Parentalité

Un lien entre l'enfant et le parent en souffrance

6 min.
© Iota Production
© Iota Production
Sandrine Cosentino

Sandrine Cosentino

En Marche : À quel moment intervenez-vous quand il y a une souffrance psychique chez un parent ?

Carole Cocriamont : Nous pouvons intervenir dès qu'il y a une difficulté et un impact sur l'enfant. Il est important de dire à l'enfant que nous avons compris qu'un élément ne fonctionne pas comme dans d'autres familles et que cela a un impact sur sa vie. Dans un premier temps, l'enfant n'attend pas du tout un diagnostic. Cela n'a pas beaucoup de sens de lui expliquer que son parent est schizophrène par exemple. Apporter un soutien et une écoute ont déjà un impact positif pour lui. Si un professionnel arrive avec des grandes théories, il y a un risque de l'effrayer ou l'inquiéter.

En binôme, nous intervenons quand il y a une souffrance psychique au sens large : familles qui vivent une période difficile comme un burn-out ou un passage dépressif et également familles dont un proche souffre de dépression profonde, d'un trouble bipolaire ou schizophrénique, d'une dépendance à l'alcool, à la drogue… Énormément de personnes sont confrontées à la souffrance psychique (une personne sur quatre) et ces enfants grandissent avec un parent qui ne va pas bien. Cela peut se manifester de différentes manières : un parent en pleur, qui n'a pas de motivation, qui a tout le temps envie de dormir ou un parent un peu fantasque (comme dans le film de Vero Cratzborn : il voit des choses, dit des choses pas toujours cohérentes…).

Les enfants détectent assez vite quand ça ne va pas. Deux jeunes filles nous ont parlé de leur maman qui évoquait le fait d'être sous l'emprise de la magie noire. Les enfants ont bien compris qu'il ne s'agissait pas de cela mais elles ne savaient pas de quoi il s'agissait. Ce sont les filles elles-mêmes qui disaient à leur maman "surtout n'en parle à personne sinon on va nous placer". Et c'est exactement ce qui s'est passé. Quelqu'un est venu les chercher à l'école et, du jour au lendemain, elles n'étaient plus dans leur famille. Cela a été très violent pour ces deux fillettes et cela a eu un impact terrible sur leur vie au quotidien. La conscience qu'elles avaient en tant qu'enfant de 11 et 13 ans est incroyable, sans connaitre réellement le problème de leur maman.

En Marche : Qui vous contacte pour vous demander de l'aide ?

CC : Pour les plus jeunes, nous pouvons être appelées par l'ONE par exemple. Nous pouvons également être contactées par l'enfant lui-même, par une institution, un parent ou un proche. Nous constatons qu'il y a un "trou" entre 10 et 15 ans car ces jeunes n'osent pas contacter les professionnels. Ils vont plus facilement sur les réseaux sociaux. L'asbl et d'autres partenaires européens (la France, la Suisse et le Luxembourg) travaillent sur la création d'une plate-forme de soutien en ligne destinée aux enfants et aux jeunes mineurs qui ont un proche en souffrance psychique. L'évolution du projet sera détaillée sur la page Facebook de l'asbl. Nous sommes encore à la recherche de subsides. Le projet est déjà bien avancé et nous espérons que nous pourrons lancer cette plate-forme prochainement.

EM : Que mettez-vous en place pour l'enfant lorsqu'un de ses parents est diagnostiqué présentant une maladie psychique ?

CC : Nous ne forçons jamais un enfant, s'il n'a pas envie de faire un entretien avec nous… Quand nous sommes appelées, notre première question est toujours "L'enfant est-il au courant de notre venue et est-il d'accord ?" Nous voulons créer une alliance avec l'enfant. Il est déjà suffisamment en insécurité ou avec suffisamment d'inquiétudes que pour en rajouter. En général, l'enfant est d'accord. Nous lui expliquons que nous sommes là pour aider les enfants qui ont des parents qui ne vont pas bien ou pour un enfant qui a envie de parler. Nous lui proposons de s'exprimer de différentes manières (collage, écriture, dessin) et en général les enfants sont assez vite attirés par cela. Cela nous aide à ouvrir le dialogue et petit à petit nous créons un lien.

Nous allons à domicile en moyenne toutes les deux à quatre semaines en fonction de la demande et de la situation. Nous allons aussi dans les écoles, dans les institutions, dans les centres PMS, dans les plannings familiaux. Nous travaillons avec tout le réseau qui travaille avec l'enfance et la santé mentale.

Nous proposons aussi des entretiens familiaux, toujours avec l'accord de l'enfant. Il faut que l'enfant en ait envie car nous ne voulons surtout pas le mettre dans une position difficile. Évidemment la maladie a un impact sur tout le système familial. Nous lui expliquons par exemple que lors de l'entretien familial nous évoquerons uniquement ce dont l'enfant a envie de parler ou ce dont l'enfant souhaite que nous l'aidions à dire.

Nous pouvons proposer des ateliers en groupe d'enfants. Quand nous avons la chance d'avoir des enfants d'à peu près la même tranche d'âge, qui ont envie de travailler avec d'autres enfants et qui sont dans la même région (nous allons partout en FWB), nous organisons alors un atelier de groupe sur des thèmes ou des techniques différentes.

