Prévention

Les bienfaits d'une respiration retrouvée

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Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

"Ce sont les bébés qui respirent le mieux, observe Marc Plata, thérapeute respiratoire. C'est le ventre qui bouge chez eux, parce que c'est leur diaphragme qui travaille." Respirer est la première chose que nous faisons en venant au monde, c'est instinctif. Cependant, en grandissant, cette belle mécanique a tendance à s'enrayer. "Dans notre vie de tous les jours, tout va tellement vite que nous arrêtons de respirer correctement. Au niveau culturel aussi, on nous dit 'tiens-toi droit et rentre le ventre'. Ce faisant, on bloque son diaphragme et on ne respire plus à 100 %."
On distingue deux zones dans le poumon. D'une part, la trachée et les bronches servent à conduire l'air jusqu'aux alvéoles. De l'autre, les alvéoles assurent les échanges avec le système sanguin, notamment l'apport d'oxygène. Quand on respire superficiellement, l'air rentre dans les voies aériennes conductrices et ressort sans atteindre les alvéoles situées en périphérie, explique Vitalie Faoro, professeure de physiologie cardio-respiratoire à l'Université libre de Bruxelles. "C'est comme si on respirait en permanence avec un tuba : l'air rentre et sort sans réellement pouvoir participer aux échanges. C'est donc beaucoup moins efficace."

À partir du moment où l'on se concentre sur sa respiration, déjà, cela nous place dans une bulle, mais surtout, cela joue sur le système de régulation du stress.
Vitalie Faoro

Respirer de façon superficielle ne nous empêche pas de vivre. "Les poumons sont bien faits. Ils continuent à oxygéner notre système sanguin, même en altitude, lors d'exercice intense ou en cas de maladie. Ils peuvent fonctionner en dépit d'une zone bouchée par des glaires ou comprimée à la suite d'une déformation de la colonne vertébrale." Néanmoins une respiration superficielle est révélatrice d'un état de tension qui, s'il perdure, peut entraîner de graves problèmes de santé, poursuit la thérapeute. "De manière générale, la population active, du moins celle qui ne met rien en place pour sa santé, souffre probablement de stress chronique, affirme Vitalie Faoro. On peut le voir d'après l'apparition de symptômes tels que le burn-out, la dépression, mais aussi des maladies cardiaques, vasculaires… C'est une bombe à retardement."
Par ailleurs, pour des publics fragiles, comme les personnes atteintes de maladies respiratoires, les personnes obèses (dont la masse adipeuse de la cage thoracique et l’abdomen comprime les poumons) ou les personnes âgées, une respiration trop peu profonde peut s'avérer particulièrement délétère, précise la kinésithérapeute. Avec le vieillissement, par exemple, toutes les fonctions s'altèrent et l'on peut commencer à atteindre des limites respiratoires et voir apparaître une diminution de l'oxygène dans le sang.

La respiration consciente, pour calmer le stress

"D'un point de vue physiologique, le stress est un déséquilibre du système nerveux, précise Marc Plata. Le système nerveux fonctionne comme une voiture automatique, avec une pédale qui accélère et une pédale qui freine. Si vous avez accéléré pendant longtemps, il faut à un moment lever le pied pour rééquilibrer. Le stress devient chronique lorsqu'on est toujours en train d'appuyer sur l'accélérateur mais qu'on n'avance plus dans sa vie : c'est la voiture à l'arrêt avec le moteur qui tourne. À force, le moteur chauffe et explose. Cela se traduit par un burn-out : le système nerveux explose, et l'on n'est plus capable de rien."

On sait maintenant que le stress a un effet délétère sur le système immunitaire, complète Vitalie Faoro. En travaillant sur la respiration, on peut contrecarrer cela et prévenir une série de maladies infectieuses et inflammatoires. Il existe différents outils pour ce faire. Notamment la cohérence cardiaque, une technique facile à mettre en place chez tout un chacun (voir encadré ci-dessous). "C'est la magie du système respiratoire : il parvient à moduler le système nerveux en inhibant la voie orthosympathique (l'accélérateur), et en activant la voie parasympathique (le frein). À partir du moment où l'on se concentre sur sa respiration, déjà, cela nous place dans une bulle, mais surtout, cela joue sur la balance ortho-parasympathique, le système de régulation du stress", explique Vitalie Faoro. En adoptant consciemment un rythme respiratoire plus lent, régulier et plus profond, le corps envoie un message de calme vers les centres respiratoires et cardio-vasculaires situés dans le bulbe rachidien. Ce message va se refléter sur la fréquence cardiaque, qui s’apaise.

Une mécanique parfaite… mais à entretenir

"Il faut comprendre comment fonctionne la respiration pour pouvoir agir dessus", fait remarquer Marc Plata. Ce ne sont pas les poumons qui nous font respirer, mais nos muscles ! Et en particulier le diaphragme. "Les poumons, on peut se les représenter comme deux sacs, schématise le thérapeute. Ce sont les muscles attachés autour des poumons qui, quand le diaphragme se contracte, tirent les poumons vers le bas. Le diaphragme ressemble à une méduse. Lorsqu'il se contracte, il descend, tirant ainsi les poumons vers le bas. Puis lors de l’expiration, il se relâche, il se détend et les poumons reprennent leur forme initiale. Et automatiquement, l'air ressort. C'est une simple question de décompression, entre l'air extérieur et l'air qui se trouve dans les poumons. J'inspire, je crée une dépression, l'air rentre ; quand je relâche, l'air ressort pour qu'il y ait une égalité de pression entre l'intérieur et l'extérieur."

