Prévention

Quand le coeur dit "stop !"...

5 min.
© Les Amis du Samu/Mieke Melis
© Les Amis du Samu/Mieke Melis
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Il ne fait pas bon, en Belgique, souffrir du coeur.

Même si des statistiques fiables et actualisées font défaut, le constat général (basé sur des extrapolations et des observations de terrain) est unanime : nous sommes de piètres élèves en matière d'assistance aux personnes victimes d'un arrêt cardiaque. "Environ 10.000 Belges sont frappés chaque année d'un arrêt du coeur, souligne le docteur Ivan Blankoff, vice-président de l'Association belge du rythme cardiaque. Ce n'est ni pire ni meilleur qu'ailleurs en Europe. Mais seulement 10% en réchappent alors qu'au Danemark, on est à plus de 20%."

D'autres chiffres donnent le frisson : si, dans notre pays, deux arrêts cardiaques sur trois surviennent devant un témoin, seul un témoin sur cinq entame une réanimation sur la personne en détresse. L'explication ne relève pas seulement du manque de disponibilité 24h/24 de nombreux défibrillateurs, outils essentiels pour remettre le coeur en marche. Elle réside, aussi, dans le fait que la formation aux premiers secours – singulièrement le massage cardiaque et la respiration artificielle – est cruellement absente des programmes scolaires, tant celle des enfants euxmêmes que celle des enseignants. Aujourd'hui, en Fédération Wallonie- Bruxelles, à part quelques exceptions (écoles d'éducation physique), aucun institut préparant les futurs enseignants du niveau fondamental ou de secondaire n'intègre une formation obligatoire aux premiers soins, ne fût-ce qu'aux techniques de réanimation cardiopulmonaire.

Des ados réceptifs

Comment changer la donne ? "La priorité absolue serait d'organiser une formation à la réanimation dans le secondaire, dès le degré inférieur, estime le Dr Blankoff. Deux heures au strict minimum. Apprendre le massage cardiaque dès l'âge de 12 ans ne pose pas de problème particulier. À partir de 15 ans, on peut enseigner la respiration artificielle. Les expériences étrangères montrent que les ados sont très réceptifs. Et qu'on assiste à un effet pyramide : ils en parlent aux fratries, aux parents, aux amis… Avec 10 heures sur les six années, la formation serait complète. Et, à terme, on pourrait en arriver à la situation danoise où plus de 90% des gens sont formés aux premiers secours." En marge d'un récent avis sur les défibrillateurs, le Centre fédéral d'expertise pour les soins de santé (KCE) a récemment plaidé dans le même sens. Tout comme la Croix-Rouge qui, depuis des années, en appelle au même principe de formation obligatoire en milieu scolaire.

L'école, surchargée ?

Mais quoi ! Encore charger l'école d'une nouvelle mission ? "De toutes parts surviennent des demandes pour inscrire de nouvelles matières dans les programmes scolaires, rappelle-t-on au cabinet de Marie-Martine Schyns, ministre de l'Éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles : nutrition, sécurité routière, jeu d'échecs, etc. Où s'arrêter ? Surtout qu'on demande à l'école, en plus, de se recentrer sur les apprentissages fondamentaux !" La porte du cabinet, pourtant, semble s'entrouvrir face aux revendications du secteur des premiers soins car il s'agit ici, y reconnaît-on, d'une "question récurrente d'intégrité physique et de survie". Mais avec quelle formule ? Former individuellement chacun des 800.000 élèves semble impensable pour des raisons logistiques. On pourrait plutôt s'orienter vers des formules d'incitation aux profs, appelés à se former à la réanimation pour, ensuite, former à leur tour leurs propres élèves.

Une "culture" de l'acte citoyen

L'expérience associative est en tout cas florissante et ne demande qu'à être exploitée ou démultipliée. Depuis trois ans, par exemple, la Croix-Rouge organise une formation-relais gratuite pour les professeurs du secondaire, en échange de laquelle ils s'engagent à former au moins une classe au Brevet européen des premierssecours (Beps). Bilan provisoire : 3.000 Beps obtenus pendant les "jours blancs" de fin d'année en secondaire. La Croix Rouge Jeunesse s'adresse, elle, aux enfants de primaires et de maternelles, non pas pour former aux techniques de réanimation (jeune âge oblige), mais pour sensibiliser préventivement aux "maisons sûres" et pour – déjà – leur apprendre via des jeux d'animation à refroidir une brûlure, à libérer une gorge obstruée et à identifier les situations où il faut appeler les secours. D'autres expériences existent à l'échelle souvent locale. "Dans certains pays, on apprend aux enfants, dès l'âge de quatre ans, à coucher un camarade en position latérale de sécurité (PLS), pour libérer la respiration. Pourquoi pas aussi en Belgique ?" interroge Agata Bonsignore, responsable pôle premiers secours à la Croix-Rouge. Bref, créer dès l'enfance "un activisme citoyen face à la vulnérabilité", une véritable culture progressive de la sécurité qui, tout en évitant les discours anxiogènes, amènerait à poser des "actes citoyens et humanitaires, toujours préférables à l'inaction".

