Droits sociaux

Invalidité : derrière les chiffres, des vies

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L'invalidité : une réalité partagée par des milliers de Belges. La MC est allée à la rencontre de 500 d'entre eux.<br />
© L Vidal BELPRESS
L'invalidité : une réalité partagée par des milliers de Belges. La MC est allée à la rencontre de 500 d'entre eux.
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Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

Il y a cinq ans, la vie de Patricia bascule lorsqu'on lui annonce un cancer du sein. Cette femme mariée et sans enfant a alors 45 ans. Commencent de longs et pénibles traitements en chimiothérapie puis en radiothérapie. Patricia subit aussi une mastectomie partielle du sein droit.

"Quand tout cela a été terminé, j'ai dit au médecin-conseil de la mutualité mon désir de reprendre mon travail d'infirmière à domicile indépendante. J'avais dû abandonner du jour au lendemain, neuf mois plus tôt. Il m'a dissuadée, me disant que je n'en aurais pas la force, mais je ne l'ai pas écouté car mon boulot c'était vraiment ma passion. J'ai tenu deux jours à un rythme pourtant réduit, épuisée de fatigue et anéantie par les douleurs aux bras. Et un mois après, je récidivais, raconte Patricia. Cette fois-là, j'ai subi une ablation totale du même sein et j'ai demandé à ce qu'on m'enlève aussi l'autre car le risque était très élevé que le cancer s'y étende par la suite".

Quand on lui demande si elle envisage une reconstruction mammaire, Patricia répond sans hésiter : "C'est hors de question. J'ai assez souffert comme cela après mes opérations d'autant que j'ai eu des complications. Je ne veux plus subir d'interventions chirurgicales qui ne seraient pas indispensables".

"Je ne sais pas comment font les gens qui doivent se contenter des seules indemnités d’invalide pour vivre"

Le coût d'une maison

En arrêtant de travailler, Patricia voit ses revenus dégringoler d'un coup net. "Le premier mois sans travail, on ne perçoit pas d'indemnité de la mutualité quand on est indépendant. Ce n'est déjà pas évident. Par la suite et depuis lors, je perçois une indemnité d'environ mille euros par mois, ce qui est très loin de ce que je gagnais. Heureusement, j'avais souscrit une assurance "revenus garantis pour indépendants". Mais je ne sais pas comment font les gens qui doivent se contenter des seules indemnités d’invalide pour vivre".

Et d'ajouter aussitôt : "Il est certain que sans l'aide financière d'un ami ni l'apport de ce revenu garanti, j'aurais été obligée de vendre ma maison car je n'avais pas les moyens de rembourser l'emprunt à la banque".

Aujourd'hui, Patricia estime être dans une situation financière relativement confortable au regard d'autres personnes en invalidité qu'elle connaît. "J'ai la chance d'avoir un conjoint qui travaille et gagne sa vie. Heureusement aussi, je n'ai pas de gros frais en soins ni en médicaments. Le plus coûteux, ce sont mes deux séances de kiné par semaine. Et dans l'ensemble, je vis de peu et n'ai pas de besoins importants qui nécessitent des dépenses".

Adapter l'esprit au corps

Après ce cancer et cette récidive, Patricia a bien dû se rendre à l'évidence qu'elle ne pourrait sans doute jamais plus reprendre son travail de soins à domicile. Un deuil difficile à faire. "Il n'y a pas de demi-mesure dans ce métier. Or, je ne suis plus capable de faire certains mouvements, de porter des cho ses lourdes, de conduire la voiture longtemps, ni même d'effectuer un travail léger s’il est répétitif ou prolongé… Cela provoque des douleurs et me fatigue vite. Je n'ai pas envie non plus d'avoir le syndrome du gros bras (une complication de la chirurgie du cancer du sein qui se manifeste par un bras fortement gonflé - NDLR). Et je n'ai pas le droit de faire prendre des risques aux patients parce que je ne peux plus assurer".

Accepter le fait de ne plus pouvoir s'activer comme avant a pris beaucoup de temps chez Patricia. "Je suis une hyperactive en fait. J'ai toujours été sportive et manuelle. Tout cela, c'est fini ou presque. Même vider un lave-vaisselle est une épreuve ! Heureusement, j'ai un mental très fort et je me dis que cela ne sert à rien de râler sur ce que je ne peux pas changer. J'ai appris à m'imposer des limites, à écouter mon corps, à adapter mon psychique à mon physique".

"Quand j'entends la ministre de la santé dire qu'il faut remettre les invalides au travail, cela me rend dingue."

Se rendre utile

Pour autant, Patricia ne reste pas sans activités. "Je m'occupe de ma voisine de 83 ans. Chaque jour, je passe deux à trois heures chez elle pour lui tenir compagnie, lui apporter son café et son repas... Je me rends utile et c'est aussi l'occasion de rencontrer les infirmières qui assurent ses soins. J'ai ainsi encore un pied dans mon ancien boulot".

