Vie sexuelle et affective

Ménopause, un tabou persistant     

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Les bouffées de chaleur incommodent 3 femmes sur 4 lors de leur ménopause. (c)AdobeStock
Les bouffées de chaleur incommodent 3 femmes sur 4 lors de leur ménopause. (c)AdobeStock
Julie Luong

Julie Luong

La ménopause marque la fin des règles et de la période de fertilité de la femme. Chez toutes les femmes, partout dans le monde, elle survient entre 45 et 55 ans, avec un âge médian de 51 ans. D’un point de vue médical, on considère qu’une femme est ménopausée lorsqu’elle n’a plus eu de règles pendant douze mois. Mais il est fréquent que ce moment soit précédé d’une période de quelques années – la périménopause ou la "transition de ménopause" – où les règles deviennent irrégulières avant de s’arrêter tout à fait. Fanny, 45 ans, n’y était pas du tout préparée. Son dernier né venait d’avoir un an quand elle a constaté qu’elle n’avait plus eu ses règles depuis trois mois. "J’ai j’ai toujours été réglée comme une horloge, raconte cette manager dans le secteur de la santé, mère de trois enfants. Mais comme j’avais seulement 41 ans et qu’on sortait du premier confinement, ma gynéco a mis ça sur le compte du stress..."
Les règles sont revenues, mais espacées de plusieurs mois. " J’ai aussi commencé à avoir un sommeil très perturbé, alors que j’avais toujours dormi comme un bébé", poursuit Fanny. Dans la vie surbookée de cette quadragénaire, ces mauvaises nuits ressemblent à la goutte d’eau qui fait déborder le vase. "Si j’y arrivais, c’est justement parce que j’avais toujours eu beaucoup d’énergie et un sommeil nickel, mais là..." Quelques mois plus tard, Fanny est réveillée par des bouffées de chaleur, qui déstructurent un peu plus son sommeil. Elle décide alors de prendre un deuxième avis et trouve une oreille attentive auprès d’une spécialiste de la ménopause. Une prise de sang viendra confirmer des taux d’hormones en chute libre. Quatre ans plus tard, Fanny n’a qu’une hâte : être en ménopause "définitive "pour se voir prescrire un traitement hormonal et se sentir "mieux dans sa peau".

Disqualification du corps stérile 
Bouffées de chaleur, problèmes de sommeil, douleurs articulaires, prise de poids, sécheresse vaginale : en dépit de ses nombreuses répercussions, la ménopause a longtemps été considérée par la société et le corps médical comme une étape qui devait être endurée sans se plaindre. Un silence qui témoigne, comme l’a montré la sociologue Cécile Charlap, autrice de "La Fabrique de la ménopause" (CNRS Editions, 2019), d’un système de représentations plus large "qui disqualifie le corps féminin stérile". À la ménopause, les femmes vivent d’une part une invisibilisation sociale tandis que de l’autre, elles se sentent en proie à toute une série de symptômes dont personne ne les avait prévenues. "Aujourd’hui, on voit quand même certaines femmes, notamment parmi les célébrités et sur les réseaux sociaux, qui essaient de briser le tabou", se réjouit le Dr Anne Firquet, cheffe de clinique en gynécologie et responsable du centre de la ménopause du CHR Citadelle de Liège. 

Si une minorité de femmes ne présentent pas du tout de symptômes à la ménopause, trois sur quatre sont notamment concernées par les bouffées de chaleur.

Si une minorité de femmes ne présentent pas du tout de symptômes à la ménopause, trois sur quatre sont notamment concernées par les bouffées de chaleur, qui se traduisent par des sensations de "chauds et froids", accompagnées de rougeurs du cou et du visage, mais aussi d’épisodes de transpiration abondante. Vertiges, palpitations et oppression thoracique sont chez certaines les immuables signes avant-coureurs d’une nouvelle "bouffée", une manifestation vécue comme particulièrement gênante, notamment quand elle se produit en public.

Brouillard cérébral
Récemment, la recherche a par ailleurs mis en avant un autre symptôme de la ménopause longtemps ignoré : le brain fog ou "brouillard cérébral", qui concernerait au minimum 40 % des femmes en période de transition de ménopause (1). "Les patientes peuvent ne plus trouver leurs mots, avoir des problèmes de mémoire, ne plus oser prendre la parole en public, se sentir dévalorisées, dissociées même, complètement à côté de leur corps", détaille Anne Firquet. Fanny s’y reconnaît tout à fait. "Au boulot, il fallait qu’on me répète les choses, alors que j’ai toujours eu une mémoire d’éléphant. Lorsqu’on était en visio-conférence, je devais parfois faire un effort phénoménal pour ne pas perdre le fil. J’avais déjà l’impression d’avoir pris un coup de vieux physiquement, ce qui a aggravé ma perte de confiance de moi", confie-t-elle. Un symptôme d’autant plus fréquent et perceptible chez les femmes qui ne prennent pas ou plus de contraception orale, et pour lesquelles la descente hormonale est alors plus soudaine.

