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Élevage : des virus comme alternative aux antibiotiques         

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Dans le monde, la médecine vétérinaire consomme près de 100.000 tonnes d'antibiotiques chaque année. (c)AdobeStock
Dans le monde, la médecine vétérinaire consomme près de 100.000 tonnes d'antibiotiques chaque année. (c)AdobeStock
Julien Marteleur

Julien Marteleur

Imaginez "Star Wars", mais en version microscopique, avec des virus tireurs d'élite qui livrent une guerre impitoyable à des bactéries. C'est le scénario, bien réel, de la phagothérapie : une approche non médicamenteuse qui se fonde sur la destruction de bactéries pathogènes par des virus mortels pour ces dernières, mais incapables de nous infecter, nous les humains. Ces virus spécifiques sont appelés "bactériophages", ou "phages" pour les intimes.

Retour en grâce
Le procédé de la phagothérapie n’est pas neuf : il a été utilisé avec un succès dès les années 1920… jusqu’à l’avènement de la pénicilline et des antibiotiques. Ces médicaments ont permis de sauver de nombreuses vies, mais aujourd’hui le recours parfois abusif à ces traitements a conduit à l’émergence de bactéries ultrarésistantes. Et les phages opèrent donc un retour en grâce aux yeux de la communauté scientifique.
Des discussions sont en cours pour intégrer ces virus tueurs de bactéries dans la pharmacopée européenne. En attendant, leur usage reste interdit, sauf en dernier recours dans le cadre de la médecine humaine (ce qu'on appelle le "soin compassionnel"). "L’hôpital militaire Reine Astrid de Neder-over-Hembeek soigne de cette manière de nombreux grands brûlés infectés par des bactéries multirésistantes, et ce depuis plusieurs années, ce qui en fait un exemple en la matière", souligne le Pr Damien Thiry, virologue spécialisé dans les bactériophages. Également vétérinaire, Damien Thiry insiste sur l'intérêt de faire entrer la phagothérapie dans les fermes, où les antibiotiques sont encore largement utilisés pour traiter les animaux malades.

Les lignes bougent
"Dans le monde, la médecine vétérinaire consomme près de 100.000 tonnes d’antibiotiques chaque année, dont 10 à 15 % en Europe, déplore le Dr Cyrille N’Gassam, directeur de recherche chez Vésale Bioscience, société bruxelloise spécialisée dans la phagothérapie. Réduire cette utilisation chez les animaux, mieux la cibler, est une des manières d’enrayer le risque de voir des bactéries devenir multirésistantes. Dans un contexte 'One Health', où on se préoccupe en même temps de la santé animale, de la santé humaine et de la santé de notre environnement, cette stratégie prend tout son sens."
Grâce à une nouvelle législation européenne pour la médecine vétérinaire appliquée depuis 2019, les phages figurent désormais dans la section allouée aux nouvelles thérapies. Un plan stratégique, Vision 2024, vise quant à lui à faire baisser davantage la circulation d’antibiotiques dans le milieu agricole en Belgique, en particulier pour les porcs, les poulets et les veaux de boucherie, mais aussi chez les vaches laitières.

Thérapie sur mesure
"Dans les élevages touchés, par exemple, par des cas de mammite (une infection des mamelles, NDLR), l’idée est d’utiliser un cocktail de phages spécifiques par rapport à l’infection qui s’y déclare", indique de son côté Johan Quintens, scientifique en chef chez Vésale Bioscience. L’agent infectieux responsable des cas de mammites dans une exploitation n’étant pas nécessairement le même que celui actif dans une ferme voisine, les traitements seront différents. La phagothérapie prend donc la forme d’une thérapie personnalisée. Avantages de ce traitement "sur mesure" : on réduit  non seulement les risques liés à l’utilisation d’antibiotiques, mais également, on prévient d’une certaine manière les risques de voir apparaître des multirésistances… aux phages.