Santé mentale

Santé mentale : un problème d'égalité          

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Julien Marteleur

Julien Marteleur

La santé mentale des Belges a été fortement mise à mal durant la crise du Covid. Plus de la moitié d'entre eux (52,3%) déclaraient, en début d'année, avoir vu leur bien-être psychologique impacté par la pandémie. Certains publics ont été plus touchés que d'autres : les jeunes et les personnes âgées, les membres de familles monoparentales ou en situation de précarité économique mais aussi, de manière plus globale, les femmes. Si les besoins en soins de santé mentale ont augmenté pour ces couches plus fragiles de la population, sur le terrain, leur utilisation ne semble pas suivre la même courbe. Partant de ce constat, le service d'études de la MC s'est penché sur l'accès aux soins psychologiques ainsi que sur l'impact de la prévention dans le domaine de la santé mentale, deux éléments déterminants dans l'amélioration de ce problème fondamental de santé publique.

Des difficultés multifactorielles
"L'analyse de plusieurs données – notamment l'utilisation des soins des membres de la MC en 2021 mais aussi une enquête de la mutualité sur la prévalence des problèmes psychologiques et de la recherche d'aide – nous montre que si certains publics n'utilisent pas les soins en proportion de leurs besoins, c'est en raison de freins rencontrés dans les quatre domaines de l'accessibilité : la sensibilité, l'acceptabilité, l'accessibilité financière et la disponibilité", souligne Clara Noirhomme, chercheuse au service d'études de la MC. Plus concrètement, une partie de ces publics peine à identifier ses besoins en santé mentale (sensibilité) quand une autre est carrément réticente à demander de l'aide (acceptabilité). Certaines personnes se voient quant à elles incapables de payer des soins psychologiques (accessibilité financière), voire dans l'impossibilité de trouver un service adéquat (disponibilité).
Selon l'étude, le risque de présenter des difficultés psychologiques est 1,4 fois plus élevé pour les femmes que les hommes. Les multiples responsabilités qu’elles doivent assumer pèsent parfois lourdement sur leur quotidien et représentant une charge mentale non négligeable. Pourtant, elles sont moins nombreuses que les hommes à identifier et à rapporter leurs problèmes (37% contre 39%) et pointent principalement des obstacles pratiques pour expliquer leur non-recours aux soins : elles sont plus nombreuses à s’inquiéter des coûts de l'aide psychologique (33% contre 24% des hommes) et à connaître des difficultés pour parvenir à prendre un rendez-vous (4% contre 1% des hommes).
En revanche, lorsqu'elles sont conscientes de l'apparition d'un problème psychologique, les femmes cherchent plus souvent de l’aide que les hommes. "71 % des femmes qui font actuellement l’expérience de problèmes psychologiques et 80% de celles qui en ont eu dans le passé déclarent avoir cherché de l’aide, contre respectivement 59% et 67% des hommes. Les femmes font également plus souvent appel à un psychologue qu’à un psychiatre : en 2021, 70% des membres MC ayant eu recours à l’avantage psychologie étaient des femmes", révèle encore l'étude de la mutualité.

Un portefeuille vide, ça pèse lourd
Sans surprise, le facteur qui a le plus d'influence sur le risque de souffrir d'un problème de santé mentale est la pauvreté. Selon l'étude, le risque de rencontrer des difficultés psychologiques est 1,7 fois plus élevé pour les personnes faisant partie de la catégorie avec les revenus les plus bas par rapport à celle possédant les revenus les plus hauts. Or, dans le cas d’une dépression par exemple, les personnes qui ont des difficultés financières ont davantage recours aux antipsychotiques (73% d’entre eux contre 62% du groupe le plus aisé) qu'à un suivi psychothérapeutique (39% contre 51%). Si ce recours aux soins n’est pas proportionnel aux besoins, cela peut notamment s'expliquer par des freins en matière d’acceptabilité tels que la honte ressentie à l’idée d’avoir recours aux soins (17%) ou bien évidemment de l’inquiétude quant aux coûts, invoquée par 59% des personnes en difficulté financière. "On pourrait penser que les gens les plus pauvres ont tendance à consommer plus facilement des médicaments pour régler leurs problèmes de santé mentale, commente Svetlana Sholokhova, également chercheuse au service d'études. Mais ce public, face aux options qui s'offrent à lui, est d'abord obligé de regarder ce qui reste dans le portefeuille ! Et puis, quand un médecin prescrit quelque chose, on a généralement tendance à lui faire confiance, qu'on soit aisé ou qu'on le soit moins."
La répartition géographique de l'offre de soins de santé mentale joue également un rôle. Si on compte jusqu'à 212 psychologues pour 100.000 habitants dans le Brabant wallon, ce chiffre est voit drastiquement plus bas dans le Limbourg ou en Flandre-Occidentale (59/100.000). Dans le Hainaut où à Liège, le recours aux consultations chez un psychiatre est plus important alors que le nombre de spécialistes exerçant sur ces territoires est plus bas que la moyenne. Une consommation qui pourrait témoigner de besoins plus importants de la population dans ces provinces, qui sont en Belgique celles où le revenu moyen est le moins élevé…
"Un autre gros frein pour les personnes qui disent faire actuellement l'expérience de problèmes psychologiques, c'est qu'elles ne sont pas 'familières' avec l'aide professionnelle, c'est-à-dire qu'elles ne connaissent pas suffisamment l'offre de soins de santé mentale, rapporte Clara Noirhomme. Elles sont également bien plus nombreuses à devoir faire face à de longs délais d'attente ou à n'avoir pas suffisamment de temps à consacrer à l'aide."

