Coronavirus

Mi Covid es tu Covid*

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(c)Soraya Soussi
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Soraya Soussi

Soraya Soussi

"Aujourd'hui, on inaugure la première journée de vaccination contre le Covid-19 dans ce village. Ce sont principalement des Haïtiens ou des personnes d’origine haïtienne (de la 2e ou 3e génération de migrants mais non reconnus comme Dominicains) sans-papiers qui sont présents. Il est quasi impossible d'avoir accès aux soins de santé dans leur situation. Alors, leur permettre d'obtenir le vaccin est une vraie victoire pour nous", s'enthousiasme Joseph Cherubin, président de Mosctha, le mouvement socioculturel des travailleurs haïtiens en République dominicaine (1). Pour rappel, Haïti et la République dominicaine sont situés sur la même île. Mais Haïti connaît depuis plusieurs décennies des crises politiques et catastrophes naturelles qui ont appauvri le pays et forcé de nombreux Haïtiens à migrer de l’autre côté de l’île, en République dominicaine, espérant trouver du travail. Après quarante ans d'existence, Mosctha a réussi à asseoir sa légitimé auprès du gouvernement dominicain et de la communauté qu'elle représente. Le gouvernement a fourni à Mosctha les vaccins Pfizer-BioNTech et Sinovac afin que la population haïtienne sans papiers ou en situation de grande précarité puisse être vaccinée contre le Covid-19.

Si l'organisation est une actrice forte de la société civile en République dominicaine, c'est sans compter sur les partenariats nationaux et internationaux qu'elle développe depuis des années. Parmi ses partenaires : We Social Movements (WSM) en Amérique latine et aux Caraïbes. Après avoir mené un travail de lobbying auprès du gouvernement dominicain pour obtenir les vaccins anti-Covid, Mosctha, avec le soutien de WSM, a lancé une campagne de sensibilisation, d'information et de vaccination auprès des populations les plus touchées par le Covid-19.


Se soigner : un luxe !

Il est midi. La délégation belge de WSM est arrivée au village de La Luisa Pietra, situé dans le sud de la République dominicaine. Sur un terrain, un bâtiment défraîchi, peint en bleu et blanc, fait office de centre sanitaire. Il est géré par Mosctha et ses équipes de soignants et promoteurs de la santé présents dans tous les bateyes haïtiens (campements où vivent les coupeurs de cannes à sucre) en lien avec l'organisation. Des dizaines de personnes, principalement des femmes et des enfants, attendent. En face, une camionnette a été aménagée en clinique mobile. Une mère et son enfant sont en consultation chez la médecin Mirsy Valbrune. "Lors de ces visites, nous nous rendons dans les bateyes avec des cliniques mobiles afin de permettre aux migrants haïtiens de bénéficier de consultations médicales de qualité. Outre les tests VIH, nous faisons également des consultations générales et donnons des médicaments de première nécessité, ainsi que les vaccins anti-Covid."

Mosctha a développé ses services auprès des travailleurs d’origine haïtienne en République dominicaine et des populations précarisées en développant des aides en fonction des besoins de la communauté, comme des programmes de sensibilisation et de soins autour du VIH, très présent au sein de cette population. "Une partie importante d'Haïtiennes sont des travailleuses sexuelles et ne sont nullement protégées, suivies, ni soignées, précise Gijs Justaert, coordinateur des programmes WSM en Amérique latine. La plupart des soins en République dominicaine sont effectués dans des cliniques ou des hôpitaux privés, très coûteux. Ceux fournis dans les structures publiques sont de piètre qualité." Et d'ajouter : "La pandémie a fait s'effondrer le système de santé en Amérique latine et aux Caraïbes. Énormément de personnes n'ont pas pu accéder à des soins. Les partenaires sociaux sur les territoires ont donc assuré des aides d'urgence."

