Soins de santé

Une momie chez le chirurgien dentaire

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Candice Leblanc

Candice Leblanc

 Il y a environ 2700 ans, Osirmose, portier du Temple de Rê sous la XXVe dynastie, souffre terriblement: un kyste ou un gros abcès s'est formé sous les molaires de sa mâchoire supérieure, dans l'os. À cette époque, on applique des onguents et autres remèdes de grand-mère pour traiter des problèmes de bouche mineurs, mais rien de très élaboré. 

Grâce à leurs rituels mortuaires – dont les momies sont autant de témoignages – les Égyptiens avaient pourtant des connaissances anatomiques avancées et pratiquaient certaines chirurgies. "Les papyrus médicaux et les nombreux instruments chirurgicaux que nous avons retrouvés en attestent, confirme Caroline Tillieux, archéologue. Et peut-être ces instruments servaient-ils (aussi) à des interventions dentaires, mais ils n'ont pas été identifiés comme tels." Jusqu'il y a peu, il était admis que les Égyptiens de l'époque n'opéraient pas les dents… Or, une équipe de chercheurs belges a trouvé la preuve d'un geste chirurgical qui visait sans doute à soulager le pauvre Osirmose. 

Une dent dans la gorge

Tout commence en 2015. Dans le cadre d'une thèse de doctorat, les Musées royaux d'Arts et d'Histoire et les Cliniques universitaires Saint-Luc (CUSL) s'associent pour passer plusieurs momies humaines et animales dans un CT-scanner de l'hôpital, en dehors des heures dédiées aux patients, bien sûr. Ces examens d'imagerie en haute résolution permettent d'acquérir et de reconstituer des images en deux ou trois dimensions. Depuis, ces images sont à l'étude.

Un jour, l'équipe des chercheurs remarque une dent dans la gorge d'Osirmose. Ils s'intéressent alors à sa dentition et décident de réaliser une impression 3D de sa mâchoire grâce aux images du CT-scanner. Hors de question, en effet, de "disséquer" la momie : elle tomberait en lambeaux, littéralement ! C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on ne les autopsie plus depuis longtemps. Grâce aux techniques modernes d'imagerie, les chercheurs peuvent désormais les examiner sous toutes les coutures et sonder leurs mystères sans même les toucher.        

Une, deux, trois traces !

Une fois imprimé, l'artefact de la mâchoire est confié en 2018 au Pr Raphaël Olszewski, chef de clinique au Service de chirurgie orale et maxillofaciale des CUSL. Premier constat : Osirmose n'avait pas de belles dents ! "Les lésions multiples montrent qu'il a souffert de plusieurs infections. La plupart de ces lésions sont de formes arrondies, ce qui est tout à fait normal puisque c'est ainsi qu'un abcès se développe." Quelle n'est donc pas la surprise du chirurgien dentaire lorsqu'il remarque une cavité de forme carrée ainsi que la trace de l'extraction d'une racine dentaire. "Celle-ci était dans le chemin pour accéder et vider l'abcès qui s'était formé dans l'os maxillaire et qui était sans doute visé par cette intervention." Le chirurgien note également la présence d'une encoche, probablement causée par un coup de rugine, un instrument qui sert à extraire les dents. "Une seule trace inhabituelle aurait pu être le fruit du hasard, mais trois sur la même mâchoire et le doute n'était plus permis : c'est la main de l'homme qui a creusé ces cavités, pas la nature !"

Une découverte inédite

Le Pr Olszewski ne prend pas tout de suite la mesure de cette découverte inédite. C'est en consultant la littérature et les archéologues qu'il découvre qu'il n'est fait nulle part mention de chirurgie orale et dentaire dans l'Égypte ancienne. 

Il est possible que d'autres momies portent des traces similaires, mais jusqu'ici, personne ne s'était penché sur la question. Les chercheurs bruxellois ont donc bel et bien mis en évidence la toute première preuve d'une chirurgie dentaire égyptienne. Une découverte rendue possible grâce à l'excellent état de conservation de la tête de cette momie, l'accès à des technologies de pointe et une équipe multidisciplinaire passionnée. Chapeau !