Sécurité sociale

Hommage à Jean Hallet, un artisan de la solidarité

6 min.
Jean Hallet, en 2013, lors d'une interview accordée à En Marche à propos du système de soins de santé et d'indemnités. Il en fut l'un des bâtisseurs acharnés, convaincu par la nécessité de protéger la population contre les accidents de la vie.(c) Matthieu Cornelis
Jean Hallet, en 2013, lors d'une interview accordée à En Marche à propos du système de soins de santé et d'indemnités. Il en fut l'un des bâtisseurs acharnés, convaincu par la nécessité de protéger la population contre les accidents de la vie.(c) Matthieu Cornelis
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

"La Mutualité chrétienne souhaite rendre hommage au grand homme qu’était Jean Hallet et le remercier de son immense contribution pour notre organisation, nos membres et aussi pour notre système de soins de santé, en faisant de l’accessibilité aux soins de qualité son combat, précise d'emblée Elisabeth Degryse, Vice-Présidente de la MC. Aujourd’hui, c’est aussi à sa famille et ses proches que vont nos pensées".

Un bâtisseur de l'assurance maladie-invalidité

Jean Hallet fut avant tout l’un des artisans discrets mais efficaces du système d’assurance soins de santé et indemnités et, en particulier, de la sécurité tarifaire que nous connaissons aujourd'hui grâce aux conventions signées entre prestataires de soins et mutualités. À l'occasion des 50 ans de la loi Leburton organisant "l'assurance maladie-invalidité", comme on l'appelait à l'époque, le dernier des négociateurs à pouvoir témoigner de cette importante réforme initiée par le ministre de la Prévoyance sociale de l'époque nous avait accordé une interview dans En Marche du 20 juin 2013 (lire l'interview complète sur enmarche.be). Jean Hallet avait livré la manière dont s'étaient déroulées les négociations politiques dans un climat social difficile.
"Avant 1963, les médecins fixaient librement leurs honoraires mais il n’y avait pas de rapport con venu entre les tarifs et les remboursements. Ceux-ci couraient derrière les honoraires qui augmentaient à leur tour. Pour arrêter cette spirale, il fallait que les médecins acceptent de négocier les tarifs avec les mutuelles", confiait-il. Jean Hallet nous parla ensuite de la longue grève des soins menée par les médecins durant l'hiver 64, en réaction à la loi Leburton. Participant aux négociations politiques qui ont suivi, Jean Hallet, à l'époque attaché de direction aux mutualités chrétiennes, a pu habilement convaincre les représentants des médecins de signer l'accord dit de la St-Jean qui confirme le rôle des mutualités et organise la participation des médecins au fonctionnement de l'Inami. "Depuis ce moment-là, une habitude de concertation s’est installée. Elle a permis, au fil du temps, de nouer des conventions. (..) Cet accord a aussi consolidé le rôle important des mutualités", rappelait-il fièrement.

Un homme de convictions

Si l'organisation et la régulation du système des soins de santé furent au coeur de la fonction de Jean Hallet, bien d'autres combats animaient cet homme de convictions : une sécurité sociale forte pour protéger contre les accidents de la vie, des pensions légales décentes, la reconnaissance de la vie associative par les pouvoirs publics, la défense du rôle fondamental des corps intermédiaires (mutuelles, syndicats) pour enrichir la démocratie, un enseignement d'excellence accessible à tous, un dialogue respectueux avec l’islam, une télévision publique qui privilégie une information pluraliste et de qualité...

Acteur impliqué dans de nombreuses sphères, Jean Hallet était soucieux de jeter des ponts entre le monde académique, l’enseignement, les médias, le milieu politique, les mutualités, le corps médical, les interlocuteurs sociaux... Dans toutes les organisations dans lesquelles il assurait des responsabilités – des man dats le plus souvent bénévoles, l'homme s'impliquait énormément, ne ménageant ni son temps ni son énergie. Il fut "un inspirateur, un con seiller et un ami fidèle", résume Étienne Michel, directeur général du Secrétariat général de l’enseignement catholique en communautés française et germanophone (Segec).

"Jean Hallet vivait par et pour ses convictions qui sont le fil d’Ariane à travers ses divers engagements", témoigne Jean-Jacques Viseur, actuel Président d'Enéo, ancien compagnon de route et ami de toujours de Jean Hallet. Il défendait une vision de la société inspirée par les valeurs chrétiennes (charité, solidarité, justice sociale…). "C’était un homme de foi, une foi en éveil exigeante, nourrie de lectures, de débats passionnés et d’interrogations permanentes, ajoute-t-il. Pénétré de la doctrine sociale de l’Église, il s’est nourri des grandes encycliques sociales, de Rerum novarum à Laudate si. Il menait régulièrement un groupe d’amis au monastère Saint-André à Clerlande pour étudier et analyser ensemble les textes et une vision progressiste du monde".

"C'était une personne exceptionnelle, qui imposait le respect par sa vision éclairée de la société, ses engagements et sa simplicité, renchérit Jean Hermesse, ancien secrétaire général de la MC, pensionné depuis un an, qui considère Jean Hallet comme son mentor. Il était assez introverti et pudique, ne prenait pas de place inutile. C'était un homme d'esprit, de réflexion, doté d’une remarquable capacité d’analyse. La transmission était l'une de ses valeurs cardinales".

