Environnement

Quand l'environnement questionne

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© Bernd Jonkmanns_Laif_Reporters
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Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Noémie a eu un cancer du sein, soigné avec succès. Mais elle n'est pas tranquille pour l'avenir. Elle veut comprendre, pour sa fille et ses petits-enfants, d'où lui est venue cette maladie qui l'a tant tracassée. L'un des médecins consultés a plutôt une explication liée à l'hérédité, l'autre met l'accent sur son alimentation et son style de vie. Qui a raison ? Jean-Marc, lui, a travaillé pendant près de trente ans dans les couloirs du métro. Aujourd'hui pensionné, il a lu quelque part que la concentration en particules fines y était nettement plus importante qu' à l'air libre où elles sont brassées par le vent. Connaissant le long délai de déclenchement de la maladie, il craint de contracter, un jour, un cancer du poumon. Antoinette, elle, s'inquiète de la poussière dégagée par les travaux de démolition de la véranda de son voisin, qu'elle suspecte de contenir de l'amiante. Lequel se moque de ses appréhensions…

Il y a peu, Noémie, Jean-Marc et Antoinette ont pu rencontrer, avec près de 400 autres personnes, des spécialistes du cancer et du lien entre cette maladie et diverses formes de pollution (1). Ils les ont aussi entendus discourir, dans un langage simple, autour des facteurs de risque et des meilleures manières de s'en protéger. Avec quelles idées-clés ? D'abord, ce constat général : au stade actuel des connaissances, seulement 30 à 40% des cancers peuvent s'expliquer par des facteurs environnementaux. Ceux-ci, liés au style de vie, doivent toutefois s'entendre au sens très large.

Par ordre décroissant d'importance : tabac, obésité, alimentation trop pauvre en fruits et légumes, alcool, exposition au soleil, alimentation trop riche en sel et en viande rouge (grillée ou fumée) ou trop pauvre en fibres, etc. Et les polluants, alors ? "Ils existent bel et bien dans la genèse de certains cancers, et on a raison de s'en préoccuper, commente le Dr Jean-Benoît Burrion, de l'Institut Jules Bordet (Bruxelles), mais ceux-ci n'interviennent qu'à raison de 2 à 4 %". Il faut donc raison garder. Et, par exemple, ne pas se laisser affoler par certains gros titres qui, récemment encore,annonçaient que la crise de la dioxine (1999) avait entraîné 20.000 cancers féminins dans notre pays.

Des améliorations significatives

Plus généralement, qu'il s'agisse de cancers ou d'autres pathologies, la pollution est infiniment plus dévastatrice sur la santé dans les pays pauvres que chez nous. Un chiffre pour s'en convaincre : cuire des aliments dans un espace confiné et sans évacuation des fumées - comme des centaines de millions de ménages le font aux quatre coins du monde sur des foyers de fortune - revient à fumer environ 400 cigarettes par jour ! Autre prise de recul : en matière d'exposition aux polluants, les pays développés connaissent une série d'évolutions positives : l'amiante, source de divers cancers de l'appareil respiratoire (plèvre, bronches, larynx) (2), a entamé son bannissement des circuits commerciaux européens en 1998 ; la pollution de l'air dans les villes de l'Union européenne est plutôt en baisse ; les polluants chimiques les plus redoutables, surnommés autrefois "les 12 salopards" (ils sont aujourd'hui 21), sont sous haute surveillance, etc.

Il n'empêche. En dépit de ces bonnes nouvelles, le cancer reste une maladie aux causes mystérieuses. Les 60 à 65 % de cancers non expliqués à ce jour laisseront peut-être entrevoir, demain ou après-demain, une origine liée à l'influence d'un ou plusieurs facteurs strictement environnementaux mieux cernés. Les connaissances progressent : hier encore, on ne s'inquiétait pas trop de l'influence des particules fines ou ultrafines crachées notamment par les moteurs diesel, ni des perturbateurs hormonaux contenus notamment dans les cosmétiques (lire En Marche du 5 mars 2015), ni des nanoparticules en voie de banalisation dans les objets de la vie courante. Or, les premières, dont les émissions abondantes ne datent pas d'hier, n'ont été reconnues comme cancérogènes par l'Organisation l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qu'en 2012.

Les perturbateurs hormonaux, faute de définition officielle, sont encore largement commercialisés en Europe malgré leur rôle probable, avec d'autres facteurs, dans les cancers du sein et de la prostate. Quant aux nanoparticules, elles sont, dans certaines conditions, cancérogènes avérées sur les rats, qui sont des mammifères comme l'homme… Mais l'obligation de les notifier dans un Registre national, en Belgique, n'est pas encore entrée en vigueur. Quant à un étiquetage spécifique clair pour le consommateur, on n'y est pas encore.

