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Pesanteur autour du surpoids

Pesanteur autour du surpoids © iStock

"Notre société crée des obèses mais ne les supporte pas", disait le nutritionniste Jean Trémolières. Dernier signe de rejet à leur encontre : l'argument invoqué par une députée N-VA pour scinder la sécurité sociale belge. La Wallonie compterait plus d'obèses que la Flandre, et cette dernière ne voudrait plus en prendre soin.


Fidèle à son aversion pour une solidarité fédérale, la N-VA n'en est pas à sa première remise en cause d'une mise en commun des moyens, à l'échelle de la Belgique et plus largement au-delà du territoire flamand. Cette fois, la dénonciation de la députée N-VA, Yoleen Van Camp, participe dans le même temps du blâme grandissant à l'égard des plus épais d'entre nous. Ceux qui – au contraire du dirigeant du parti nationaliste flamand – ne peuvent se démarquer par une "fonte" de leur surpoids. Le parti affiche un chacun pour soi regrettable, sur un point qui dépasse largement la Wallonie ou la Flandre.

Ampleur mondiale

En effet, l'excès de poids de nos contemporains se généralise. L'Organisation mondiale de la Santé va jusqu'à parler d'épidémie. Elle alerte. Elle projette que sans renversement de la tendance, un quart des humains sur terre pourraient être obèses en 2045. L'obésité aurait d'ailleurs déjà triplé en 40 ans. Le surpoids doublé en 35 ans (1). Une tendance qui ne va pas sans une augmentation des risques pour la santé ; diabète de type 2 ou maladies cardio-vasculaires en tête. C'est un fait connu largement.

Mais, sans nier l'importance de prendre la problématique à bras le corps, d'autres acteurs de santé alertent aussi sur la culpabilisation qui en résulte. "On présente souvent l'obésité en termes de responsabilité individuelle, en focalisant sur les comportements et solutions individuels (excès alimentaires et alimentation malsaine à corriger par un changement d'habitudes)", observe l'association Question Santé (2). Les personnes vues comme trop grosses sont souvent considérées comme "coupables" de leur état, regrettent la Société scientifique de médecine générale (3). Le jugement dans le regard des autres s'ajoute alors à une "charge supplémentaire aux kilos".

Paradoxes pour le mangeur

Le mangeur contemporain doit pourtant faire face à des pressions bien contradictoires. Ne fût-ce qu'en circulant dans les allées de sa grande surface préférée, en déterminant son menu face à la télé dans l'attente du JT, il sera l'objet de prescriptions fatales pour sa taille. Impossible de suivre les invitations à la consommation qui l'assaillent tout en s'approchant de la taille 36 du mannequin qui les vante. Impossible par conséquent d'affirmer que l'individu porte seul la responsabilité de ses kilos. Bien d'autres éléments pèsent sur lui et mettent sa volonté à rude épreuve, voire le dépasse complètement. "Le stress, l'isolement, les emplois plus sédentaires qu'autrefois, les déplacements en voiture ou en bus plutôt qu'à pied ou à vélo car les trajets sont souvent longs, l'abondance de l'offre alimentaire, les caractéristiques génétiques et biologiques, les habitudes culturelles… sont autant de facteurs qui peuvent influencer le poids mais sur lesquels l'individu n'a pas vraiment de prise." (2)

Seul responsable ?

Agir sur les habitudes des personnes concernées, responsabiliser l'individu, c'est dans l'air du temps. Peut-être parce que les comportements individuels paraissent plus facilement modifiables que de revoir les orientations de notre société. Peut-être parce qu'on ne veut pas reconnaître la responsabilité collective à l'oeuvre dans cette tendance au surpoids, à l'heure d'un chacun pour soi grandissant. Peut-être parce que – plus cyniquement – cela arrangerait quelques marchands de consommer toujours davantage, voire de créer un nouveau marché axé sur la diététique. Peut-être parce que l'on préfère cultiver l'exception en valorisant une minceur atteinte à force de privations, que de s'inscrire dans des ambitions communes et viser un ordinaire agréable pour tous.