Soins de santé

Apprendre à soigner avec les nounours

5 min.
© Mathieu Stassart
© Mathieu Stassart
Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

Mercredi, 8h30. Yassir et Grenouille entrent dans les salles de cours situées sur le campus et transformées pour l'occasion en hôpital. Tous les deux s'installent devant Jeanne, étudiante en master 2 de médecine. Yassir est en 3e maternelle, il est venu avec Madame Emmanuelle et l'ensemble de sa classe. Il est impatient de raconter à Jeanne pourquoi Grenouille a besoin de voir un médecin : "Elle a mal au ventre." L'étudiante veut en savoir plus. Quel âge a Grenouille ? Depuis quand a-t-elle mal au ventre ? Yassir aide Jeanne à la peser, à la mesurer. Ils regardent ensemble comment vont sa gorge et ses oreilles, écoutent son cœur et ses poumons. Ensuite, Jeanne montre à Yassir une réglette sur laquelle sont dessinés différents visages qui expriment la douleur de manière croissante : "Grenouille a-t-elle fort mal ? Montre-moi comment elle a mal." Et apparemment, le batracien est bien mal en point.

Il est temps maintenant pour Yassir d’accompagner Grenouille dans la pièce dédiée aux prises de sang et, pour Jeanne, de faire un petit bilan post-consultation : "Ça s'est bien passé ! En tant que médecin, on peut parfois oublier que l'hôpital est un milieu hostile, qui fait peur. Familiariser l'enfant avec le monde médical est important. Par le jeu, l'enfant peut apprendre à dépasser sa peur et comprendre que les actes posés par le soignant visent à aller mieux. J'ai suivi des cours de pédiatrie, mais la clinique des nounours permet d'être réellement au contact de l'enfant. Ceux qui viennent nous voir aujourd'hui sont en bonne santé. Il n'y a pas d'urgence de soins. Avec eux, on peut prendre le temps d'expliquer, avec des mots simples mais justes, tous les actes que nous réalisons. Souvent, les enfants posent des questions ciblées et justifiées. C'est un challenge pour nous d'adapter notre vocabulaire, c'est en quelque sorte un petit retour dans le passé !"

Pour se sentir complètement à l'aise avec ses jeunes patients, Jeanne – comme tous les "nounoursologues" – a suivi une formation. "Des spécialistes de l'enfance nous orientent sur ce qu'il faut dire et faire. Par exemple, aucun acte médical ne doit être posé sur l'enfant, c'est le nounours qui est ausculté. Comme cela, les enfants voient et apprennent par eux-mêmes à peser, mesurer, prendre la température." Jeanne est très satisfaite de cette expérience. "Cela faisait plusieurs années que je voulais m'inscrire à cette activité et je suis heureuse de l'avoir fait avant mon départ du campus l'an prochain", précise-t-elle.

Yassir a été très impressionné : "Comment tu as fait ça ? C'est de la magie ?" Un joli compliment à Camille qui a accompli sa tâche avec précision.

Chirurgien en herbe

C'est le moment de prendre des nouvelles de Grenouille. Le visage de Yassir se crispe. Son protégé a une aiguille plantée dans le bras. Au bout, un récipient se remplit d'un liquide rougeâtre. Le "sang" est confié à Yassir qui se dirige maintenant vers le service de radiologie. On lui explique que, lors de la radio, Grenouille ne doit absolument pas bouger. Yassir rassure sa peluche, lui fait un câlin, et repart avec une photo et un diagnostic : "Elle a mangé trop de bonbons. Elle en a un coincé dans le ventre. Il faut l'opérer."

C'est parti. Gants, masque, blouse de chirurgien… Yassir est équipé et se rend en salle d'opération. "Bip bip bip", l'ambiance est studieuse dans le bloc opératoire. Le petit garçon assiste Camille, la chirurgienne. Ensemble, ils endorment la grenouille et effectuent les gestes qui permettent d'extraire le gros bonbon noir qui fait si mal au doudou. Un pansement et hop, Grenouille se réveille fraiche comme un gardon.

Camille, elle, est impressionnée par la concentration de son jeune assistant qui a assimilé facilement les gestes à accomplir et pris sa tâche très au sérieux. "Il était prêt à réellement couper son nounours pour retirer le bonbon", sourit-elle. Yassir a été très impressionné par l'opération et conclut son expérience par un "Comment tu as fait ça ? C'est de la magie ?" Un joli compliment à Camille qui a accompli sa tâche avec calme et précision.

Emmanuelle, institutrice : "L'intérêt, c'est de démythifier le milieu hospitalier qui peut être impressionnant pour les enfants".

