Politiques de santé

Pas tous égaux face à la santé        

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Julien Marteleur

Julien Marteleur

Réduire de 25 %, d'ici 2030, l'écart de santé entre les personnes ayant la plus grande et la plus petite espérance de vie en bonne santé : c'est l'un des objectifs ambitieux de l'accord de gouvernement Vivaldi. En attendant, les inégalités socio-économiques continuent de rendre malade et de tuer les couches les plus défavorisées de notre société. C'est le constat principal d'une vaste étude de la MC publiée récemment, qui a compilé les données de ses 4,5 millions de membres répartis en 20.000 quartiers sur le territoire belge. Une analyse qui offre une vision précise du lien entre revenu et santé.

Dès le berceau
Pour mener ces travaux à grande échelle, les chercheurs de la MC ont réparti ces 20.000 quartiers en dix catégories basées sur le revenu fiscal médian (d'après les données de Statbel, l’office statistique du gouvernement). Les 4,5 millions de membres de la MC ont été classés, en fonction de leur adresse, dans l’une de ces dix catégories, afin de distinguer les membres résidant dans des quartiers plus défavorisés ou plus aisés. Les chercheurs ont ensuite croisé ces catégories avec un certain nombre d’indicateurs en matière de santé et de recours aux  soins.
Les résultats sont alarmants : les personnes vivant dans les quartiers pauvres ont 80 % de plus de risques de mourir dans l’année - toutes causes de santé confondues - que celles vivant dans les quartiers les plus riches. Elles sont également plus à risque de développer diverses maladies chroniques, comme le diabète ou l'hypertension, ou de reporter des soins considérés comme élémentaires. "Le problème avec les inégalités de santé, commente Sarah Missinne, chercheuse au sein de l'Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale, c'est qu'elles vous marquent dès la naissance et vous accompagnent généralement tout au long de votre vie." En Région bruxelloise, près d'un enfant sur 5 (19 %) naît dans un ménage sans revenu de travail. Ces enfants courent deux fois plus de risque de décéder dans la première année de leur vie. "Les futures mamans issues des couches moins favorisées sont elles-mêmes en moins bonne santé. Elles vont être plus susceptibles de reporter des soins périnataux ou de faire l'objet d'un suivi de grossesse en dents de scie." D'autres facteurs sont à prendre en compte, complète Sarah Missinne : "Certaines vivent dans des logements insalubres ou sont obligées de travailler quasiment jusqu'à terme pour joindre les deux bouts… Ce stress empêche ces futures mamans de vivre une grossesse sereinement." "On sait aussi que le tabagisme chez la future mère, un phénomène plus prévalent au sein des populations précarisées, peut faciliter un accouchement prématuré ou la naissance d'un bébé en sous-poids", ajoute Christian Massot, responsable du département ressources scientifiques à l'Observatoire de la santé du Hainaut, province la plus pauvre de Wallonie.

Les personnes vivant dans les quartiers pauvres ont 80 % de plus de risques de mourir dans l’année, toutes causes confondues...

Un cercle vicieux
Depuis des années, trouver une crèche ou une gardienne ONE pour son enfant est un casse-tête pour de nombreuses familles wallonnes ou bruxelloises. En 2020, on dénombrait en moyenne dans les deux régions 37 places disponibles pour 100 enfants âgés de 0 à 2,5 ans. La situation s'est depuis stabilisée mais "c'est encore trop peu et cela peut entretenir un cercle vicieux au sein des foyers plus défavorisés", insiste la chercheuse bruxelloise Sarah Missinne. D'abord parce que ces structures ont un coût, ensuite parce que certaines d'entre elles limitent, voire refusent la prise en charge d'enfants de parents au chômage. "Si l'on n'a pas de revenu, c'est déjà compliqué. Mais comment chercher un emploi par exemple si votre enfant est contraint de rester avec vous à la maison et que vous devez vous en occuper toute la journée ?" "C'est une réalité problématique car entrer en contact avec d'autres enfants du même âge – tous milieux confondus – est un élément de sociabilisation qui peut, dans certains cas, permettre de 'rattraper' de petites lacunes cognitives ou de santé", souligne  de son côté Christian Massot. Sarah Missinne préconise  les démarches développées depuis plusieurs années par le Canada : "Certaines  structures d'accueil proposent un encadrement plus large aux les jeunes parents, en offrant un soutien, des groupes de parole, etc. De manière générale, il faudrait réfléchir à des systèmes plus flexibles, avec la possibilité de prendre l'enfant en charge pour deux ou trois heures, pour permettre aux parents de 'souffler' ou de vaquer plus facilement à certaines occupations, comme une recherche d'emploi ou la participation à une formation professionnelle.".

