Soins de santé

Le cancer buccal, une maladie méconnue

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© Serge Manceau BELPRESS
© Serge Manceau BELPRESS
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Cela commence par une simple rougeur dans la bouche. Une bête lésion sur les lèvres, les joues ou la langue. Ou par un gonflement buccal. Et cela se termine, parfois, par une intervention chirurgicale lourde et mutilante qui bouleverse complètement l'apparence physique et la vie sociale de la victime. Voire par son décès. Tel est le profil du cancer buccal. Du moins dans les cas les plus graves, puisqu'il est heureusement possible d'en détecter les signes précurseurs pour éviter un tel scénario.

Diagnostic précoce : tel est le mot d'ordre des Chambres syndicales dentaires, inquiètes devant l'évolution de cette forme de cancer particulièrement invalidante. Les chiffres sont là : depuis une dizaine d'année, c'est le type de cancer qui croît le plus dans toute l'Union européenne. Près de 61.400 nouvelles victimes annuelles. En Belgique, le cancer buccal a frappé 1.200 personnes en 2012, dont 450 en sont mortes. Mais ce dernier chiffre est sous-estimé, estime l'ASBL de défense professionnelle et de sensibilisation, car il tient compte exclusivement des cas traités en milieu hospitalier.

Alcool, tabac et sexe

Les facteurs de risque du cancer buccal sont l'abus d'alcool (particulièrement les alcools forts) et du tabac. "Et leur association ne fait qu'augmenter le risque: de près de 30%", précise Bernard Munnix, président de l'association. Mais il est un troisième facteur qui explique la progression de ces dernières années, particulièrement chez les jeunes : l'infection peut être due au virus du papillome humain (VPH), dont la propagation est favorisée par les pratiques sexuelles buccogénitales. Voilà, en partie, pourquoi le cancer de la bouche frappe presque deux fois plus les hommes que les femmes: ces dernières sont parfois vaccinées contre le VPH afin de diminuer la probabilité de contracter un cancer de l'utérus.

Les signaux

À quoi être attentif ? Aux petits signes évoqués ci-dessus (de même qu'aux aphtes sur les lèvres et aux durcissements des tissus) s'ils persistent au delà de deux semaines. Il est alors conseillé de consulter rapidement son dentiste ou son médecin généraliste qui procédera à une palpation. S'il doute, il proposera des examens complémentaires (dont des radios) ou prescrira une biopsie. Les Chambres syndicales dentaires tapent sur le clou : rien qu'à cette fin, la visite annuelle chez l'un d'eux est indispensable. En effet, si la maladie est détectée suffisamment tôt, le taux de survie à cinq ans est de 80%. Dans le cas contraire, les chances de survie chutent à moins de 50%. Et le prix à payer pour guérir est élevé : reconstruction du visage (après nécrose de la langue et des cloisons), radiothérapie, effets secondaires divers…

Accélérer la prise en charge

En faisant de ce cancer leur thème de campagne en faveur de la santé bucco-dentaire en général, les dentistes des Chambres syndicales ne s'adressent pas uniquement à cette partie du public "qui a parfois tendance à faire l'autruche particulièrement si elle a tendance à boire plus que de raison", mais aussi à leurs collègues, les encourageant à prêter une attention toute particulière aux jeunes. Après tout, ce cancer a beau être en progression généralisée, un dentiste n'en croise jamais que quatre ou cinq tout au long de sa carrière. Au fil du temps, les réflexes de vigilance peuvent s'émousser.

Mais les dentistes adressent aussi un message plus politique aux décideurs. C'est que la Belgique est mal placée dans les statistiques sur le cancer buccal, occupant la septième place (sur 27 pays) en termes d'incidence, bien au delà de la moyenne européenne. Or, en Irlande, une semaine de consultations gratuite, organisée avec le soutien des pouvoirs publics a permis de repérer 6 cancers buccaux parmi une population de 3.000 personnes. Au Portugal, les biopsies prescrites par les dentistes sont remboursées par la sécurité sociale.

Chez nous, ce n'est pas le cas, sauf si l'on passe par un médecin (généraliste, stomatologue, etc.) ; ce qui, dans les cas où la pathologie est à un stade avancé, peut constituer un facteur de ralentissement dommageable. Là aussi, l'exemple portugais fait rêver l'association : si l'examen se révèle positif, le patient de ce pays a droit à une priorité absolue de rendez-vous chez le spécialiste, soit un nouveau gain de temps. "L'idéal serait que la chirurgie maxillo-faciale, complexe et chère pour la collectivité, soit réservée aux victimes d'accidents et que, grâce à la prévention, elle ne soit jamais nécessaire pour nos patients", commente-t-on aux Chambres syndicales…