Santé mentale

Quand l'actu devient angoisse

3 min.
L'info en continu renforce le sentiment d'angoisse (c) Adobestock
L'info en continu renforce le sentiment d'angoisse (c) Adobestock
Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

"Hello, y a que moi ici qui aurais aimé une petite pause entre la fin de la pandémie et le début de la troisième Guerre mondiale ?" On n'en est heureusement pas là, mais cette boutade lancée sur Twitter par un internaute lambda en dit long sur le climat ambiant…  Après deux années durant lesquelles nous avons vécu les yeux rivés sur les courbes des infections et l’alphabet des variants, le retour de la guerre aux portes de l’Europe vient réveiller les démons d'un passé qu'on pensait révolu. Comme à chaque crise, des journalistes tendent leur micro aux pédiatres. Comment parler de la guerre avec les enfants ? Des virus ? Du climat ? Du terrorisme ? Et nous les adultes, on fait comment pour faire face à cette déferlante d'infos effrayantes ? 

Le monde n’était sans doute pas moins inquiétant, mais nous ne recevions pas des notifications pour nous le rappeler en permanence !

L’évolution même du paysage médiatique est propice à ce climat anxiogène. Du temps de la guerre froide ou de la catastrophe de Tchernobyl, l’actualité était rythmée par des rendez-vous réguliers. La radio qu’on allume dans la cuisine, le quotidien que l’on ouvre sur la table du petit déjeuner, le journal télévisé qu'on regarde le soir en famille. Le monde n’était sans doute pas moins inquiétant, mais nous ne recevions pas des notifications pour nous le rappeler en permanence ! Il y avait une forme de ritualisation et d’échange dans la réception de ces informations difficiles, observe Serge Tisseron sur les ondes de France Inter. "Aujourd'hui, l’information en continu nous met à nu, nous nous sentons extrêmement démunis devant ce flux continu d’émotions sans contextualisation", commente le psychiatre et psychanalyste français. 

Déconnecter, et après ?

Dans un contexte d'informations surabondantes, retenir l'attention est devenu un enjeu de survie économique pour les médias. Et jouer sur le registre de l'émotion, de la peur, du scandale, est souvent une recette gagnante pour engendrer de l'audience. Établir des plages de déconnexion, désactiver les notifications, privilégier des médias qui proposent un traitement de fond constituent autant de stratégies qui peuvent nous aider à réduire le niveau d’anxiété. Mais les crises qui se succèdent ne cesseront pas de nous tracasser comme par magie en appuyant sur le bouton pause. 

Au-delà du rapport que chacun entretient avec l’actualité, avoir peur est un sentiment normal. Nous vivons dans un monde en mutation et l’incertitude est une source d’angoisse devant laquelle nous ne sommes pas tous armés de la même façon. En fonction de notre vécu, de nos ressources, de notre sensibilité, nous pouvons en être affectés au point de souffrir d'une forme de malaise quotidien, d'insomnies, voire, de dépression. 

De l'angoisse à l'action

Grâce aux avancées des neurosciences, les mécanismes de l’angoisse sont aujourd'hui bien documentés. Tout comme les stratégies qui permettent de l’apaiser. Les bienfaits de la méditation, de l’activité physique, du contact avec la nature, des relations sociales, sont scientifiquement prouvés. À prescrire sans modération, quelle que soit la source d’anxiété, pour petits soucis du quotidien ou grandes angoisses existentielles ! Mais au-delà de ces outils qui font du bien, le message des neurosciences est que l'angoisse nous aide à évoluer. 

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Dans le monde, 45 % des jeunes affirment que l’anxiété climatique affecte négativement leur quotidien. Photo (c)Adobestock

Éco-anxiété : quand le vert broie du noir

Inscrite dans nos comportements depuis la nuit des temps, l'anxiété est essentielle à notre survie, analyse la neuroscientifique américaine Wendy Suzuki dans son dernier livre Votre anxiété est un super pouvoir. L'angoisse constitue un signal d'alarme qui, si nous apprenons à l'écouter pour l'utiliser à bon escient, peut nous aider à changer sur le plan individuel comme collectif : "Le stress est ce qui nous oblige à nous adapter, à apprendre, et à évoluer en tant qu’individu, mais aussi en tant qu’espèce." 

 Nos émotions sont vitales, elles nous arment pour de multiples combats, Laure Noualhat

Changer sa façon de consommer, manifester, faire du bénévolat, participer à des projets de quartiers, s'investir dans des actions humanitaires, pour l'environnement… S'engager peut aider à améliorer notre moral et celui de la planète.  Une personne sur 10 souffrirait "d'éco-anxiété", indiquent des travaux en cours de l'UCLouvain. Mais "il ne faut pas voir l'éco-anxiété uniquement comme un problème mais aussi comme un moteur pour changer les choses", défend dans une interview au National Geopraghic Véronique Lapaige, médecin et chercheuse en santé publique, qui a fondé ce néologisme. 

Journaliste pour Libération, Laure Noualhat a sombré dans la déprime climatique à force d'écrire sur le sujet. Un sentiment qu'elle a réussi à surmonter en allant à la rencontre d'experts, de militants, de politiques, qui ont réussi à dépasser leur l'angoisse en passant à l'action. Et quelle résume dans son livre Comment rester ecolo sans devenir dépressif :  "Nos émotions sont vitales, elles nous arment pour de multiples combats, mais il ne faut jamais se laisser envahir ou ronger par elle. La colère nous dit que le monde est injuste, la tristesse, que nous sommes en train de perdre quelque chose de vital, la peur qu’il puisse être temps de se bouger les fesses ; et l’impuissance, qu’il est trop tard pour avoir peur. Chacune contient une force que l’on peut utiliser."