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Faux pas jugé trop vite…

Faux pas jugé trop vite… © iStock

On voit de tout aujourd'hui, sur Internet. Des avis pertinents mais mal écrits, des propos creux mais parfaitement orthographiés, des blogueurs qui rédigent sans faute et des journalistes qui cumulent les coquilles. La rapidité avec laquelle les contenus sont publiés en ligne n'arrange rien.


On n'a jamais autant écrit. À l'heure des réseaux sociaux et des smartphones, nous sommes nombreux à pianoter sur nos claviers miniatures. Les blogueurs ont toujours le vent en poupe. E-mails, sms, tweets, sans même nous en rendre compte, nous ne cessons de générer des messages, tant dans le cadre privé que professionnel.

Bien sûr, il ne s'agit pas nécessairement de pages d'anthologie. On écrit pour transmettre des informations, échanger des nouvelles, exprimer une opinion… Et on écrit vite ! Sans prendre le temps de se relire, avec parfois un correcteur automatique facétieux qui modifie nos propos sans qu'on s'en aperçoive… Ce qui peut avoir un effet comique, mais tout dépend des circonstances.

Discrimination ?

Il faut dire que contrairement aux messages privés que l'on envoie à une seule personne, la prose que l'on rédige sur la Toile est visible par des centaines ou des milliers de lecteurs…

Sur les réseaux sociaux, les forums en ligne, les sites de rencontre ou de vente entre particuliers, les fautes d'accord et les erreurs de vocabulaire sont préjudiciables ! "On utilise souvent l'orthographe pour disqualifier une pensée. Sur Internet, on lit régulièrement des commentaires du genre : ‘Va d'abord soigner ton orthographe et après tu te permettras de donner ton avis.’ Donc on interdit à quelqu'un de s'exprimer à cause de son orthographe", dénoncent Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. (1)

Mais le français est une langue complexe, avec ses nombreux homophones, ses conjugaisons irrégulières, ses règles d'accord du participe… Certains se souviennent avoir beaucoup souffert sur les bancs de l'école pour acquérir une bonne orthographe... qui, aujourd'hui, fait leur fierté. Écrire correctement est pour beaucoup – particulièrement pour ceux qui y parviennent ? – une marque de supériorité intellectuelle.

Cas particuliers

Celui qui écrit mal peut donner l'impression qu'il ne maîtrise pas son sujet. Écrire sans faute est aussi considéré comme le signe d'une certaine rigueur, de sérieux et d'application.

Pourtant, on peut être intelligent, compétent, et avoir une mauvaise orthographe. C'est le cas par exemple des personnes dyslexiques. Aurore Ponsonnet, ancienne logopède devenue formatrice, confiait dernièrement au Figaro : "J'ai rééduqué des dyslexiques et des dysorthographiques super intel­ligents. L'erreur est de croire qu'intelligence et dyslexie sont liées. La dyslexie est un trouble isolé, qui n'a rien à voir avec le manque d'intelligence. Or, beaucoup continuent de faire le lien. J'ai rencontré des personnes qui ont bac +5 ou +7 dont le niveau d'écriture ne traduit pas leurs hautes études." (2)

Pas facile non plus quand le français n'est pas la langue maternelle. Il faut reconnaître que ses règles de grammaire sont souvent alambiquées, parfois arbitraires, et donc difficiles à maîtriser. Saluons plutôt l'effort des personnes étrangères ou de nos voisins flamands qui se risquent à écrire en français…

Favoriser l'échange

Faut-il déplorer cette situation ou se réjouir de voir les internautes, décomplexés, s'exprimer et participer aux débats publics, en dépit d'une orthographe parfois médiocre ?

Il y a vraisemblablement un effort à faire dans les deux sens. Quand les fautes sont tellement nombreuses ou énormes qu'elles en viennent à gêner la lecture ou la compréhension, tout le monde est perdant. Le langage est avant tout un outil de communication : il doit permettre l'échange d'idées, d'opinions, d'informations. Les conventions d'écriture sont là pour garantir l'intercompréhension.

D'un autre côté, sans pour autant abandonner la cause de la langue française ni céder à la paresse, peut-être faut-il aussi savoir "entendre" ce que chacun a à exprimer au-delà de ses compétences orthographiques…

Chacun son truc

Notre orthographe – comme notre façon de nous habiller – parle de nous, mais ne dit pas tout. Ce n'est qu'une aptitude parmi d'autres. Et comme le constate la correctrice Muriel Gilbert dans son délicieux livre Au bonheur des fautes, "vouloir que nul ne commette de fautes, ce serait comme interdire à tout un chacun de prendre des photos de vacances avec son téléphone portable sous prétexte que les pros font de meilleurs clichés". (3)

Il y a toujours eu des personnes dont l'orthographe n'était pas le fort, mais ceux-là écrivaient peu - avant que ne débarquent les e-mails, les sms et les réseaux sociaux. Internet a modifié les pratiques de l'écriture, et rend plus visibles les carences de certains en orthographe. Mais il y aura toujours aussi des amoureux de la langue française pour continuer à la faire vivre.