Éduquer à l'hygiène et à la santé

Pour Grenouille, tout va mieux. Place à la seconde étape de la visite. Par groupe de deux ou de trois, les enfants sont sensibilisés à l'éducation à la santé et à l'hygiène. Yassir est accueilli par des étudiants en dentisterie qui, grâce à une grande bouche pleine de dents confectionnées en pâte à modeler, lui expliquent combien il est important de bien se brosser les dents et comment se forment les caries.

Le petit bonhomme passe ensuite à la pharmacie, où le message est clair : "On ne prend jamais de médicaments lorsqu'on n'est pas malade et, quand on doit en prendre, c'est toujours en compagnie d'un adulte". Marguerite, future pharmacienne, lui explique que Grenouille est guérie ; elle ne doit donc pas prendre de "pshit" pour le nez ni utiliser d'aérosol.

Le nounours de Zoé, lui, peut être soigné avec une pommade car il a mal à la jambe. "Les enfants savent plus de choses que ce à quoi je m'attendais", confie Marguerite qui a apprécié le fait d'avoir du temps à sa disposition pour transmettre les messages importants aux enfants.

La visite à la clinique des nounours est presque terminée. Un petit tour du côté du stand des diététiciens. On y rappelle l'importance de boire beaucoup d'eau. Les sodas, c'est pour les grandes occasions. "Quand est-ce qu'on va voir des microbes ?", "Moi j'adore le coca"… Les questions et cris du cœur fusent.

Certains bambins commencent à montrer les premiers signes de fatigue. On sort de la clinique, on remet les manteaux et on croise Lapindicite. Le grand lapin court et joue avec les enfants puis, sans crier gare, s'écroule par terre, victime d'un malaise. Que faut-il faire ? "On le met dans l'eau !" suggère une fillette. "Non ! On appelle un adulte ou on prend le téléphone pour faire le 1.1.2." Deux "nounoursologues" montrent alors comment masser le cœur.

La visite est finie, c'est le moment de la pause de 10 heures. Emmanuelle, l'institutrice, est satisfaite : "On participe chaque année à cette activité. L'intérêt, c'est de démythifier le milieu hospitalier qui peut être impressionnant pour les enfants. Ils se rendent à la clinique des nounours avec leur peluche comme un parent le ferait avec eux. Ils se sentent responsables de la santé de leurs nounours. Quand l'activité est terminée, ils veulent presque tous devenir médecin, infirmier ou radiologue. Ça crée des vocations !", indique-t-elle en clin d'œil.

L'envers du décor

L'idée d'utiliser les doudous et autres oursons pour faire connaissance ou mieux comprendre le milieu hospitalier et les actes médicaux est née en Allemagne, au début des années 2000. Au campus universitaire de l'UCL de Woluwe-Saint-Lambert, c'est la 6e édition annuelle.

Les 21, 22 et 23 mars derniers, 400 étudiants bénévoles ont participé à cette activité et 900 enfants en ont profité. Chaque année, les listes d'attente sont de plus en plus longues. Autant du côté des étudiants qui veulent devenir "nounoursologues" que des écoles et des familles qui veulent y participer.

Preuve du succès de l'initiative, un étudiant en médecine est chargé de l'accueil des journalistes et fait son job efficacement. Avec les autres membres du Kot Libellule et du Pédiakot, deux kots à projets, il travaille à la mise sur pied de l'hôpital fictif chargé d'accueillir des enfants âgés entre 4 et 7 ans.

On le remarque rapidement, tout est rôdé, les groupes d'enfants suivent un parcours cohérent, au timing millimétré, et sont encadrés avec joie et efficacité lors de chacune des étapes. Nulle volonté ici de travestir la réalité. Certes, le vocabulaire est adapté, les salles de radiologie et de chirurgie sont fictives, mais les gestes médicaux et la plupart des équipements utilisés sont authentiques.

Deux semaines avant l'activité, des "nounoursologues" se rendent en classe et établissent un premier contact avec les enfants. Ceux-ci reçoivent un petit carnet dans lequel ils vont noter les symptômes de leur nounours.

La clinique des nounours investit également dans la bonne formation des "nounoursologues" par des experts : pédiatres, pédopsychiatres, infirmiers et autres professionnels de la santé. Elle travaille en partenariat avec les Cliniques universitaires Saint-Luc et différentes hautes écoles.

Les organisateurs de la Clinique des nounours tiennent également à ce que l'activité reste gratuite. Ils reçoivent des subventions mais celles-ci ne suffiront pas à maintenir la gratuité de l'action. Une opération de crowdfunding a donc été lancée sur le site www.okpal.com. La prochaine édition de la clinique des nounours aura lieu les 20, 21 et 22 mars 2018.

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