Prévention

Contraception : où est le mâle?

6 min.
©Yasmine Gateau
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Soraya Soussi

Soraya Soussi

"Si la contraception masculine atteignait leniveau d’urgence du Covid-19, on aurait toute la panoplie des contraceptifs pour homme dans six mois !", plaisante (à moitié) le docteur Daniel Murillo, gynécologue au CHU Saint-Pierre à Bruxelles. Spécialisé dans la prise en charge de la fertilité du couple, Daniel Murillo s’est notamment formé, en France, à l’andrologie, discipline qui étudie le fonctionnement de l’appareil génital masculin. Pour lui, les enjeux de la contraception masculine sont multiples : partage de la charge mentale, équité dans la responsabilité, réduction des grossesses non désirées qui peuvent engendrer des situations dramatiques pour la femme (complications physiques, traumas psychologiques, décès...), etc. 

La contraception est assumée dans 67% des cas par les femmes contre 33% par les hommes (1). Moyen contraceptif le plus répandu et créée en 1957, la pilule a d'abord été testée sur des hommes, avant d'être distribuée à grande échelle dans les années 70... aux femmes (2). Aujourd'hui, il existe une dizaine de moyens contraceptifs féminins reconnus par les autorités de santé comme dispositif médical. En plus de la pilule (combinée ou micro-dosée), le panel s’étend à l'anneau vaginal, au patch contraceptif, au stérilet en cuivre ou hormonal (appelé aussi dispositif intra-utérin), à la piqûre trimestrielle de progestatifs, l'implant, le diaphragme ,la cape cervicale, le préservatif féminin interne, la stérilisation par la ligature ou l'obstruction des trompes, la pilule d'urgence et enfin, au stérilet en cuivre d'urgence (3). Côté masculin, en revanche, seulement deux méthodes sont reconnues : le préservatif masculin externe et la vasectomie (voir encadré).

Le Big pharma désintéressé

Pourtant, des alternatives aux contraceptifs masculins pourraient être développées, "mais il faudrait qu’il y ait des études qui soient financées pour étudier leur fiabilité avant de pouvoir les commercialiser à grande échelle", signale Louise-Marie Drouzie, animatrice au sein de l'association O'Yes (4), active dans l'éducation à la vie sexuelle et affective auprès des jeunes. Pour le Dr. Daniel Murillo, la pilule pour homme est un exemple emblématique de cette frilosité des firmes à investir dans ce domaine. "Cela fait des années qu’elle est en cours d’élaboration. En 2002, une étude importante (5) avait été entreprise en vue de sa commercialisation, avec la participation de la VUB. Cette étude a été avortée sur décision des firmes pharmaceutiques (Bayer et Organon) parce que cela ne les intéressait plus", regrette le gynécologue. Il imagine une certaine "logique commerciale" de la part des firmes : "Pourquoi aller faire des contraceptions masculines pour vendre moins de pilules féminines alors que c’est maintenant qu’on fait le plein de bénéfices puisque les recherches ont été rentabilisées ?" Les entreprises pharmaceutiques peuvent aussi se montrer réfractaires à innover par crainte de nouveaux risques sanitaires : "Les firmes ont peur des effets secondaires qu’on n’aurait pas prévus. D’autant que la législation est bien plus restrictive actuellement que dans les années 60 ou 70, lorsque la pilule pour femme a été mise sur le marché. Et d’ajouter : on leur a donné la pilule, sans savoir quels seraient les effets à long terme. Or aujourd’hui, certaines pilules, comme celle de la 4e génération, font débat quant aux problèmes thromboemboliques, qu’elles posent chez les femmes." Si les études étaient suffisamment financées, rétorque le Dr Murillo, cela permettrait de maitriser ce risque mais aussi d’innover pour réduire les effets secondaires non seulement des produits actuels mais éviter ces problèmes pour la pilule pour homme.

L’affaire des femmes !

En Belgique, selon les chiffres de l’INAMI, 11.000 hommes ont eu recours à la vasectomie, en 2018. Dix ans plus tôt, ils étaient 8.143. Et environ trois-quarts de ces hommes (âgés entre 35 et 40 ans) étaient Flamands. Dans certains pays ou régions, le rapport aux parties génitales n’est pas perçu de la même façon. "Les Flamands sont sans doute plus rationnels et pragmatiques dans leur contraception, et peut-être que l’information est plus claire en Flandre. Il y a aussi cette idée, chez les peuples latins (nous), que lorsqu’on touche à l’organe sexuel masculin, c’est identifié comme une atteinte à la virilité masculine", analyse le gynécologue. 

La culture influence sans conteste le débat sur le développement de la contraception masculine, sensible aux injonctions patriarcales. Les biais de genre au sein même de ces groupes pharmaceutiques sont également un frein à l’innovation. Selon Daniel Murillo, "les personnes à la tête des firmes sont des hommes de la cinquantaine. Pour eux, a priori, la contraception c’est une histoire de femmes !" 