Deux pas en avant…

Comment expliquer de tels décalages ? Par les délais, parfois dramatiquement longs, entre la mise sur le marché des produits et les premières études scientifiques établissant clairement leurs dangers. Par l'action des lobbies également (que l'on songe à l'amiante !). Brandissant leurs secrets de fabrication, certains groupes de pression entretiennent le flou sur la composition de leurs produits. Ils agissent en coulisses pour freiner l'élaboration de normes ou élaborent des stratégies de communication semant le doute sur les résultats d'études scientifiques compromettantes (3). "On a toujours une guerre de retard sur les produits", regrettait à Bruxelles le Dr Yseult Navez, de la Cellule de coordination Environnement Santé du SPF Santé publique en réponse à un participant inquiet de l'effet des laines minérales d'isolation sur sa santé. "Les contraintes économiques sont parfois beaucoup plus puissantes que les critères de santé", appuyait François Huaux, du Louvain Centre for Toxicology and Applied Pharmacology (UCL).

La science progresse donc. Mais lentement. On sait finalement depuis peu de temps, avec un très haut degré de probabilité, qu'une dose faible de certains produits (par exemple des perturbateurs hormonaux) peut s'avérer plus toxique qu'une dose élevée et que des "fenêtres" d'exposition rendent certaines époques de l'existence plus fragiles aux polluants. C'est ce qui a poussé les experts de la Fondation contre le cancer à recommander la plus grande prudence, particulièrement pour les enfants et les femmes enceintes, avec des produits pourtant entrés dans les mœurs ou "à la mode", comme l'herbicide Roundup® (lire En Marche du 2 juillet 2015), certaines huiles essentielles, certains désodorisants d'intérieur (bâtons d'encens, etc.), les bougies émettant du formaldéhyde ou du benzène, etc (4). De quoi déboussoler le grand public. Qui ne comprend pas, par exemple, pourquoi on lui recommande de se protéger au maximum du soleil via des crèmes solaires (contre le cancer de la peau), alors qu'une grande partie de celles-ci contient toujours des perturbateurs hormonaux, sources potentielles d'autres formes de cancers.


Le Radon

Gaz incolore et inodore émis par le sous-sol wallon, le radon tue à peu près autant que les accidents de la route belges : 700 décès annuels. Selon l'OMS, il est à l'origine de 6 à 15% des cancers du poumon. Contrairement à ce qu'on a longtemps prétendu, il n'est pas limité, chez nous, à la zone ardennaise. Ici et là, certaines habitations peuvent présenter des concentrations très élevées, uniques dans une rue ou un quartier. Bonne nouvelle : le dépistage est simple (ne pas le réaliser en été, toutefois) et peu onéreux. La remédiation aussi, sauf cas rares. 
Infos: www.sami.be

L'amiante

Malgré son interdiction totale en 2005, l'amiante reste encore largement présent dans notre environnement : 80 kilos par habitant, en Belgique, à l'état résiduel. Non endommagé, il est inoffensif. Selon le Dr Isabelle Morelle (Institut Jules Bordet), il existe en Belgique une sous-estimation des cancers bronchiques liés à l'amiante. Malgré l'obligation légale de réaliser des inventaires (dont l'efficacité a été largement
prise en défaut en France), de nombreux corps de métier du bâtiment restent exposés aux fibres. La contamination "environnementale" (les voisins d'un chantier de démolition, par exemple) est possible. La spécialiste attire aussi l'attention sur une forme moins connue d'exposition potentielle des non-professionnels : les parents bénévoles dans des écoles en rénovation. 
Infos: www.abeva.be

La pollution de l'air

En ville, outre l'ozone, les deux polluants majeurs sont les oxydes d'azote et les particules fines. Les premiers sont en diminution depuis vingt ans. Les secondes respectent les valeurs limites imposées par l'Union européenne depuis 2007, mais 97% de la population belge est exposée à des concentrations supérieures aux valeurs guides de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Pourtant peu utilisé, le chauffage au bois est une source majeure de pollution urbaine aux particules (PM). À proximité des grands axes, la pollution des PM est 30 à 40% supérieure aux autres endroits. Elles jouent un rôle dans les cancers du poumon, mais aussi dans les maladies cardiovasculaires et respiratoires.
Infos: www.irceline.be