 

Problèmes en cascade
Dans le Hainaut, 66 % des hommes et 52 % des femmes sont en surpoids ou en obésité. Une épidémie qui touche également les Hainuyers de plus en plus jeunes. En cause, deux "coupables" bien connus : la malbouffe et la sédentarité. "Les Hainuyers consomment trop peu des légumes et des fruits en suffisance en règle générale, mais cela se remarque surtout chez les personnes les moins favorisées. Même chose pour la proportion de personnes sédentaires. Les personnes moins instruites sont plus nombreuses à ne pas pratiquer d'activité physique", observe le responsable hainuyer.


En Province du Hainaut, entre 2010 et 2019, le nombre de personnes traitées pour diabète a augmenté de près de 30 %.


"S’il ne faut pas négliger l'importance des habitudes familiales qui se transmettent des parents aux enfants, la question de la qualité de l'offre alimentaire à coût réduit reste primordiale. Car il ne faut pas oublier que, lorsqu'on est dans une situation de précarité, chercher à mieux se nourrir n'est bien souvent pas la première priorité. Et cela se constate également pour les activités physiques dites 'de loisir', surtout si les offres de structures favorisant ce type d'activités sont limitées." 
"Dans certaines familles plus précarisées, comme on doit rogner financièrement sur tout, on a parfois l'impression de ne pas 'intégrer' sa progéniture au reste de la société, avance encore la chercheuse à l'Observatoire de la santé à Bruxelles. Cela peut paraître caricatural, mais si on n'a pas la possibilité d'offrir des vacances à ses enfants, on va peut-être être plus enclin à les emmener au fast-food pour leur faire plaisir, à être plus indulgents avec la consommation d'aliments comme des chips, des sucreries…" Un phénomène compensatoire qui, sur le long terme, peut conduire à d'importants problèmes de santé : en Province du Hainaut, entre 2010 et 2019, le nombre de personnes traitées pour diabète a augmenté de près de 30 %. Et les chercheurs voient apparaître de plus en plus de cas de diabète de type 2 chez de jeunes adultes, alors qu’auparavant cette maladie frappait les plus de 50 ans. Autre corollaire d'une consommation excessive de sucres rapides : les problèmes dentaires. "Même si le nombre de caries a tendance à diminuer chez les enfants, elles restent plus fréquentes dans les populations défavorisées qui négligent plus souvent les soins dentaires préventifs", regrette Christian Massot.    

 

Des soins trop souvent reportés
Les données de l'étude menée par la MC le confirment : les personnes vivant dans les zones les plus précarisées reportent davantage les soins préventifs. Elles ont, par exemple, un risque accru de 70 % de n’avoir eu aucun contact avec un dentiste pendant trois années consécutives, par rapport à celles qui vivent dans les quartiers les plus favorisés. A contrario, les personnes à faible revenu sont plus susceptibles (23 %) d’être admises dans un hôpital et de se retrouver aux urgences (39 %) que les habitants des quartiers les plus riches. L'état de santé se dégrade progressivement avec la baisse des revenus, ce qui accentue le besoin de soins lourds.
"Les médecins généralistes restent encore accessibles, grâce notamment au système des maisons médicales (souvent sur base d'un forfait), le système du tiers-payant et l'intervention majorée. Ce qu'on oublie, c'est que les personnes ont parfois des difficultés à payer les médicaments prescrits et ne se soignent  pas jusqu'au bout, précise Sarah Missinne. Quant aux spécialistes et dentistes, subsiste l'éternel enjeu de l'accessibilité."
Les inégalités de santé sont multi-factorielles : les conditions de travail, de logement, la qualité de l'environnement proche (en particulier, l’aménagement du territoire et les services qui y sont disponibles) ou de l'alimentation, la capacité à financer des loisirs, etc., sont autant d'éléments déterminants pour une vie en bonne santé. "La santé doit se retrouver au cœur de toutes les politiques, insiste Christian Massot. Les progrès de la médecine font que nous vivons globalement plus longtemps, mais pas forcément en bonne santé. C'est surtout vrai pour les personnes défavorisées, dont l'espérance de vie est déjà moins grande. Il faut privilégier des systèmes qui tendent à se soucier d'une bonne santé collective, en prenant en compte ces inégalités."