Premier atout : la confiance des populations

Selon Mosctha, on compte près de 800.000 Haïtiens sans-papiers (500.000 selon le gouvernement), sur un peu moins de 11 millions d'habitants, soit près de 10% de la population totale. La précarité et le racisme auxquels les Haïtiens sans-papiers sont confrontés ont rompu la confiance de ces populations envers les autorités. "Ce n'était pas gagné. Les personnes que nous allions voir étaient très réticentes vis-à-vis des vaccins anti-Covid, généralement pour des questions religieuses, ou parce qu'elles n'ont pas confiance dans le gouvernement dominicain", confie Joseph Cherubin. Mosctha sert de relais entre les personnes qu'elle représente et le gouvernement. "Le fait d'être nous-mêmes Haïtiens permet d'instaurer une plus grande confiance avec les habitants des bateyes”, confirme la Dr Mirsy Valbrune. Cet atout d'appartenir à la même communauté permet d'adapter les actions mises en place par l'organisation. La campagne de sensibilisation et d'information sur le Covid-19 et les vaccins, a été menée en créole, en français et en espagnol. Des dispositifs humains et logistiques ont également été déployés afin d'atteindre toute la population visée. "Dans chaque batey, il y a plusieurs 'promoteurs et promotrices de santé' : ces membres de la communauté ont un rôle de relais. Le travail de sensibilisation et de promotion passe par eux, en amont. Ensuite, nous venons donner un avis médical et effectuer les consultations. Ces promoteurs et promotrices de santé forment un énorme réseau de bénévoles. Leur rôle est extrêmement précieux pour diffuser de l’information facilement et rapidement. Ce fut notamment très utile lors des premiers confinements dus à la pandémie."

Des défis communs

Vacciner les sans-papiers haïtiens bénéficiera à l’ensemble de la population dominicaine. Dans un contexte de pandémie, ce qui est valable pour une île l’est à l’échelle planétaire. Le virus ne connait pas de frontières. L'apparition récente du variant Omicron nous rappelle que, plus le SARS-Cov-2 (virus du Covid-19) circule, plus ses possibilités de mutation sont grandes – avec le risque de voir apparaitre un variant résistant aux vaccins actuels. Au-delà des enjeux éthiques et humanitaires, vacciner toute la planète est aussi un enjeu de santé publique mondiale.

La plupart des gouvernements, comme le gouvernement dominicain qui sont conscients de l'importance de travailler avec les organisations relais et de première ligne avec les populations difficilement "atteignables", doivent également disposer de suffisamment de vaccins, de matériel, de soutiens logistiques et humains (soignants, promoteur de santé, travailleurs sociaux, etc.) pour assurer la vaccination de toutes et tous. Pour Gijs Justaert, la solidarité internationale est le salut de la lutte contre le coronavirus. Selon le coordinateur de WSM Amérique latine, la pandémie est un exemple emblématique des défis qui se posent à l’ensemble de l’humanité : "Il est essentiel de développer des réseaux de partenaires à travers le monde, car les défis et luttes sont de plus en plus communs. La société civile internationale doit pouvoir porter un message politique fort. On le voit aujourd'hui, le Covid-19 pose des questions structurelles. Quel modèle sanitaire voulons-nous au niveau international ? Un monde où tout le monde a accès aux vaccins et, plus largement, à des soins de santé de qualité ? Ou une santé à deux vitesses ? Mais ce modèle-là ne fonctionne pas. On le voit bien avec la pandémie !"

Mosctha et WSM (lui-même soutenu par la MC) ont bien intégré ces enjeux : atteindre les populations les plus vulnérables ou oubliées comme les personnes précarisées (sans-papiers, sans-abri, travailleuses et travailleurs du sexe, etc.). Donner les moyens humains et financiers aux acteurs et actrices de première ligne, soutenir, à travers des campagnes, les associations actives et directement en lien avec les populations plus méfiantes ou difficilement atteignables pour diverses raisons sont des outils efficaces dans la lutte contre la pandémie dans chaque pays... y compris en Belgique.

*Mon Covid est ton Covid


(1) L'organisation offre divers services autour de la protection sociale et de l'assistance juridique afin que les Haïtiens puissent obtenir des papiers de résidence, mais aussi accéder à des soins de santé. L'organisation développe également des programmes d'économie sociale et des formations à divers métiers auprès des travailleurs haïtiens immigrés en République dominicaine et d'autres publics vulnérables.