabolisme et nous fait mourir avant l’heure, ne prenons-nous pas la ferme décision de la limiter ?", interroge Sébastien Bohler, docteur en neuroscience, dans un ouvrage récent consacré aux questions environnementales (3).

Du chasseur au consommateur

Pour comprendre ce qui guide nos estomacs modernes, il convient de nous pencher sur les parties archaïques de notre cerveau, décrypte le rédacteur en chef de Cerveau & psycho. À l’époque préhistorique, il n’y avait pas de fast-food au coin de la caverne. Chaque opportunité de se nourrir devait être mise à profit pour constituer des réserves. "La capacité à stocker de grande quantités de calories en un temps limité a probablement été le garant de la survie de nos ancêtres pendant des millions d’années."

Avoir les crocs, le ventre qui crie famine, mourir de faim… Bien que nous usions et abusions de ces expressions, la faim, la vraie, celle qui plonge dans un état d’hypoglycémie dangereux, a quasi disparu de nos sociétés occidentales où la nourriture abonde. Mais les mécanismes inconscients qui nous poussent à engloutir tout ce qui est comestible à portée de vue restent bien ancrés. "Nous traînons dans nos têtes des angoisses extrêmement archaïques : pendant des millénaires, les humains ont eu peur de ne pas trouver jour après jour les moyens de se nourrir. Jusqu’au milieu du vingtième siècle, le travail des champs, la chasse, la pêche, l’entretien d’animaux domestiques et la préparation des repas représentaient plus de 90% du temps de travail des humains", analyse la pédiatre Marie Thirion dans un ouvrage qui décortique les mécanismes de la faim (4). Après la Seconde Guerre mondiale, tracteurs et engrais envahissent les champs; la culture et l’élevage deviennent plus intensifs. Puis apparaissent les supermarchés dans les années 60, avec leurs rayons achalandés d’aliments riches, mous, trop sucrés ou salés.  Dans les années 50 une épicerie proposait en moy­enne 400 produits. Aujourd’hui, un supermarché en présente entre 6.000 et 10.000.

La faim des régimes

À deux doigts des barres chocolatées, les magazines vantant les derniers régimes à la mode se glissent sur les étals à l’approche de l’été. L’industrie alimentaire engraisse celle des régimes. Chez nos voisins français, le marché de la minceur représente 3 milliards d’euros. Pour se conformer aux corps de papiers glacés, les can­didats à l’amaigrissement s’infligent les plus grandes frustrations. Devenir svelte, c’est aussi se prouver qu’on maîtrise son corps. 

Mais le combat de la volonté contre les calories est peu équitable. Selon plusieurs études, 90% des personnes qui ont suivi un régime restrictif reprennent tous les kilos perdus, voire plus, à long terme (5)! "Pour l’organisme, toute perte de poids brutale est une menace. Notre corps est génétiquement armé jusqu’aux dents pour défendre ses réserves de graisse”, écrit Michel Desmurget. Dans un livre qui s’est vendu comme des petits pains (6), cet ancien obèse, docteur en neurosciences, explique comment il a enfin perdu du poids… en arrêtant les régimes. En mettant notre corps à l’épreuve, nous activons nos mécanismes ancestraux de survie. Exemple parmi d’autres, le taux de grhéline dans le sang, hormone qui stimule l’appétit, reste plus élevé deux ans après avoir fait régime (7).

Pour maigrir durablement, la perte de poids ne peut être qu’extrêmement progressive et viser des objectifs raisonnables. Et la meilleure recette pour y arriver est de prendre le temps de cuisiner, manger en pleine conscience, privilégier les produits frais et non transformés, bouger... Mais la responsabilité ne peut peser uniquement sur les épaules des individus. C’est aussi un choix politi­que, celui des limites que nous oserons poser à l’appétit insatiable de l’industrie agro-alimentaire.