Coronavirus

Covid-19 : des travailleurs du non marchand se racontent

3 min.
(c)CNE
(c)CNE
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

Juin 2020. La Belgique sort de ce qui allait être le premier confinement imposé à la population pour limiter la contamination du Covid-19. Petit à petit, nombre de travailleurs retournent sur leur lieu de travail. Avec enthousiasme, satisfaction, appréhension ou peur, c'est selon. Mais pour beaucoup d'autres, ce déconfinement ne signifie rien ou si peu. "Dans les maisons de repos et de soins, dans les secteurs de l'aide à la jeunesse, de l'aide à domicile, de l'éducation permanente, du handicap, des milieux d'accueil, etc., la crise sanitaire est durement ressentie. Envers et contre tout, les travailleurs et travailleuses doivent poursuivre leurs missions, avec des moyens dérisoires, avec peu ou pas de directives, en s'exposant au virus, en perdant souvent ce qu'il y a de plus essentiel : le lien avec leurs publics et le sens de leur travail", explique François Welter, directeur du Centre d’animation et de recherche en histoire ouvrière et populaire (Carhop), dans l'avant-propos du livre "Le non marchand à l'épreuve de la pandémie du Covid-19" réalisé avec la Centrale nationale des employés (CNE-CSC).
De mars à mai 2020, les médias rapportent la situation chaotique dans laquelle sont plongés les hôpitaux. Tous les soirs à 20 heures, les soignants sont applaudis par la population. D'autres travailleurs du non marchand sont aussi en première ligne de la lutte contre la pandémie. Mais ils se sentent oubliés de tous et aspirent à être entendus, reconnus, revalorisés.
Interpellée par ses délégués syndicaux, la CNE décide de créer un cadre qui permette de libérer les paroles individuelles et collectives. Elle fait appel au Carhop qui a une longue expérience d'animations de groupe et de récolte de témoignages. Des sociologues et conseillers à la Faculté ouverte de politique économique et sociale (Fopes) se joignent à cette ambitieuse démarche destinée à alimenter la mémoire collective sur ce vécu douloureux.
Dans les mois qui suivent, des interviews collectives se déroulent dans des MR-MRS et une douzaine de focus groupes s'organisent par sous-secteur. Cela ne se fait pas sans difficultés, le second confinement jouant les trouble-fêtes…

Des problèmes exacerbés

Les témoignages récoltés par le Carhop font l'objet de la première partie de l'ouvrage. Analysés, structurés et replacés dans leur contexte, les récits mettent en lumière les difficultés traversées par les travailleuses – très majoritaires dans ces secteurs – et les travailleurs durant les premiers mois de la crise sanitaire. Du déni de la gravité de la situation aux protocoles hyper stricts en passant par l'absence d'équipement de protection individuelle, le manque de moyens humains, les lacunes dans la gestion de la crise, la surcharge de travail, les dysfonctionnements en tous genres… les témoignages sont souvent durs, poignants, voire édifiants. Globalement, ils font état de conditions de travail dégradées et de rapports compliqués avec les directions, surtout dans les structures à but commercial. Bon nombre de témoins reconnaissent avoir dépassé leurs propres limites au-delà du raisonnable, avec des conséquences sur leur santé.
Pour les travailleurs, extérioriser ce qu'ils ont vécu a une fonction cathartique évidente. Peur, isolement, découragement, culpabilité… sont des mots qui résonnent à la lecture de leurs récits. Des sentiments exacerbés par un constat d'impuissance dans l'exercice du travail, voire une perte de sens qui peut aboutir à une remise en question du métier.

Retour à l'anormal

La seconde partie de l'ouvrage est le fruit d'é chan ges menés avec des permanents syndicaux du secteur non marchand à la CNE. Les constats sur la gestion et la sortie de la première vague sont amers. Et les réponses apportées par le politique au lendemain de la première vague jugées insuffisantes, faisant craindre "un retour à l'anormal". "Si les budgets dégagés permettent des avancées non négligeables du point de vue des conditions de travail et de salaire, la société post-covid réinventée, réorientée vers les fonctions collectives (..) semble encore loin. Car au-delà des accords sociaux du non marchand, les budgets renforçant les politiques sectorielles sont très faibles pour ne pas dire inexistants", regrettent les syndicalistes qui pointent aussi la nécessité de mieux contrôler et de mettre fin progressivement aux pratiques commerciales dans les fonctions collectives.
Au-delà du remarquable matériau historique qu'il représente, le livre édité par le Carhop fait oeuvre utile en rendant leur fierté et leur visibilité aux femmes et aux hommes du secteur social qui ont continué à s'investir pour leurs bénéficiaires, loin des projecteurs. Il montre aussi combien l'action collective est déterminante pour transformer la société.

>> "Le non marchand à l'épreuve de la pandémie du Covid-19 – Faire la lumière sur les travailleurs et travailleuses oubliés" • Carhop • 132 p. • Juillet 2022 • 15 € (10 € pour les affilés de la CNE) • Le livre peut être commandé au Carhop au 067 48 58 61 ou par mail à info@carhop.be

Du déni de la gravité de la situation aux protocoles hyper stricts en passant par l'absence d'équipement de protection individuelle, le manque de moyens humains, les lacunes dans la gestion de la crise, la surcharge de travail, les dysfonctionnements en tous genres… les témoignages sont souvent durs, poignants, voire édifiants.