Politiques de santé

Quelle relève pour la médecine de garde ?

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© MAXPPP BELGAIMAGE
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Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

C'est la déontologie et la Loi belge qui obligent les médecins généralistes à assurer la continuité des soins à leurs patients. Concrètement, cela signifie qu'un patient doit pouvoir consulter un généraliste 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Mais le temps où chaque docteur restait disponible pour ses patients à toute heure du jour et de la nuit est révolu. Des rôles de gardes ont été organisés sur un même territoire entre confrères pour qu'ils puissent, chacun à son tour, prétendre à un peu de repos et de répit.

Ces collaborations spontanées se sont ensuite formalisées en 2002 avec l'apparition des Cercles de médecins généralistes. Leurs missions : développer une politique de santé locale en collaboration avec les autorités et organiser le service de garde sur une zone géographique étendue souvent à plusieurs communes. Sauf s'ils en sont dispensés en raison de leur âge ou de leur état de santé, tous les médecins du Cercle sont tenus de participer à la garde et d’appliquer durant celle-ci les tarifs établis avec l'Inami, même s'ils ne sont pas conventionnés.

"La garde est un service rendu à la population qui peut être parfois lourd, exprime le docteur Guy Delrée, président du Forum des associations de généralistes (FAG, qui regroupe et représente des Cercles de médecins). C'est pourquoi les Cercles proposent des solutions car les gardes 'à l'ancienne' ne sont plus possibles. Le médecin ne peut plus enchaîner des nuits interrompues et des journées de 12 heures de travail. Il se met en danger sur le plan professionnel et personnel." Raison pour laquelle les autorités font émerger des projets. Toutefois, ils ont du mal à aboutir…

Des postes de garde fixes

Les postes médicaux de garde (PMG) est certainement "la grande avancée". Dans un même local, plusieurs médecins généralistes assurent à tour de rôle des permanences. Financé par l'Inami, le projet a vu le jour en 2003. La consultation dans le local du poste de garde est privilégiée par le médecin parce qu’elle est économe en temps et en déplacements et qu’elle permet une meilleure qualité de prise en charge par rapport à une visite à domicile.

Si toutefois la mobilité du patient est contrariée, le médecin se déplacera. Certains centres proposent les services d'un chauffeur. Ce dernier peut soit véhiculer le patient à partir de son domicile, soit conduire le soignant au chevet du malade.

La création des postes médicaux de garde permet en un sens de soulager les urgences hospitalières inutilement fréquentées pour des affections bénignes, de revaloriser la médecine générale de première ligne et de sécuriser les gardes pour les médecins prestataires.

Mais attention, l'infrastructure n'a pas pour vocation le suivi des soins en médecine curative ou préventive qui reste la prérogative du médecin traitant. Ce dernier reçoit d'ailleurs de la part de son confrère de garde le compte-rendu de la visite d'un de ses patients.

1733 : le numéro unique

Gratuit, le numéro 1733 est un projet-pilote initié par le Service public fédéral (SPF) de la Santé publique depuis 2008. Au bout du fil, un opérateur professionnel est chargé de trier les appels. Si le coup de fil nécessite une intervention d'urgence à orientation hospitalière, le Smur est envoyé au domicile de l'appelant.

Par contre, si l'appel relève de la médecine générale, plusieurs solutions : diriger le patient vers le poste médical de garde le plus proche, envoyer un médecin généraliste de garde au domicile du patient qui ne peut pas se déplacer, ou reporter la visite du docteur au lendemain matin si l'appel n'exige pas une intervention rapide.

Mais à l'heure actuelle, seules quelques régions sont couvertes par le numéro 1733 : une partie de la province du Hainaut (Charleroi, La Louvière, Binche, Mons), une partie de celle de Namur (Chimay et Dinant), l'arrondissement de Bruges, toute la province du Luxembourg et la commune de Lierneux en province de Liège.

Les enjeux

"Le 1733 est la pierre angulaire, analyse Alex Peltier, coordinateur de la politique de santé à la Mutualité chrétienne (MC). C'est la première condition pour que la médecine de garde fonctionne en Belgique. Si ce numéro n'est pas généralisé, des systèmes différents vont coexister et continueront à brouiller le public."

Le principal défi du projet-pilote est son financement, ajoute-t-il. Les opérateurs chargés de trier les urgences des appels relevant de la médecine générale devront être recrutés et formés. Le noeud : les SPF de la Santé publique et de l'Intérieur doivent s'y atteler.

Pourquoi l'Intérieur ? Parce qu'il gère le numéro 112, celui des urgences qui, à terme, serait englobé par le 1733. Actuellement, du côté politique, ça "grippe"…

L’offre des postes médicaux de garde mériterait aussi d'être harmonisée, selon l'expert, et d'abord d'un point de vue géographique. Fin 2015, le pays comptera une soixantaine de postes mais avec une disparité criante entre le nord et le sud du pays. La Wallonie est bien couverte, la Flandre beaucoup moins.