Nous proposons une réponse tout à fait adaptée en fonction de chaque enfant. Ma collègue et moi sommes allées longtemps sur le terrain à la rencontre des travailleurs sociaux, des médecins, des infirmières, tout le personnel qui pouvait croiser ces enfants pour entendre ce qui manquait selon eux. Après un an sur le terrain, nous avons réadapté notre offre en fonction des besoins.

EM : Que perçoit un enfant des modifications du comportement de son parent et des changements qui s’opèrent dans l’organisation de la vie de famille ?

CC : Il est très difficile de répondre à cette question car c'est tellement au cas par cas. Pour certains enfants, le parent est déjà en souffrance psychique dès leur naissance et ils ne connaitront que cela. Cela va être leur quotidien et c'est en grandissant qu'ils vont s'apercevoir que ce n'est pas comme chez les autres. Dans d'autres familles, cela va arriver soudainement, comme dans le film où le papa fait un épisode psychotique. Et c'est à partir de ce moment que cela devient interpellant pour l'enfant. Les réactions de chacun sont tellement différentes. Par exemple, je pense à une petite fille qui va s'arranger pour faire dévier la conversation sur autre chose dès qu'on parle de son papa malade. Tandis que d'autres enfants sont toujours dans le sujet, ils posent toujours plus de questions. Les réactions sont autant diversifiées que le nombre d'humains !

Lors de chaque entretien, nous nous rendons compte que les enfants ont très bien compris la situation et qu'ils sont très au clair avec ce qui se passe. La manière d'aborder les choses va par contre être différente pour chaque enfant. C'est pour cette raison que nous utilisons beaucoup d'outils et de médias différents pour engager un dialogue : l'écriture, le collage, le dessin…

EM : Combien coute une séance ?

CC : Nous demandons deux euros symboliques par entretien et nous sommes en recherche de subsides. Depuis que nous avons levé le frein financier, les demandes n'ont fait qu'augmenter (d'autant plus avec la crise du coronavirus). Nous travaillons par ailleurs pour pouvoir subvenir à nos besoins mais nous avons espoir qu'à un moment nous pourrons nous investir complètement dans l'asbl et en vivre professionnellement. L'idéal serait de créer plusieurs équipes "étincelle" dans différentes régions de Belgique mais nous devons développer cela. Le film de Vero Cratzborn est sorti au bon moment et c'est un outil formidable pour faire de la sensibilisation dans les écoles.

EM : Vous travaillez également sur la formation des professionnels…

CC : Oui, il est important pour nous de permettre aux professionnels d’élargir leurs pistes de réflexion par rapport à des situations compliquées. C'est le seul axe, pour l'instant, qui rapporte un peu d'argent à l'asbl. Nous voudrions également toucher les écoles et les enseignants car il y a des chiffres qui montrent qu'en moyenne trois enfants par classe sont concernés par cette problématique.

Certaines études montrent que si on accorde au moins une attention et une écoute aux jeunes et qu'on répond à leurs questions, cela fait diminuer la probabilité des maladies auprès des générations suivantes. Il y a un réel impact à cette démarche d'accompagnement.

À un moment, la société s'est dit "on va placer les jeunes qui ont des parents en souffrance psychique pour leur bien-être" mais cela n'a pas nécessairement arrangé les choses. Il y a des situations extrêmes où en effet les enfants doivent être placés mais je pense que dans la plupart des situations, il y a énormément de choses à tenter avant le placement, que ce soit un travail avec l'enfant ou avec la famille.

EM : Comment êtes-vous arrivée au constat qu'il était nécessaire de mieux accompagner ces enfants ?

CC : Ma collègue et moi travaillions en habitation protégée et nous croisions parfois les enfants des résidents. Nous n'étions pas mandatées pour nous occuper des enfants mais nous nous rendions compte qu'il y avait quelque chose à faire et nous ne savions pas vers qui les orienter. Cela avait un aspect très violent car nous passions à côté d'eux en ignorant presque leur présence, en ignorant qu'eux aussi étaient face aux difficultés. Cela nous a fait réfléchir. En cherchant des professionnels pour les aider, nous n'avons pas trouvé grand-chose pour parler du lien entre l'enfant et ce parent en souffrance. Et nous avons voulu répondre à ce besoin.

Le film montre bien tout l'amour qu'il y a dans la famille. Ce n'est évidemment pas toujours comme cela mais même si le parent fait des choses qui ne sont pas correctes, les enfants ont une fidélité immense et un amour énorme pour leur parent. Nous ne pouvons pas leur arracher cela du jour au lendemain ou détruire cela. Nous devons expliquer les choses, répondre à leurs questions, les écouter.

Pour en savoir plus ...

Des lieux pour accompagner l'entourage jeune d'un proche en souffrance psychique

Étincelle : etincelleasbl.com · 0474/08.80.07 · etincelle.soutien.enfant@hotmail.com

Jeunes aidants proches : jeunesaidantsproches.be · 0491/90.50.48 · info@jeunesaidantsproches.be

Similes : wallonie.similes.org · 04/344.45.45 · wallonie@similes.org
             wallonie.similes.org/bruxelles · 02 511 06 19 · bruxelles@similes.org