Patricia s'investit aussi dans un groupe d'invalides mis sur pied par la Mutualité chrétienne du Hainaut oriental avec Altéo, le mouvement social des personnes malades, valides et handicapées. "J'ai reçu un jour un courrier de la MC m'invitant à participer à un séjour de vacances organisé pour les invalides. Ma première réaction a été le rejet car j'avais du mal à m'identifier à ce statut. Puis, sous le conseil de mon conjoint, j'ai lu attentivement le programme et je me suis inscrite. C'était vraiment un beau voyage et j'y ai rencontré de chouettes gens. J'aimerais créer un groupe d'invalides à Braine-le-Comte. C'est important de ne pas broyer du noir, seul chez soi. On a aussi un message à faire passer aux responsables politiques. Quand j'entends la ministre de la santé dire qu'il faut remettre les invalides au travail, cela me rend dingue. Quel employeur va prendre le risque de m'embaucher après deux cancers avec tous mes problèmes de santé ? Et n'est-ce pas pire pour l'invalide d'être brinquebalé d'un boulot à l'autre, de contrat en contrat, et de devoir à chaque fois se reconstruire, alors qu'en réalité, il n'est plus capable de répondre aux exigences du monde du travail ?", se demande-telle.


Une enquête à visage humain

Des dizaines de travailleurs sociaux et de volontaires sont allés à la rencontre des personnes en invalidité là où elles vivent. Pour appréhender leur vécu, se rendre compte de leurs dépenses et savoir si elles s'en sortent avec leurs indemnités. Pour entendre aussi ce qu'elles disent du retour éventuel au travail. Jacques Servais, volontaire à Altéo, nous livre son expérience d'interviewer.

Pour mener à bien sa vaste enquête sur la situation des invalides, la Mutualité chrétienne a fait le choix de l'échange de visu avec les personnes concernées. Elle a tout naturellement fait appel à des assistants sociaux travaillant en mutualité mais aussi à des volontaires actifs en son sein et chez Enéo et Altéo. Jacques Servais, qui a exercé sa carrière dans une institution pour personnes handicapées et siège dans les instances d'Altéo, a accepté cette mission avec beaucoup d'enthousiasme.

"Les personnes que j'ai contactées par téléphone ont accepté sans hésiter de me rencontrer pour participer à l'enquête. Il faut dire que l'envoi préalable d'un courrier de la mutualité les avait mis en confiance. Un monsieur, toutefois, avait d'abord refusé car il se demandait ce qu'on lui voulait. Après avoir demandé conseil à son médecin, il a fini par accepter, raconte Jacques. J'ai compris par la suite que ce monsieur était dans une détresse terrible. Il venait de perdre en quelques mois sa femme et son fils".

"J'ai rencontré la misère comme je ne pouvais même pas l'imaginer. Pas partout évidemment car il n'y a pas deux situations identiques"

Des réalités sociales parfois très dures

En moins de trois semaines (fin février-début mars 2016), Jacques a rencontré 11 personnes en invalidité à Verviers et dans les communes alentour. Ce qui l'a frappé avant tout ? "J'ai rencontré la misère comme je ne pouvais même pas l'imaginer. Pas partout évidemment car il n'y a pas deux situations identiques. Certains invalides vivent beaucoup mieux, dans des logements corrects, voire des maisons cossues avec des jardins qu'ils ont à cœur d'entretenir. Mais il y a des gens, près de nous, qui vivent dans des taudis. Il y a chez eux comme une résignation, un fatalisme. Ils disent d'ailleurs vivre avec ce qu'on leur donne et n'avoir pas d'autre choix. On est face à une véritable détresse psychologique aussi. Des gens n'ont pas de loisirs, pas d'amis. Ils passent tout leur temps devant la télévision".

Au-delà de ces situations extrêmes, la plupart des personnes rencontrées par Jacques lui ont confié avoir des difficultés à nouer les deux bouts et devoir renoncer à des soins. "Une dame m'a néanmoins expliqué qu'elle vit correctement. Mais elle concède que c'est grâce aux allocations familiales et à la pension alimentaire que lui verse son ex-mari pour ses enfants. Ceux qui sont propriétaires sont aussi plus favorisés".

Le travail ? Impossible

"Aucune des personnes que j'ai interviewées n'exerce un travail autorisé ou un bénévolat, assure Jacques. Deux ou trois confient qu'elles reprendraient bien un travail pour améliorer leurs revenus mais se disent réalistes : elles n'en sont plus capables et personne ne voudrait d'ailleurs les embaucher. Il faut reconnaitre que les personnes que j'ai vues ont largement plus de 50 ans. Plusieurs hommes, en particulier, ont laissé leur santé au travail après de durs labeurs. Par contre, une dame a évoqué avec moi l'idée de se rendre utile et d'occuper son temps libre par du volontariat auprès de la mutualité. J'espère qu'elle a concrétisé ce souhait".

Besoin de parler

"Partout, j'ai été bien accueilli, convient Jacques. Les personnes étaient à la fois surprises et contentes qu'on s'intéresse à elles. Certaines parlaient beaucoup et la conversation débordait du jeu des questions/réponses. Cette expérience humaine a été très riche pour moi. C'est comme cela que je conçois mon engagement à Altéo et à la Mutualité chrétienne : au plus près des personnes".

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