Deuxièmement, les horaires d'ouverture de ces derniers devraient être clarifiés et, à l'avenir, être étendus aux nuits de la semaine. Si le nombre de médecins de garde présents peut varier selon l'environnement du poste médical de garde (urbain, rural), "il faut que l'Inami standardise les horaires pour plus de clarté pour la population".

Enfin, il y a lieu de clarifier aussi ce que les postes peuvent offrir aux patients. "La médecine de garde questionne les compétences du médecin généraliste. Quelques médecins ne reçoivent plus d'enfants en bas âge, par exemple, les parents ayant pris le pli de consulter un pédiatre. D'autres ne suturent plus, préférant renvoyer les blessés vers les services d'urgences… Il sera nécessaire de standardiser l’offre minimale des types de soins qui pourront être pris en charge pour éviter les aller-retour entre PMG et services d’urgences."

Désengorger les urgences

Les nouvelles localisations des PMG, leurs horaires harmonisés et la définition des soins qu'un patient pourra y recevoir amélioreront certainement le sort des services d'urgences. On l'évoque depuis longtemps : ils sont surchargés, particulièrement en ville.

Pourquoi ? De nombreux patients n'ont pas à proprement parler de médecin traitant et se soignent via des soins de santé à l'hôpital. C'est le cas de 34% des habitants de la Région bruxelloise, où les services d'urgences sont deux fois plus visités qu'ailleurs en Belgique. Cela peut aussi être culturel, certaines populations étant familiarisées au dispensaire. Ou financier car, excepté les bénéficiaires du tiers payant, les patients avancent le prix de la consultation chez le médecin, au contraire de l'hôpital qui envoie une facture ultérieurement.

"Attention, avertit Alex Peltier, certaines structures hospitalières se plaignent à raison d’avoir des services d'urgence véritablement encombrés. D'autres, par contre, font semblant parce que c'est tout de même financièrement intéressant de faire entrer quelques patients supplémentaires dans le circuit… La Mutualité chrétienne plaide pour qu'en 2016 une convention soit signée entre les PMG et les services d'urgences des hôpitaux. Les principes : ouvrir des PMG là où il n’y a pas encore de couverture, opérer un tri plus strict entre les PMG et les urgences lorsque ça se justifie, et encourager la collaboration des hôpitaux pour permettre aux postes de garde d'obtenir rapidement une analyse de sang, une radio…"

Avec ce dispositif, l'objectif est d'épargner le double subventionnement aujourd'hui opéré par l'Inami. Celui des postes médicaux de garde et des urgences qui, bien que leurs missions soient différentes, pratiquent encore les mêmes interventions.

L'aberration

L'accompagnement des Cercles de médecins généralistes a été transféré aux Régions suite à la 6e réforme de l'État. Mais la garde médicale reste une compétence fédérale. Comment communiquer entre les deux entités ?

Il incombe toujours aux Cercles de médecins généralistes d'organiser les gardes dans leurs zones géographiques. Comment vont-ils communiquer avec le Fédéral pour assurer cette mission ? Une hypothèse aurait été de passer par le Conseil fédéral des cercles de médecins généralistes. Logique, puisqu'il a pour missions, entre autres, de donner à la Ministre fédérale de la Santé des avis concernant les zones en pénurie de médecins, ou encore d'engager les Cercles dans une collaboration pour mettre en oeuvre le numéro d'appel unique (1733).

Nous contactons son président, le docteur Bernard Vercruysse, qui nous annonce la mort dudit Conseil, disparu suite à une décision ministérielle. "Les médecins généralistes expriment pourtant la volonté de conserver une structure de concertation néerlandophone et francophone."

Propos confirmé par Guy Delrée, président du Forum des associations de généralistes (FAG). "C'est dommage, c'était le seul lieu où la 'première ligne' prenait langue avec le Fédéral. C'est une aberration. La mission principale des Cercles de médecins généralistes est d'organiser la médecine de garde. Avec la perte du Conseil fédéral, on entame davantage le déficit de communication entre, d'un côté l'Inami et le SPF Santé publique, et de l'autre les cercles de médecins."

Guy Delrée pointe un autre enjeu : les alertes sanitaires. "Lors de l'épidémie de grippe A (H1N1), le Conseil fédéral avait insisté pour que les vaccinations se fassent en s'appuyant sur l'implantation des Cercles de médecins. Le SPF Santé publique, s'il ne voulait pas en entendre parler au début, a bien dû l'accepter. Moralité : on a bien géré la crise grâce à l'implantation des Cercles en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles."

Comment sera gérée une alerte à l'Ebola, à la grippe, aux pics d'ozones ou aux canicules ? Il n'y a plus d'interlocuteur au niveau fédéral pour y répondre…

Pour en savoir plus ...

Près de chez vous

Découvrez dans les pages régionales (pages 10 et 11) quels services de garde contacter en cas de souci de santé la nuit, les week-ends et jours fériés.