La respiration consciente va permettre de travailler sur l'amplitude respiratoire : "On prend le temps d'inspirer pour faire rentrer l'air dans nos poumons, et surtout d'expirer, parce que c'est alors qu'on se détend, qu'on expulse le CO2 de nos poumons, laissant ainsi la place à l’oxygène, détaille Marc Plata. Pour les personnes hypertendues, c'est primordial", affirme-t-il. L’hypertension est une pathologie cardio-vasculaire qui se traduit par un resserrement des artères, induisant une augmentation de la pression sanguine. "Plus on est relâché, plus nos artères le sont également, car tout autour des artères se trouvent des petites fibres musculaires qui vont comprimer les artères lorsque l'on est contracté."

Bouger pour muscler l'appareil respiratoire

L'évolution des habitudes de vie et de travail a également un impact négatif sur notre appareil respiratoire. Une position assise prolongée, par exemple, entraîne une courbure de la colonne vertébrale, qui s'accentue avec l'âge. "En plus d'atrophier les muscles du thorax qui permettent un certain maintien, cette posture défavorise une respiration harmonieuse dans toutes les zones du poumon. Ce n'est évidemment pas un facteur de mortalité directe, mais à petit feu, cela atténue la qualité de la respiration", avertit Vitalie Faoro.

Bien respirer, avec le bon rythme, connecte au moment présent, ouvre des portes et lève des barrières.
Marc Plata

"C'est pour cela que rester en mouvement tout au long de la vie est primordial, enchaîne Marc Plata, pour mettre en mouvement ces muscles qui permettent de continuer à ouvrir nos poumons." Plus la masse musculaire se réduit, plus on rencontre des difficultés au niveau respiratoire. Avec l'âge, les tissus élastiques perdent naturellement un peu de leur élasticité, le poumon se fibrose et devient moins fonctionnel. "Cette limitation est accentuée chez les personnes très sédentaires, souligne Vitalie Faoro. On commence à le découvrir seulement, car cela nécessite des études sur plusieurs générations, or nos ancêtres bougeaient beaucoup plus que nous. C'est un phénomène nouveau."
Pour prévenir ces problèmes, il faut donc veiller à maintenir une bonne posture, éviter de rester longtemps dans une même position, bref, bouger. Pas spécialement de façon intensive, mais régulièrement, et selon nos capacités. Pour les personnes qui rencontrent des difficultés à se déplacer, en fauteuil roulant par exemple, il existe d'ailleurs des outils conçus spécifiquement pour travailler le diaphragme, mentionne Marc Plata.

Outre ces bienfaits, pratiquer une activité physique régulière va également calmer le stress, la respiration et la balance ortho-parasympathique. Retrouver une respiration consciente et profonde, par le biais de certaines techniques ou d'exercices, influe aussi sur notre esprit et même notre perception de la vie, affirme le thérapeute. "Plus on est stressé, plus on a une vision 'en tunnel'. Bien respirer, avec le bon rythme, connecte au moment présent, ouvre des portes et lève des barrières."
"Avoir besoin de souffler" n'est pas une expression en l'air : bien respirer est essentiel pour l'organisme, mis à rude épreuve par le stress et une sédentarité excessive… et bon pour le moral !

La cohérence cardiaque, comment ça marche ?
De nombreuses techniques permettent de travailler la respiration : yoga, méditation, pleine conscience… La cohérence cardiaque est une méthode parmi d'autres. Elle consiste à respirer lentement, au rythme d'une respiration toutes les 10 secondes : 5 secondes pour l'inspiration et 5 seconde pour l'expiration. Il est recommandé de pratiquer la cohérence cardiaque pendant 5 minutes, trois fois par jour, matin, midi et soir. "Il a été démontré scientifiquement que ce rythme-là, maintenu pendant 5 minutes, permet d'équilibrer le système frein/accélérateur de notre système nerveux durant 4 à 6h. Donc en le répétant trois fois par jour, on peut maintenir cet équilibre toute la journée", explique Marc Plata, thérapeute respiratoire.
La cohérence cardiaque s'apprend, cela prend du temps. "Il ne suffit pas d'avoir compris le principe, il faut s'exercer de façon régulière. C'est à force de répétition qu'elle devient un automatisme. On peut ainsi revenir plus rapidement à une respiration bénéfique dès que l'on sent que l'on commence à se contracter."
Le terme cohérence cardiaque est un raccourci, précise Vitalie Faoro : "En réalité, c'est une technique respiratoire qui a une influence sur la fréquence cardiaque, qui va s'apaiser et devenir plus en harmonie avec la respiration. La fréquence cardiaque fluctue naturellement avec la respiration ; mais quand on est stressé, le coeur se met à battre indépendamment de la respiration. En respirant plus lentement, on permet à la fréquence cardiaque de reprendre un rythme physiologique et non plus induit par le stress."