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(Re)penser l'amour

(Re)penser l'amour ©iStock

Tomber amoureux, s'engager avec une personne, fonder une famille, vieillir avec l'être aimé... Telles sont les étapes de vie auxquelles la plupart d'entre nous aspirons. En épousant ce modèle, le couple répond aux attentes sociétales. Mais qu'en est-il de celles et ceux qui n'y parviennent pas ? Qui ne s'y identifient pas ?


Enfants, nous avons construit un idéal de vie amoureuse façonné par les contes, les émissions télé, les films, notre entourage, etc. Victoire Touaillon, journaliste française, développe cet "idéal" sous le concept d'"escalateur des relations" dans son podcast Le cœur sur la table. Elle le définit comme "l'ensemble des attentes sociales selon lesquelles une relation romantique devrait suivre un ordre de marche et mener au mariage, à la parentalité, à la propriété, à la cohabitation".Un modèle que nous connaissons bien mais qui semble ne plus convenir à l'ère d'une révolution romantique où la multiplicité des formes d'amour se développe. 

Le couple, un modèle

"Il faut trouver quelqu'un et le garder. Faire en sorte de trouver l'homme ou la femme de sa vie". "Pour compléter quelque chose, pour arriver à affronter les déboires de la vie, il fallait absolument que j'ai quelqu'un d'autre avec moi pour y arriver". Ces propos, issus du podcast Le Cœur sur la Tablemoignent des raisons qui encouragent une vie conjugale épanouie, de la nécessité d'être en couple. Avec pour modèle prédominant, le couple hétérosexuel cisgenre, issu de l'héritage judéo-chrétien.

En Belgique, six personnes sur dix vivent en couple, quel que soit le type d'union (1). Une majorité de Belges partagent donc leur vie avec un ou une partenaire. La vie à deux est généralement synonyme d'amour, de tendresse, de sécurité financière et affective, de projets communs. Vivre avec une personne assure également une aide dans la maladie. Finalement, la vie de couple est rassurante, car elle répond aux attentes de la société. C'est ce qu'on pourrait appeler les "normes relationnelles". Mais de quelle façon ce modèle de vie pèse-t-il sur notre individualité, nos identités, nos choix, nos besoins ?

Si certains souscrivent sans peine au modèle et jouissent d'une longue vie conjugale sans déroger aux "règles", d'autres personnes n'y parviennent pas et sont rongées par un mal-être, un sentiment de culpabilité et d'échec. Aujourd'hui, des voix s'élèvent contre ce modèle prédominant. Incapables ou ne souhaitant pas souscrire à "cet idéal", des personnes subissent jugements, blâmes, agressions, humiliations... D'autres assument, au risque de choquer et de recevoir les foudres de l'entourage, voire de vivre une rupture avec le foyer familial.

Être casé(e) pour (sur)vivre ?

Briser le dogme du couple passe inévitablement par la nécessité de déconstruire les idées reçues du célibat. Une personne célibataire peut être confrontée à une pression sociale plus ou moins importante de la part de son entourage. C'est comme si le célibat se confondait à un état de transit. Le ou la célibataire serait dans la "salle d'attente du bonheur", en attente de "la voie à suivre". La pression est souvent plus importante pour les femmes et davantage encore une fois la trentaine passée. "Attention, tu vas terminer vieille fille à chats", "Il serait temps de te caser avant que tes ovaires ne soient périmés", "T'es trop égoïste en fait !". Erika Flahaut, sociologue et auteure de l'ouvrage Une vie à soi. Nouvelles formes de solitude au féminin, démontre historiquement l'enjeu du mariage pour les femmes : source de sécurité financière, le rôle procréateur assigné par la société...

Bien que les obstacles financiers concernent les deux sexes, nous savons qu'il existe des inégalités salariales entre hommes et femmes. Les femmes ont un revenu personnel qui équivaut à 70% de celui des hommes (2). La précarité concerne davantage les femmes. Leurs rôles assignés aux soins (de la maison, des enfants, du compagnon et de sa carrière...) influencent les choix de carrière, le temps de travail partiel, etc. Résultats : moins de revenus et moins d'autonomie.

Détachées des pressions sociales et financières, les personnes qui ont fait le choix d’être seules louent pourtant les bienfaits psychologiques du célibat : il offre la possibilité de se concentrer sur ses envies et ses besoins, de se reconnecter à soi, d'être plus disponible pour son entourage. Il garantit un sentiment de liberté.

D'aucuns penseront qu'une vie sans amour ne vaut pas la peine d'être vécue. Alors le célibat, très peu pour eux. Victoire Touaillon revient sur la priorité absolue que de nombreuses personnes donnent au couple, au détriment des autres relations affectives (amicales et familiales). Pourtant, ces dernières peuvent également répondre à notre besoin fondamental d'aimer et d'être aimé. 

Si l'amour est universel, il se vit de manière singulière. Il ne s'agit pas de dévaloriser le modèle "classique" du couple mais d'élargir la vision des façons d'aimer, de vivre une vie romantique ou non et d'entrevoir une politique sociale en phase avec les nouvelles pensées de l'amour.


1) "La Saint-Valentin en chiffres : six Belges sur dix vivent en cou-ple", census2011.be

(2) "Inégalités de revenu entre femmes et hommes : une inéga-lité persistante", F. Ghesquière, inégalités.be, mars 2020.