Politiques de santé

Lever le tabou de la rémunération des médecins

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L'existence de grandes inégalités salariales entre spécialistes est un des problèmes à l'origine de la réflexion que souhaite engager la MC sur le ode de rémunération des médecins (c)Belpress
L'existence de grandes inégalités salariales entre spécialistes est un des problèmes à l'origine de la réflexion que souhaite engager la MC sur le ode de rémunération des médecins (c)Belpress
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

"Il est temps d’ouvrir le débat car le système actuel a atteint ses limites, lance d'emblée Élisabeth Degryse, Vice-Présidente de la MC. Le modèle de financement de la médecine à l'acte incite à une course à la consommation de prestations. À l'inverse, il prive les hôpitaux et les médecins de revenus lorsque les soins sont suspendus ou ralentis, comme on le vit depuis un an", résume Elisabeth Degryse. Qui enchaîne : "La question fondamentale qui nous anime, en tant que représentants des patients et cogestionnaires de l'assurance soins de santé, est de savoir comment maintenir la qualité de nos soins de santé à un niveau élevé tout en restant abordable et accessible, grâce à une solidarité mutuelle."

Les revenus en question

Le manque de transparence sur les revenus des médecins spécialistes et sur le système actuel de financement des hôpitaux contribue à la nécessité d'ouvrir le débat. "Les médecins hospitaliers versent une part de leurs revenus à l'hôpital mais on manque d'informations précises, et il existe de grandes variations selon les hôpitaux, regrette Elisabeth Degryse. On ne dispose pas non plus de données sur les suppléments d'honoraires demandés aux patients qui consultent des médecins non conventionnés à l'hôpital ou en privé."
Pour la MC, la demande de transparence est légitimée par le fait qu'une part importante des honoraires des médecins est payée par la sécurité sociale. Cela représente environ 30% des dépenses en soins de santé (9 sur 30 milliards d’euros). Les patients ont également le droit d'obtenir des informations correctes sur ce que leur coûtent les consultations médicales et les prestations de soins.

L'existence de grandes inégalités salariales entre médecins est aussi à l'origine de la réflexion que souhaite engager la MC. Entre le revenu moyen le plus bas et le plus élevé, la différence va de un à cinq, comme le montre un rapport du Centre fédéral d'expertise en soins de santé (KCE) en 2012 (1). En haut du classement par spécialité, on trouve la néphrologie, la biologie clinique, la radiologie ou la neurochirurgie. En bas, la médecine d’urgence, la gériatrie, la pédiatrie, la psychiatrie ou la neurologie. Les différences Nord-Sud sont grandes également, à l'avantage des spécialistes qui pratiquent en Flandre (2). "Dans la nomenclature qui fixe les honoraires, il existe un fort déséquilibre entre les actes techniques, très rémunérateurs, et les actes intellectuels (consultations), qui le sont beaucoup moins, convient la Vice-Présidente de la MC. Il faudrait aussi introduire une indemnité pour les tâches administratives qui pèsent sur les médecins hospitaliers. Et les prestations de certaines spécialités doivent  être revalorisées pour attirer davantage les futurs médecins."

La diminution du nombre de médecins hospitaliers entièrement conventionnés et la spirale des suppléments d'honoraires représentent une autre source d'inquiétude. "En 2019, plus de 60% des gynécologues, dermatologues ou ophtalmologues n’étaient pas conventionnés, contre 90% des médecins généralistes ou des pneumologues", s'émeut Elisabeth Degryse. Et si l'on sélectionne les prestataires actifs en ambulatoire, la réalité est encore plus sombre, comme l'a montré une récente étude de l'Agence mutualiste (3). Ce sont près de 80% des gynécoloques "actifs" qui ne sont pas conventionnés. Globalement, seules 44% des consultations des médecins spécialistes sont réalisées par des prestataires conventionnés. "Tout cela constitue une menace pour l'accessibilité des soins, au détriment des personnes les plus vulnérables."

Une échelle de revenus plus équitable

La MC suggère la mise en place d'une échelle de revenus plus équitable, sur la base de critères objectifs comme la pénibilité, le travail de nuit, la flexibilité, la responsabilité légale, les tâches de coordination… "Dans ce système qui existe notamment dans les pays scandinaves, un médecin pourra gagner maximum deux fois plus qu’un autre médecin, à temps de travail équivalent", explique Elisabeth Degryse. On pourrait considérer que le revenu standard d'un médecin à temps plein correspond à 145.000 euros bruts par an. De la sorte, le revenu maximum serait fixé à 290.000 euros, ce qui correspond à peu près au salaire de notre Premier ministre. "Cela résout également le problème de l'insécurité tarifaire pour le patient et des suppléments d'honoraires car ce système exclut de les demander."
La MC présente sa proposition comme "une pièce à casser", dans une dynamique constructive, alors que la réforme de la nomenclature fait l'objet de discussions au sein de l'Inami. Du côté des syndicats médicaux, même si les chiffres avancés et comparaisons avec les revenus de responsables politiques ou hauts fonctionnaires dérangent, le recalibrage des prestations médicales et la limitation de certains honoraires médicaux ne semblent pas un tabou. À suivre donc…


(1) Manuel pour une tarification des interventions hospitalières basée sur les coûts, KCE Reports 178A, 2012, kce.fgov.be
(2) En 2010, le salaire brut annuel du néphrologue actif en Flandre s'élevait à 636.284 euros, soit 2,8 fois plus que le néphrologue exerçant en Wallonie.
(3) Volume d’activité ambulatoire selon le conventionnement, Agence intermutualiste, octobre 2020, aim-ima.be

Seules 44% des consultations des médecins spécialistes sont réalisées par des prestataires conventionnés.