Prévention

Quand le son casse les oreilles

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Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Si dans le monde du travail une norme européenne en matière de niveaux sonores épargne aux travailleurs d'être exposés aux bruits trop forts et trop longtemps, rien de tel n'existe en matière de divertissement. En 40 ans, les volumes sonores des concerts, festivals… ont augmenté de 40 décibels, soit 10.000 fois plus fort. Nos oreilles n'ont pourtant pas changé et ne sont toujours pas capables de les supporter. La preuve : lors d'un même concert, les musiciens, le public et les sonorisateurs portent des bouchons d'oreille. Cherchez l'erreur…

Séquelles irréversibles

Chez certaines personnes, un sifflement dans l'oreille après une sortie signifie qu'une bonne soirée se termine. Puis le lendemain, le son parasite a disparu. Mais soumettre ses oreilles de manière répétitive à des sons agressifs, au point de provoquer des sifflements réguliers, peut provoquer des séquelles irréversibles dès 20, 25 ou 30 ans.

L'acouphène, par exemple, qui prend la forme d'un sifflement, d'un vrombissement ou d'un chuintement régulier, est perçu dans l'oreille sans être présent dans l'environnement sonore. Il rend difficile l'endormissement et le sommeil réparateur, contrarie la concentration, peut provoquer, dans les cas les plus aigus, un état dépressif voire suicidaire. Éliminer ces sons "fantômes" est impossible. Tout au plus peut-on dévier l'attention de ceux qui en sont affligés.

L'hyperacousie, elle, implique une trop forte sensibilité aux sons. Les couverts d'un voisin de table, les chaussures à talons dans la rue… deviennent insupportables. Cette hyperfragilité de l'ouïe peut occasionner des douleurs ou l'augmentation de l'intensité des acouphènes. La surdité, enfin, est la séquelle la plus dommageable d'une exposition à de hauts volumes sonores. Un peu comme le fumeur abîme ses poumons dans la durée, l'individu "use" son ouïe et la perd totalement ou en partie.

Phénomène en expansion

L'Organisation mondiale de la Santé prédit qu'un milliard de jeunes de 12 à 35 ans risquent une déficience auditive par exposition au bruit dans un cadre récréatif. À l'échelle de la population belge, 10 à 15% des individus souffriraient d'acouphènes. Parmi eux, 2 à 3% en seraient sévèrement affectés. D'après une étude menée dans la province d'Anvers en 2013, 20% des ados sondés présentent des pertes auditives dues essentiellement à des traumatismes sonores provoqués par des sorties récréatives ou l'écoute de lecteurs MP3. "Les troubles auditifs, qui se manifestaient l'âge avançant, tendent à toucher des individus de plus en plus jeunes", confirme Marc Vander Ghinst, ORL à l'Hôpital Erasme. Quelles sensations offre l'écoute de musique à haut volume ? "On évoque un effet de désinhibition à un certain niveau sonore (110 db environ) qui fait qu'on se lâche, on danse, on boit…, ajoute Marc Vander Ghinst. Encore faut-il être capable de l'encaisser !"

Quelles solutions ?

Écouter de la musique avec des écouteurs relève de la responsabilité de chacun. Il importe, pour éviter les problèmes auditifs, d'opter pour un niveau d'écoute moyennement élevé et d'en limiter la durée car l'oreille nécessite des moments de silence pour récupérer.

Ce rapport puissance/durée est d'ailleurs d'application dans le monde du travail, où une exposition à 80 décibels (db) durant huit heures ne peut être dépassée. Pour trois décibels ajoutés, le temps de travail est divisé par deux. Appliquer cette règle lors d'un concert amplifié à 105 db, par exemple, implique que le spectateur pourrait profiter… d'une chanson ! Trois ou quatre, tout au plus, s'il dispose de bouchons d'oreille. Même si l'on n'en connaît pas encore l'effet d'atténuation. "C'est mieux que rien", disent certains…

La seule solution consiste à baisser le volume de la source sonore. "Il faut arrêter de mettre l'élément nocif à la disposition de tout le monde et à leur insu", plaide Marc Vander Ghinst. "D'ailleurs, poursuit-il, lors des concerts, les sonorisateurs portent eux-mêmes des bouchons d'oreille car ils savent leurs niveaux trop élevés. Ils ne se soumettent pas aux niveaux sonores auxquels ils soumettent le public !"

Épinglé

La Flandre a adopté une nouvelle législation en 2013. Bruxelles l'applique aujourd'hui. Et en Wallonie ? L'arrêté royal de… 1977 (!) interdisant toute diffusion instantanée au-delà de 90 db est toujours en vigueur. Une norme désuète et allègrement dépassée lorsque 2.000 personnes applaudissent.

