Médicaments

Maladie d’Alzheimer : Des médicaments à l'efficacité discutable
 

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Julien Marteleur

Julien Marteleur

En Belgique, depuis 2002, deux types de médicaments sont remboursés par l'assurance soins de santé obligatoire dans le cadre de la maladie d'Alzheimer: les inhibiteurs de cholinestérase et la mémantine. Pourtant, comme le précise le Centre belge d'information pharmacothérapeutique (CBIP), ces médicaments visant à atténuer et contrôler les symptômes de la maladie d'Alzheimer ont une efficacité limitée: il n'y a pas d'arguments véritablement con­cluants en faveur d'un effet neuroprotecteur ou préventif sur le développement de la maladie. Rien ne permet par ailleurs de prouver qu'ils améliorent la qualité de vie des patients, ni qu'ils postposent le placement en institution spécialisée. Ce que l'on sait par contre, c'est que ces substances présentent fréquemment de nombreux effets indésirables : nausées, diarrhées, incontinence urinaire… Dans son ouvrage Les médicaments en 100 questions (1), le professeur en pharmacie François Chast tirait déjà la sonnette d'alarme en affirmant que "… ces médicaments ne peuvent apporter que des résultats modestes et parfois si peu consistants que les effets indésirables fréquemment observés ruinent l’intérêt d’une trop rare stabilisation chez les patients." En France, ce type de médicaments n'est d'ailleurs plus remboursé par la sécurité sociale depuis août 2018.

Alzheimer en chiffres

Informée de la décision prise de l'autre côté de la frontière, la Mutualité chrétienne s'est penchée sur la question et a analysé l'évolution de l'utilisation des deux types de médicaments chez ses membres atteints de démence, qu'ils vivent chez eux ou en maison de repos. Pour ce faire, les responsables de l'étude se sont appuyés sur l'échelle de Katz, permettant de mesurer le degré de dépendance d'une personne vis-à-vis du monde extérieur (2). Résultat: sur les 103.801 membres MC concernés, 17% ont reçu un médicament de la maladie d'Alzheimer, la toute grande majorité (84%) étant âgée de plus de 75 ans. 64% des patients prennent ces médicaments de manière continue. Fait intéressant: des différences géographiques se marquent sans qu'elles puissent s'expliquer de manière rationnelle. En Flandre, le pourcentage d'utilisateurs s'élève à 19% contre 14% en Wallonie et moins de 11 % en Région bruxelloise. Avec également des variations importantes entre provinces. Par contre, si le nombre de cas de démence a augmenté de presque 30% depuis 2010, le pourcentage de patients ayant bénéficié d'un remboursement pour ces médicaments a quant à lui diminué de…quasiment 20%, ce qui semblerait indiquer que ce type de substances recueille de moins en moins les faveurs des spécialistes. Qu'à cela ne tienne, l'addition reste encore très salée: extrapolées, ces données indiquent qu'en 2018, l'Inami a consacré environ cinq millions d'euros à ces médicaments anti-Alzheimer !

Accompagner…autrement

Ces dépenses sont-elles réellement justifiées ? La question est légitime. "Il nous parait essentiel de veiller à ce que des ressources suffisantes soient fournies pour assurer un soutien humain et social à tous les patients atteints de démence, pas seulement ceux atteints de la maladie d'Alzheimer, déclare Jean Hermesse, secrétaire général de la MC. Il serait opportun de mettre partiellement fin au remboursement des inhibiteurs de cholinestérase et de la mémantine. Seuls les utilisateurs actuels continueraient d'être remboursés et la somme économisée pourrait par exemple être consacrée à l'accompagnement psychosocial des personnes atteintes de démence."

La MC a en tout cas joint le geste a la parole et entamé une procédure en ce sens auprès de la Commission de remboursement des médicaments (CRM). Au-delà de l'accompagnement des patients, les économies réalisées pourraient être également dévolues, comme Jean Hermesse le suggère, dans la recherche scientifique visant à trouver des alternatives aux médicaments actuels, notamment de nouveaux traitements pour lutter contre la maladie. Le professeur Chast, lui, insiste sur la nécessité de mettre en place des programmes  de recherche ou d'accompagnement et  propose, parmi d'autres pistes, que l'on mette en place des programmes qui encouragent plutôt la stimulation des facultés intellectuelles des patients: "La prévention au moyen d’une stimulation cognitive des patients par des personnes motivées – proches, animateurs sociaux ou professionnels de santé – et déployant une attitude positive, respectueuse, centrée sur la personne, semble en tout cas être un élément cardinal tant chez les malades restés à peu près autonomes que chez ceux qui ont été définitivement institutionnalisés." À quelques décennies du "tsunami de la vieillesse" prédit depuis plusieurs années par les projections démographiques et dont la vague prend constamment de la hauteur depuis 60 ans en Belgique, la piste semble intéressante à explorer.


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