Petits cœurs au travail

En voilà une drôle de poupée ! Elle est plate comme une feuille de plastique. Sauf le coeur, de forme carrée, en mousse synthétique et doté d'un ressort dont la tension reproduit fidèlement la "dureté" d'une poitrine à masser.

Telle est la Minipop, l'outil utilisé depuis quelque huit années par une équipe d'urgentistes, d'infirmiers et de pompiers rassemblés au sein de l'ASBL "Les amis du Samu". Objectif : former un maximum d'enfants de 10 à 18 ans à réaliser des compressions thoraciques correctes. Améliorée au fil des versions, la poupée comprend dorénavant un petit ballon que l'enfant peut, s'il le souhaite, gonfler en soufflant lui-même, s'essayant ainsi à la technique des insufflations. "Intellectuellement et physiquement, la plupart des enfants à partir de 10 ans sont capables de comprendre et pratiquer une réanimation basique, commente Mieke Melis, coordinatrice du projet. Et aussi d'appeler les secours." Auparavant, l'équipe s'adressait directement aux enfants. Elle a vite réalisé que les enseignants sont ceux qui connaissent le mieux leur jeune public ; et qui savent comment à la fois éveiller et conserver leur intérêt. "C'est pourquoi nous avons opté pour le concept "teach to teachers" : nous formons d'abord les enseignants intéressés par groupes de trois à huit personnes pendant une session de trois heures. À eux, ensuite, de former leurs propres classes sur deux périodes de cours, chaque enfant disposant de son propre mannequin."

Si la Minipop se distingue des mannequins classiques (plus réalistes), c'est pour réduire l'impact émotionnel de l'apprentissage, tout en conservant les indications pratiques à respecter (endroit exact des compressions, force de cellesci, etc.). La formation est gratuite pour les écoles, mais celles-ci doivent dégager du temps et, surtout, compter sur des enseignants prêts à s'impliquer activement. Elles doivent aussi rendre compte à l'ASBL, en retour, du nombre d'enfants initiés en leurs murs, qui reçoivent alors un petit "diplôme". "Les amis du Samu" affiche à ce jour un bilan de 44.000 enfants formés. Dans les écoles, mais aussi dans toutes sortes de collectivités, comme les clubs et mouvements de jeunesse.

>> >> Infos : 02/535.48.66 • ecole@minipop.be • www.minipop.be

Saint Valentin veillait...

Dans la petite communauté scolaire de Mouscron, on n'est pas près d'oublier la dernière Saint Valentin. Le 14 février dernier, une enfant de onze ans s'écroule dans la cour de récréation, victime d'un arrêt cardiaque. Aucun antécédent médical ne lui est connu. Deux institutrices réalisent aussitôt la gravité de la situation et s'épaulent pour pratiquer la réanimation en attente des secours.

Emmenée par le 112, la gamine sera sauvée et, aujourd'hui, se porte bien. L'une des enseignantes avait son brevet de premiers soins (Beps). L'autre avait récemment actualisé ses connaissances en la matière, acquises sur les bancs de l'école supérieure. À deux, elles ont fait exactement ce qu'il fallait. Mais quel coup de bol, leur présence à deux pas au bon moment !

L'épisode laisse des ondes durables dans la commune. Les autorités locales lancent un tour de table parmi les 135 profs titulaires d'une classe dans le réseau communal : qui veut suivre une formation gratuite aux premiers soins (trois journées) ? L'afflux est énorme : plus de 80% des enseignants sont intéressés. Il faut tirer au sort. On en a, au moins, jusque fin 2018, pour satisfaire la demande de tous. Objectif : disposer au minimum d'une personne dûment formée dans chaque implantation.

Manu Vandewyngarde, le directeur du site éducatif Pierre de Coubertin où l'accident est arrivé, vient de terminer sa formation. Son bilan : satisfaction totale. "Le savant mélange pratique/théorie de la formation m'a plu. Comme d'autres, j'avais déjà suivi une formation antérieurement mais je l'avais trouvée un peu déconnectée de notre quotidien scolaire fait de genoux éraflés, de petites coupures et d'entorses. Nous apprendre comment réagir face à des plaies ouvertes et des arrêts cardiaques m'avait toujours semblé un peu exagéré. Eh bien non ! Cela s'est bel et bien passé chez nous ! Maintenant, nous sommes prêts."

Directeurs, professeurs, concierges, menuisiers, éducateurs… le cycle de formation continue pour tous les corps de métiers actifs sur les sites scolaires communaux. Dès qu'une personne a terminé le programme, son nom est inscrit sur les plans d'évacuation de l'implantation où elle travaille, affiché à côté des extincteurs et des indications de sorties de secours. Avec son numéro de GSM personnel. On n'est jamais trop prudent…