"Dans les faits, apprend-on auprès du cabinet Di Antonio, compétent en matière d'Environnement, la plupart des festivals wallons s'alignent sur le nord du pays (85, 95 et 100 db). Plus le volume est élevé, plus les mesures à prendre pour protéger les amateurs de musique, et les jeunes en particulier, sont contraignantes."

L'administration proposera une révision de la législation de 1977 dans les prochaines semaines. Objectif : définir des dispositions claires pour permettre aux organisateurs de gérer leurs activités tout en respectant les impositions fixées. Des dispositions qui devront être réalistes, aussi, pour être contrôlées et respectées.

Oreilles bruxelloises mieux protégées

Nouvelles règles en Région bruxelloise. Objectif : protéger le public des nuisances que peuvent occasionner les sons amplifiés. Explications.

Le 21 février seront appliquées de nouvelles normes en Région bruxelloise. Toute activité ouverte au public, ponctuelle ou récurrente, intérieure ou extérieure, gratuite ou payante lors de laquelle du son amplifié est diffusé (quel que soit le niveau sonore) y sera soumise. Salles de spectacle, de cinéma, de concert, théâtre, restaurant, bar, discothèque, brocante, festival, fête de voisins… sont concernés.

La législation fixe trois catégories déterminées par trois seuils exprimés en décibels (db).

  • Catégorie 1 : Si le son est amplifié jusqu'à 85 db(A), l'exploitant peut faire savoir que son établissement respecte la santé de ses clients en affichant un pictogramme.

 

  • Catégorie 2 : Si le son est amplifié jusqu'à 95 db(A), l'exploitant doit informer le public qu'il se trouve dans une ambiance sonore à niveau élevé et qu'il risque une atteinte temporaire ou permanente de sa capacité d'audition. Le pictogramme adéquat doit être visible du public et figurer sur tout matériel promotionnel de l'événement. Un afficheur de niveaux sonores perçus doit être placé dans l'établissement et visible du public. Après minuit, celui-ci doit enregistrer et con server l'historique des niveaux sonores.

  • Catégorie 3 : Si le son est amplifié jusqu'à 100 db(A), l'exploitant doit répondre aux obligations de la catégorie 2 et aménager une zone de repos pour le public (

La réglementation comporte d'autres dispositions (1), plus précises, qui portent par exemple sur l'organisation d'un événement sous chapiteau ou en plein air… Et détaille comment les contrôles seront effectués par les inspecteurs, agents en charge de la surveillance ou la Police. Ceux qui ne se soumettront pas à ces dispositions risquent des pénalités allant de l'amende administrative (50 à 62.000 euros) à la cessation pure et simple de l'activité.


Leçon d'anatomie

Les ondes sonores sont captées et amplifiées par le pavillon puis percutent le tympan et le font osciller. Elles sont ensuite transformées en ondes mécaniques par le biais des osselets : le marteau, l'enclume et l'étrier. Ce dernier fonctionne comme un piston qui s'enfonce dans la cochlée dans laquelle se trouve un liquide. Le mouvement des liquides à l'intérieur de la cochlée va créer une mobilisation des cellules ciliées et sera à l'origine du message nerveux. L'information est ensuite transmise au nerf auditif qui acheminera celle-ci jusqu'au cerveau.

À la naissance, l’individu dispose de 15.000 cellules ciliées. Elles représentent le capital auditif de l'humain. Comme les cheveux, il les perd avec le temps. Mais lorsqu'il s'expose à des sons puissants, l'humain grignote peu à peu le nombre de cellules qui ne se régénèrent pas. C'est lorsqu'un nombre trop restreint de cellules ciliées survivent que peuvent survenir les acouphènes, l'hyperacousie et la perte auditive.

Label 90

Un label pour le respect des oreilles

La semaine du son, du 29 janvier au 4 février, était l'occasion pour ses organisateurs de (re)présenter le Label 90 né il y a un an. Organisateurs de concerts, musiciens, responsables de salles… sont invités, sur base volontaire, à ne pas dépasser les niveaux moyens compatibles avec le respect de nos oreilles. En bref : exclure le risque sanitaire sans devoir porter des bouchons d'oreille. Pour un concert de moins de deux heures, le label plaide pour les 90 db(A). Quelques salles et musiciens y ont souscrit et signé une convention avec La semaine du son. L'exercice n'est pas simple… Selon certains, dès qu'une batterie accompagne une formation, les 90 db(A) sont allègrement dépassés. Il s'agit, dès lors, d'encourager les musiciens eux-mêmes, et ce n'est pas simple, à livrer leur musique en douceur…

> Plus d'infos : www.label90db.org

Pour en savoir plus ...

Lors de certains festivals, la Mutualité chrétienne distribue des bouchons d'oreille et des casques de protection pour les enfants.

>> Infos : www.mc.be/eclate-toi