Un homme de compromis

Reconnu pour ses qualités de visionnaire, Jean Hallet était aussi un homme de compromis, mais pas du compromis à tout prix. "Il était très ferme sur ses valeurs et oeuvrait pour l'intérêt général, assure Jean Hermesse. "Y-a-t-il une méthode propre à Jean Hallet, s'interroge Jean-Jacques Viseur. En tout cas, même ses adversaires les plus déterminés doivent reconnaître que dans notre pays toujours compliqué, il réussit, tout au long de sa carrière, à mener à bien les négociations les plus compliquées. Respectueux de l’autre dès lors que celui-ci était sincère, il forgeait aussi des accords équilibrés qu’il respectait scrupuleusement".

Malgré sa discrétion, Jean Hallet était écouté et respecté bien au-delà des milieux chrétiens et associatifs. Fin stratège, il avait acquis un pouvoir d'influence certain au sein de la société belge. "Réel guide, Jean Hallet laissera son empreinte auprès des femmes et des hommes qui, à la MC comme dans le monde associatif et politique, poursuivent aujourd’hui ses combats pour une société plus juste et solidaire", conclut Elisabeth Degryse.

Quelques éléments biographiques

Jean Hallet a été engagé comme attaché de direction à l’Alliance nationale des Mutualité chrétiennes (ANMC) en 1961. En 1964, il accède à la fonction de Secrétaire général francophone. En 1976, il est nommé Secrétaire général de l’ANMC, puis président en 1991. Un poste qu'il est le seul francophone à avoir occupé jusqu'ici, et qu'il a conservé jusqu'à son départ à la retraite fin 1993.

Il a poursuivi son engagement mutualiste au sein de l'Union chrétienne des pensionnés, le mouvement social des aînés de la MC (devenu Enéo). Il en a assuré la présidence, de 1994 à 2003 et s'est fortement impliqué dans les enjeux et débats portés par le mouvement.

Outre ses trente années passées aux plus hauts échelons de la MC, Jean Hallet a aussi assuré de nombreux mandats dans des organisations et institutions, notamment la présidence du conseil d'administration de l'UCL (de 1982 à 1997), de la RTBF (de 1973 à 1988), de la CGER ou encore du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (ex-Unia). Il a aussi assuré la Présidence du Cepess, le centre d'études du PSC (ex-cdH), jusqu'en 2002, et exercé celle du Comité directeur du service des investissements de l’enseignement catholique pendant plus de 30 ans. Précurseur en matière de formations pointues, Jean Hallet est aussi discrètement resté impliqué dans les instances de l'Institut des arts de diffusion (IAD) dont il était l'un des fondateurs éclairés en 1959.

En marge

Pendant trois ans, de 2010 à 2013, Jean Hallet a signé une chronique mensuelle dans En Marche sous le pseudonyme de Désiré Vihoux (1). L'occasion pour cet homme cultivé et engagé de porter un regard plein de sagesse sur l'actualité. Morceaux choisis.

À propos de la longue période sans gouvernement fédéral

"Quand, après les joutes électorales vient enfin le temps des analyses rationnelles, les conciliabules prennent I'allure d'un marathon interminable. Soit. Mais maintenant il faut conclure pour épargner des préjudices graves au pays. La leçon de cette histoire ne serait-elle pas qu'en notre démocratie éclatée, il n'est pas sage de différer les inéluctables compromis ?"
(7 octobre 2010).

À propos du rassemblement mondial des jeunes chrétiens à Madrid

"Chacun interprétera comme il l’entend la portée religieuse de cette massive célébration eucharistique autour du vieux Pape. Mais cette multitude de visages rayonnants, joyeux ou recueillis (..), n’est-elle pas le signe d’une recherche de sens ? Pourquoi ne pas y voir une volonté de dépassement et d’entente qui nous est adressée par celles et ceux qui construiront l’avenir ?"
(1er septembre 2011).

À propos de la relance depuis la crise financière de 2008

"La course à l'hyperconsommation entraine non seulement un gaspillage de ressources, mais engendre aussi d'insoutenables inégalités. C'est en voulant porter leurs profits à un niveau maximum que les banques se sont fourvoyées dans des spéculations qui ont débouché en 2008 sur une débâcle dont les conséquences ne sont pas encore effacées."
(2 février 2012).

À propos du vieillissement actif

"La solidarité entre les générations fait reposer sur les actifs non seulement le financement des pensions et des soins mais aussi, en famille, une aide dans la vie quotidienne lorsque s'aggravent les handicaps liés à l'âge. D'où, tant pour les aidants que pour les seniors, l'importance des services professionnels de soins à domicile (..). C'est finalement un heureux progrès lorsque le vieillis sement actif s'harmonise avec la solidarité entre générations."
(7 juin 2012).

À propos des pensions complémentaires

"Deux extraits du rapport de la Conférence nationale des pensions sont éloquents : 'Il est consacré quatre à cinq fois plus de moyens aux plans des cadres qu'à ceux des ouvriers (..)' et, plus loin : 'L'OCDE doute de l'opportunité de maintenir des incitants fiscaux coûteux, qui bénéficient principalement aux hauts revenus lesquels auraient de toute manière con stitué une épargne en vue de leur pension'. Nous sommes donc en présence d'inégalités flagrantes et trop discrètes..."
(5 décembre 2013).


(1) Pour la petite histoire, Jean Hallet avait repris le flambeau à Jean Daloze, ancien rédacteur en chef de La Libre Belgique, qui tenait la rubrique "en marge" depuis de nombreuses années sous la signature de Nemo.