La question de la reproduction concerne pourtant bien, tant l’homme que la femme. Or, très peu d’hommes connaissent leurs organes reproducteurs ou les incidences de leur santé sur le fœtus comme le souligne la sociologue américaine, Rene Almeling (6).

Si le Dr. Murillo cite l’urologue comme spécialiste référent pour traiter les questions génitales de l’homme, il n’y est, cependant pas, exclusivement dédié. Et pour Daniel Murillo, cette nuance pèse dans la balance pour atteindre l’égalité des sexes : "En Belgique, il n’existe quasi aucun andrologue, ni de lieux comme des plannings familiaux consacrés aux hommes, pour traiter les questions relatives à la fertilité, à la fécondité et à la contraception masculine." La responsabilité de l’homme dans la contraception a été évincée, selon le gynécologue. "On aévacué la responsabilité masculine mais maintenant, elle revient au sein des foyers parce que beaucoup de femmes, d’hommes se posent des questions quant à la prise en charge de la contraception, de ses effets sur le corps de la femme, de sa charge mentale, etc."

Quelles pistes de solutions ?

Coincée entre le désintérêt des industries pharmaceutiques, des politiques et celui d’une grande partie de la population, la contraception masculine peine à convaincre. En février dernier, l’association O’Yes co-organisait un colloque au titre évocateur : Focus sur les couilles"Une demande importante exprimée par les professionnels est d’être mieux formés sur ces questions. Le public également s’est montré en demande de ressources accessibles, d’avoir la possibilité d’être accompagné par un professionnel", conclut Louise-Marie Drouzie, animatrice et chargée de projet au sein de l’association. Sensibiliser les acteurs de première ligne doit permettre à la demande de s’exprimer, ajoute-t-elle, et dans la foulée, aux acteurs pharmaceutiques d’être moins frileux. 

"Tout est à créer concernant la santé sexuelle et reproductrice de l’homme. De la profession aux espaces dédiés à la gente masculine, à la sensibilisation, la formation, l’éducation dès l’école, etc.", renchérit le docteur Murillo. Daniel Murillo encourage la responsabilité partagée : "Pourquoi ne serait-on pas responsable, chacun et chacune, de notre fertilité ? Si je ne suis pas en couple et que je ne veux pas avoir d’accident ou imposer une grossesse non désirée lors de rapports épisodiques, je peux décider de maîtriser ma fertilité."

Historiquement, la pilule est un symbole de la libération de la femme et de maitrise sur son corps. Il ne s’agit pas d’inverser un rapport de force ou de domination en excluant la contraception féminine mais de coupler la contraception aux notions de respect de soi et de l’autre, du consentement, du dialogue entre partenaires (d’un soir ou d’une vie) et de poser des choix éclairés.


(1) "Contraception masculine : le tour de la question"Pierre Jassogne, Alter Echos, février 2020
(2) "La pilule qui capote", Dounia Salimi, Médor, 2020
(3) Pour en savoir plus : mescontraceptifs.be
(4) Plus d’infos : o-yes.be
(5) "La pilule qui capote", Dounia Salimi, Médor, 2020
(6) "Rene Almeling : ‘la plupart des hommes n’ont pas entendu parler de leurs organes reproducteursdepuis le lycée’", Laure Andrillon, Libération, décembre 2020

La contraception au masculin (1) :

Le préservatif externe : moyen contraceptif con -nu et très accessible, il s’enfile sur un pénis enérection avant la pénétration. Si la taille est adaptée, son utilisation empêche les spermatozoïdesd’accéder à l’ovocyte. De plus, il protège les partenaires des maladies sexuellement transmissibles (MST).

La vasectomie : technique de stérilisation très fiable et peu coûteuse. Le principe consiste à boucher ou sectionner les canaux déférents par lesquels les spermatozoïdes passent (allant des testicules à la prostate). Même si elle est techniquement réversible, la vasectomie est considérée comme définitive par les professionnels. Elle est donc plutôt conseillée aux hommes d’un certain âge, ayant déjà des enfants ou étant certains de ne jamais en vouloir.

Les méthodes thermiques : Le principe est d'augmenter la température des testicules qui réduit drastiquement la production de spermatozoïdes. Les plus connues : l'anneau thermique et le slip chauffant. Tous deux doivent être portés 15 heures par jour mais sont efficaces trois mois plus tard. Dans tous les cas, Daniel Murillo déconseille fortement de les utiliser sans l'accompagnement de son médecin. "Il peut y avoir des contre-indications. Avant de l’autoriser, le patient doit faire un examen, une anamnèse, un spermogramme."

D’autres moyens sont en cours d’étude, comme le vasalgel et le RISUG (Reversible Inhibition ofSperm Under Guidance). Ces méthodes consistent à injecter un gel dans les canaux déférents qui, pour le premier, empêcherait le passage des spermatozoïdes, et le second aurait des propriétés spermicides. Ils ont tous deux montré leur efficacité mais pas leur sécurité, fautes de moyens dans la recherche. 


(1) Cette liste n’est pas exhaustive. Pour en savoir plus,rendez-vous sur o-yes.be/contraception-dite-masculine.