Si le silence se fissure peu à peu et que les femmes commencent à parler entre elles de leurs symptômes, ceux-ci demeurent un impensé en milieu professionnel.

Ces symptômes de confusion mentale, quand ils ne sont pas disqualifiés, peuvent être mis à tort sur le compte d’une dépression. "Des femmes viennent voir leur généraliste en se plaignant d’être au bout de leur vie, raconte Anne Firquet. Elles se disent irritables, avec une envie de tuer tout le monde pour se sentir super tristes deux secondes après, alors que rien n’a fondamentalement changé... Tout ça dans un contexte où elles ont parfois encore des ados à la maison mais aussi des parents vieillissants, une vie sexuelle pas toujours terrible et un boulot où elles sont en train de craquer..." De nombreuses femmes se voient dès lors prescrire des anxiolytiques et/ou des antidépresseurs sans que la cause hormonale soit investiguée. "Il faut aujourd’hui attirer l’attention sur le fait que le 'brain fog' est reconnu comme un symptôme de la transition de ménopause et que chez une femme qui n’a jamais eu de symptômes dépressifs, il faut pouvoir faire le lien", souligne Anne Firquet.

Des travailleuses épuisées
Si le silence se fissure peu à peu et que les femmes commencent à parler entre elles de leurs symptômes, ceux-ci demeurent un impensé en milieu professionnel. "Les femmes osent encore très peu en parler à leur boulot, constate la spécialiste. Si son employeur est un homme, une femme va rarement aller lui dire qu’elle n’en peut plus et qu’il faudrait des jours off, faire du télétravail ou simplement adapter son horaire..."  Ignorer les symptômes physiologiques associés à la ménopause accroît la pression sur les femmes au travail. "Aujourd’hui, on a beaucoup de considération pour la femme enceinte, de plus en plus pour les endométrioses... mais cette transition de ménopause, en revanche, demeure encore très taboue."
Une étude menée récemment en Belgique par l’UGent et Securex auprès de 2.408 travailleuses a montré que 87,6 % des femmes ménopausées avaient été confrontées aux symptômes de la ménopause. 55,3 % ont déclaré en avoir été gênées dans leur travail. Or, en Belgique, plus de 4 travailleuses sur 10 (43,3 %) ont 45 ans et plus, ce qui représente un cinquième de la population active totale. "Avant, la pension, c’était à 55 ans. Désormais, on bosse jusque 67. Or la ménopause continue d’arriver au même âge, relève Anne Firquet. Les études montrent qu’il y a beaucoup de burn-out et d’incapacités dans la vie des femmes à cette période de leur vie." Un accompagnement médical et professionnel adéquat permettrait d’éviter nombre de ces situations, encore trop souvent vécues dans la culpabilité. Fanny, qui a frôlé le burn-out avant de se résoudre à demander certains aménagements s’est aujourd’hui donné une règle : être particulièrement attentive à ses collaboratrices de 45 ans et plus.

Des traitements hormonaux efficaces

Aujourd’hui, les traitements hormonaux permettent de limiter, voire de supprimer les manifestations indésirables de la ménopause. "La substitution hormonale permet de rendre à la patiente ce qu’elle ne produit plus, c’est-à-dire l’œstradiol et la progestérone. Ce sont des traitements bio-identiques, très proches des hormones naturelles", insiste Anne Firquet. La majoration du risque de cancer du sein, souvent redoutée par les patientes, reste très faible en regard des autres facteurs de risque connus : excès de poids, sédentarité, consommation d’alcool... "Même les antécédents familiaux de cancer du sein ne sont pas une contre-indication, précise Anne Firquet. En revanche, nous sommes particulièrement vigilants en cas de densité mammaire élevée – c’est-à-dire quand le sein contient beaucoup de glandes, ce qui ne peut être déterminé qu’à la mammographie."
Si elle est désirée, cette substitution hormonale doit être initiée rapidement après la ménopause. "Il n’est pas bon d’exposer à nouveau les artères à des hormones alors qu’elles ne l’ont plus été depuis plusieurs années", explique Anne Firquet. En revanche, il n’existe plus d’âge d’arrêt recommandé de manière uniforme. "On favorise une médecine très individualisée, où la décision va se prendre en fonction du dossier médical de la patiente. Beaucoup de femmes continuent à ressentir une aide véritable, même après 65 ans, au niveau articulaire, musculaire, sexuel, psychologique et même du tonus général. L’idéal est donc de réévaluer tous les deux ans la situation."