Vie sexuelle et affective

Être heureux sans sexe ?

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Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Parce que le sexe est tabou, de nombreuses représentations circulent à son sujet sans que l'on puisse les vérifier. Les autres font-ils plus souvent l'amour ? Sont-ils plus satisfaits ? Plus audacieux ? Au final, en matière d'intimité, chacun trace son propre chemin au gré des rencontres, des contraintes, des croyances diverses et des situations de vie. Et que ce soit pour des raisons médicales, psychologiques, relationnelles ou autres, de nombreuses personnes traversent des périodes d'abstinence plus ou moins longues.

Besoin de contact 

La romancière Emmanuelle Richard, dans son ouvrage Les corps abstinents (1)relaie la parole de ceux qui vivent sans sexe, de façon plus ou moins prolongée et plus ou moins délibérée. Si la définition de ce qu'est l'abstinence varie pour chacun, la majorité des témoignages recueillis s'accordent sur un pointau-delà des différences d'âge, d'orientation sexuelle et de cultureCe qui manque surtout à ceux qui ne font pas l'amour, c'est le contact physique.

"Dans mon cas, confie l'écrivain qui a elle-même expérimenté l'abstinence pendant cinq ansj'ai trouvé ce manque de toucher  tendresse physique, caresses et étreintes — extrêmement éprouvant à gérer (...) cette difficulté est partagée par presque tous (…) bien loin devant le manque du plaisir et de la jouissance à deux." Il est plus difficile de se passer des marques d'affection, des gestes tendres, de la simple présence d'un autre, que du sexe à proprement parler

Le drame des abstinents sexuels, c'est que ce degré d'intimité affective qui leur manque tant se vit rarement en dehors du cadre amoureux ; il semble difficile de rencontrer quelqu'un qui accepte d'entretenir une relation de proximité physique sans échanges sexuels et sans jeux de séduction.

Une sexualité confinée 

Le Covid a bousculé nos intimités et exacerbé ce manque. Pour les célibataires, le confinement a réduit les possibilités de nouvelles rencontres ; pour les couples établis, il a parfois diminué l'espace et le temps alloués à la sexualité. Certains ont perdu leur partenaire durant cette période. Le manque de contacts charnels s'est accentué, en particulier pour les veufs et les célibatairesmais aussi pour les non-cohabitants, parfois géographiquement éloignés.

"Une enquête épidémiologique britannique a évalué l’impact de l’auto-isolement et de la distanciation sociale pendant une dizaine de jours ou plus sur un échantillon de 868 adultes. Les résultats publiés dans la revue Journal of Sexual Medicine montrent que 40 % d’entre eux avaient une activité sexuelle au moins une fois par semaine. En revanche, 60 % des participants ont rapporté ne pas avoir été sexuellement actifs durant cette période." (2)

Un temps parfois nécessaire 

La sexualité est liée à l'image de soi, aux rapports que l'on entretient avec les autres, marqués par une confiance plus ou moins grande. Elle s'inscrit aussi dans un système de valeurs et parfois des convictions religieusesMais elle est surtout façonnée par les (fausses) représentations qui en sont faites. À propos de ces modèles, Emmanuelle Richard affirme qu'ils "nous fragilisent et nous enferment tous" et constate un "ras-le-bol général des sommations, normes et stéréotypes". L'absence de relations sexuelles n'est pas nécessairement une anomalie. "Les sexologues et thérapeutes de couple n'ignorent pas qu'une partie non négligeable de ce que l'on nomme 'couples' n'ont pas ou plus de rapports sexuels après quelques années", note-t-elleL'important n'est pas de correspondre à un quelconque modèle, mais d'être à l'aise avec sa situation.

Généralement perçue comme un manque et une source de souffrance, l'absence temporaire de sexualité est parfois un passage nécessaire pour guérir une blessure sentimentale. Après une rupture douloureuse ou le décès de son partenaire, l'envie de reprendre une activité sexuelle n'est pas toujours présenteLe choix de ne pas partager son intimité peut également résulter d'une perte de confiance suite à un abus ou un traumatisme. Dans de tels cas, un travail psychologique est nécessaire avant d'envisager le retour à une vie sexuelle épanouie, en accord avec ses désirs.

Une période d'abstinence, même si elle ne résulte pas d'un choix au départ, peut laisser place à la découverte de soi ou à une certaine paix, en permettant de faire le point sur ses besoins, ses attentes. Le remède, parfois, résidera dans l'acceptation de son non-désir, tant par soi-même que par un éventuel partenaire. Loin de toute pression sociale et des injonctions normatives.


  1. Emmanuelle Richard, Les corps abstinents. "J'ai discuté avec celles et ceux qui comme moi ne font plus l'amour", éd. Flammarion, 2020 

  1. "Amour et sexualité à l’heure de la Covid-19", Le Monde, 14 février 2021