Coronavirus

Se libérer du tabac au temps du corona

3 min.
Si la crise a majoritairement dopé la consommation de tabac, pour certains elle a aussi été une opportunité d'arrêter. (c)istock
Si la crise a majoritairement dopé la consommation de tabac, pour certains elle a aussi été une opportunité d'arrêter. (c)istock
sandrine warsztacki

sandrine warsztacki

La crise sanitaire nuit à l’arrêt du tabac. Les chiffres de l’Institut de santé publique Sciensano - qui mène à intervalles réguliers des enquêtes sur l’impact de la pandémie sur le bien-être de la population Belgique - le confirment sans équivoque. Selon le mois où le sondage a été réalisé, entre 32 % et 39 % des fumeurs déclarent avoir augmenté leur consommation de tabac depuis le début de la crise. Une augmentation qui se marque davantage dans le groupe d’âge des 35 à 44 ans et chez les femmes, sans que les raisons en aient été spécifiquement explorées. 

"Avec l’isolement social, les gens perdent le support de leurs amis, se retrouvent coupés de leurs loisirs, de leurs moyens de relaxation, s’ennuient. Le travail à domicile joue aussi. Les pauses sont moins structurées, on n’est plus obligé de quitter le bâtiment, c’est plus facile", commente Suzanne Gabriels experte prévention tabac à la Fondation contre le cancer.  Le stress est un autre facteur évident qui pousse à piocher plus souvent dans le paquet. Dans la dernière enquête Sciensano disponible, fumeur ou pas, un adulte sur cinq déclare souffrir d’angoisse ou de dépression. "Les gens ont peur de la maladie, des difficultés financières, etc. L’angoisse a un impact sur le risque de retomber dans l’addiction, de postposer sa décision d’arrêter ou d’augmenter sa consommation, poursuit la spécialiste en prévention qui invite à ne pas se laisser décourager pour autant. Arrêter de fumer demande de l’énergie et on peut en manquer dans une période comme celle-ci, mais il faut déconstruire les idées fausses : on est moins stressé quand on ne fume pas!"   

La cigarette est un excitant qui augmente la tension artérielle et la fréquence cardiaque. La détente ressentie au moment de fumer n’est liée à rien d’autre qu’à l’apaisement momentané des symptômes liés au manque de nicotine. Des dizaines d’études le démontrent (3): le servage passé, les personnes qui ont arrêté de fumer se sentent moins anxieuses et moins déprimées. "Une fois qu’on arrive à couper le stress lié l’addiction, on se sentira réellement plus détendu. Pour cela, on peut s’aider des substituts de nicotine et de l’accompagnement d’un tabacologue pour travailler sur les changements d’habitudes. Le stress est un thème souvent abordé dans les consultations. Il fait partie de la vie, et chacun peut trouver des moyens qui lui conviennent pour le gérer", encourage Suzanne Gabriels. 

Si la crise a majoritairement dopé la consommation de tabac, pour une proportion non négligeable de fumeurs, elle a aussi constitué une opportunité : 16 à 20 % des fumeurs qui ont répondu aux enquêtes de Sciensano durant l’année écoulée ont déclaré avoir diminué, voire arrêté de fumer. "La peur de contracter une forme grave du Covid, et le fait que l’on porte davantage d’attention aux questions de santé de façon générale depuis la crise a encouragé certains. Pour les fumeurs ‘sociaux’, il y a eu moins de tentations. La situation a aussi incité à redécouvrir les promenades pour se détendre, à prendre de nouvelles habitudes."

Covid-19 : le tabac aggrave les risques

Le tabagisme - qui fait plus de 8 millions de victimes chaque année dans le monde - est connu pour être un facteur de risque de nombreuses infections respiratoires. Les fumeurs risquent aussi davantage de contracter des formes graves du Covid-19, ont conclu sans équivoque les experts de l’Organisation mondiale de la santé qui ont examiné de près l’ensemble des études scientifiques disponibles sur la question.

"Le tabagisme est aussi un important facteur de risque de maladies non transmissibles comme les maladies cardiovasculaires, le cancer, les affections respiratoires et le diabète, et les personnes souffrant de ces pathologies risquent davantage de faire une maladie grave si elles sont infectées par le Covid ", poursuit l’OMS. Ces faits n’ont toutefois pas découragé les cigarettiers de surfer sur les vagues de la pandémie pour lisser leur image, Philip Morris poussant le cynisme jusqu’à faire don de respirateurs aux hôpitaux grecs. "En décembre, American Tobacco avait même annoncé lancer des essais pour un vaccin à base de feuilles de tabac. Qui en entend encore parler ? ", ironise Suzanne Gabriels, experte à la Fondation contre le cancer.

En juillet dernier, une étude affirmant que le tabac aurait un effet protecteur contre le Covid a fait le buzz dans les médias. Depuis, l’European respiratory journal a retiré cette publication, suspectant des conflits d’intérêts entre les auteurs et l’industrie du tabac. Une enquête récemment publiée par le quotidien français Le Monde et l’ONG néerlandaise Investigtive desk, s’intéresse aux liens troubles entre les travaux sur les effets supposés protecteurs de la nicotine contre le covid et les cigarettiers. On y apprend, par exemple, que la Fondation pour un monde sans fumée a lancé un appel à projets portant sur un montant de 900.000 euros pour étudier cette hypothèse. Une fondation financée par … Philip Morris ! "D’abord, il faut rappeler que ce n’est pas le tabac qui aurait un effet protecteur. Il est avéré que fumer augmente les risques de se retrouver aux urgences si on attrape le Covid. Ces travaux portent sur un effet supposé protecteur de la nicotine prise toute seule et cette hypothèse n’a jamais été prouvée à ce jour", pointe Sophie Adam, attachée de presse pour la Fondation contre le cancer.