Prévenir, c'est guérir ?
Si d'un côté, l'étude de la MC pointe un déséquilibre entre l'utilisation des soins de santé mentale et les véritables besoins rencontrés par des publics vulnérables, de l'autre, le secteur des soins psychologique paraît saturé, davantage encore depuis la crise sanitaire. La prévention permettrait-elle de désengorger des services qui travaillent de plus en plus à flux tendu ? "Dans le domaine de la santé mentale, la prévention ne peut pas être uniquement l'affaire de spécialistes ou de la première ligne médicale en général", tempère Svetlana Sholokhova. Cela se joue avant tout dans le secteur social – l'école, le sport, le travail, l'aide à la parentalité… La santé mentale dépend également de facteurs familiaux, environnementaux ou encore économiques. C'est un domaine complexe." La chercheuse tient aussi à distinguer la maladie mentale de la souffrance psychique (stress, tristesse ou anxiété passagère) "un état qui n'entrave pas de façon considérable la vie de la personne, son rapport au monde, aux autres et à elle-même." Sans nier l'impact de la souffrance psychique, qui peut mener au développement d'une maladie mentale si l'on y est trop exposé, cette distinction permet d'éviter de "pathologiser" certaines expériences négatives et, surtout, de ne pas confondre la prévention des maladies mentales avec celle de la souffrance psychique, qui concerne un public plus large.
En janvier dernier, une nouvelle convention offrant un meilleur remboursement des soins psychologiques de première ligne a facilité l'accès à ces derniers, y compris pour les patients en difficulté financière. Un pas dans la bonne direction pour les chercheuses de la MC. Mais, soulignent-elles, ces efforts doivent encore plus être guidés à l'avenir par le principe d'universalisme proportionné. "L'ampleur et l'intensité des actions doivent être proportionnels au niveau de défaveur social du public ciblé. Il faut donc apporter davantage de soutien à ceux qui en ont le plus besoin : les personnes pauvres, les femmes mais également les personnes racisées, qui souffrent souvent de discrimination, d'une barrière culturelle ou langagière trop importante ou qui ont du mal à se sentir 'compris' par un ou une spécialiste qui ne les 'représente' pas. Si vous êtes une femme racisée en situation de précarité économique, l'état des lieux actuels ne joue pas en votre faveur."
"Dire qu'il faut investir dans la prévention quand on évoque la santé, c'est enfoncer une porte ouverte, souligne encore Svetlana Sholokhova. Aujourd'hui, on a une vision capitaliste de l'humain. Le secteur de la prévention ne déroge pas à la règle. On pense que prévenir au sens large va réduire les coûts futurs, qu'on va en tirer un bénéfice économique car ce sont des gens qu'il ne faudra pas soigner dans dix ou quinze ans. C'est peut-être vrai pour une partie des soins de santé, mais la santé mentale est plus complexe que cela. En outre, il faut tenir compte du fait que, aujourd’hui, une partie de la population n’a pas accès aux soins à la hauteur de ses besoins, or les projections budgétaires ne prennent pas suffisamment en compte ce problème de la sous-consommation. L'argument doit se baser plus sur des questions simples : celles des droits humains et de l'accès aux soins pour tous."  Cela devra sans doute passer par une augmentation de l'offre de soins, mais aussi par une prise de conscience que la santé mentale ne se limite pas aux dits soins. Des initiatives "santé mentale" doivent se mettre en place dans toutes les politiques : le logement, l'emploi, l'enseignement ou l'environnement… "Financer ces initiatives, qu'elles soient régionales ou communautaires, est prioritaire pour développer des actions auprès des publics les plus à risque de rencontrer des problèmes de santé mentale. C'est comme cela qu'on arrivera à réduire ces inégalités."