Vie sexuelle et affective

Qui ne dit rien NE consent PAS !

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Candice Leblanc

Candice Leblanc

L’année dernière, l’ex-petit ami de Zoé (*) l’a violée. "Notre couple battait de l’aile depuis plusieurs mois, raconte-t-elle. Il n’avait jamais été physiquement violent, mais il devenait de plus en plus agressif dans ses paroles. Bref, un jour, il passe chez moi pour qu’on discute. Je revenais du travail et j’ai pris une douche. Je suis sortie de la salle de bain en peignoir et je suis allée dans ma chambre pour m’habiller. Il m’y attendait. Il s’est approché et il a commencé à m’embrasser. Il avait envie, mais pas moi, j’étais fatiguée et pas d’humeur. Je le lui ai dit, mais il a continué à m’embrasser, à me toucher… Je lui ai demandé d’arrêter. Là, il a commencé à s’énerver et il m’a poussée sur le lit… À partir de là, je me suis comme déconnectée, j’étais paralysée et… il en a profité pour faire ce qu’il voulait. Je n’arrivais pas à croire ce qui arrivait, que ça m’arrivait… Au fond de moi, j’avais envie de crier, mais plus aucun son ne sortait de ma bouche…"

Des victimes sidérées

Ce phénomène, c’est la sidération psychique, un état de stupeur émotive où, suite à un choc, la personne est figée, inerte ou rigide et tremblante, dans un état proche de la catatonie. Loin d’être rare, la sidération accompagne la grande majorité des viols. "Pendant une agression sexuelle, 100 % des enfants et 60 à 80 % des adultes sont sidérés, explique Miriam Ben Jattou, juriste et présidente de l’ASBL Femmes de Droit. Ils ne se défendent ni ne protestent pas ou plus." Ce qui permet souvent à l’agresseur de prétendre, le cas échéant qu’il y a eu consentement puisqu’il n’y a pas eu résistance. C’est le fameux et terrible "Qui ne dit rien consent" qui, en plus d’être faux, engendre souvent chez les victimes un fort sentiment de honte et de culpabilité… Pire : jusqu’il y a peu, un viol n’était considéré juridiquement comme tel en Belgique que s’il y avait eu violence, contrainte, menace ou ruse. "Des conditions qui ne tenaient pas du tout compte du phénomène de sidération ni de toutes les circonstances où la victime n’est tout simplement pas en état ou en position de refuser l’acte sexuel", rappelle Miriam Ben Jattou. Heureusement, cette époque est révolue.

Consentir, c’est la base !

Depuis le 1er juin, c’est l’absence de consentement qui établit l’infraction sexuelle. Consentement qui est d’ailleurs défini dans le nouveau texte de loi (voir encadré). Et ça change tout ! "Avant, dans les affaires de viol, il s’agissait de vérifier si la victime avait manifesté une certaine résistance physique et/ou verbale, commente Lorena Weyckmans, juriste au Service de droit pénal européen du SPF Justice. Ce ne sera plus le cas. Ni les auteurs ni les juges ne pourront plus présumer de l’accord de la victime sur base de son absence de réaction. Désormais, si un acte sexuel n’est pas consenti de façon libre, celui-ci peut être qualifié d’agression sexuelle."   

Le texte liste aussi une série de situations où il n’est pas possible de consentir (librement) : quand la victime dort, est inconsciente, sous l’influence de substances psychotropes ou de l’alcool, etc. "Ces derniers cas sont emblématiques des lacunes qu’il y avait dans l’ancienne législation, poursuit la juriste. Dans la jurisprudence, quand une femme alcoolisée ou droguée subissait un viol, il y avait cette idée que, non seulement elle avait été imprudente (et, donc, que c’était un peu de sa faute…), mais en plus, comme elle n’avait pas les idées et la mémoire des faits claires, le juge ne pouvait pas exclure la possibilité que, au fond, peut-être, elle était un peu d’accord… Les termes de la nouvelle loi remettent les pendules à l’heure."  

Pas de consentement des (jeunes) mineurs

Le législateur veut aussi davantage protéger les mineurs. La majorité sexuelle reste ainsi fixée à 16 ans. Avant cela, on considère que le jeune n’est pas en mesure de consentir de façon éclairée. Toutefois, afin de ne pas intervenir inutilement dans les amours adolescentes, à partir de 14 ans révolus, le ou la mineure d’âge "peut consentir librement si la différence d’âge avec l’autre personne n’est pas supérieure à trois ans" (Art. 417/6). Par exemple, une jeune fille de 15 ans peut avoir des rapports sexuels – consentis, naturellement – avec son petit ami ou sa petite amie de 17 ans sans que celui ou celle-ci soit inquiétée. En revanche, si le ou la partenaire est plus âgée, il y aura infraction. Idem si le mineur n’a pas encore 14 ans. Dans ce cas, le législateur considère que tout rapport sexuel relèvera automatiquement du viol, quoi qu’en dise la victime.

D’aucuns s’inquiètent que ces conditions strictes ne soient pas adaptées aux mœurs des adolescents actuels. Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’âge du premier rapport sexuel n’a pas vraiment baissé ; il tourne toujours autour de 17 ans. De plus, ces dispositions visent à éviter les situations d’emprise et d’abus telles que celle décrite et vécue par Vanessa Springora dans Le consentement, récit autobiographique où elle raconte la liaison qu’elle a entamée à 14 ans avec l’écrivain Gabriel Matzneff, alors âgé de 49 ans.

Circonstances aggravantes

En outre, le législateur considère qu’il n’y a jamais de consentement possible de la part du mineur si l’auteur de l’infraction sexuelle est un membre de la famille jusqu’au troisième degré "ou toute autre personne qui occupe une position similaire au sein de la famille (tel un beau-parent, un demi-frère par alliance, etc.) ou cohabitant habituellement ou occasionnellement avec le mineur" (un colocataire adulte, par exemple) (Art. 417/6). "Outre la notion d’autorité qui s’appliquait déjà aux parents, tuteurs ou professeurs, la législation évoque aussi la position de confiance ou d’influence sur le mineur, commente Lorena Weyckmans. C’est important puisque ça permet dès lors d’inclure tout un éventail de personnes présentes dans la vie du jeune : chef scout, entraineur sportif, mentor, etc. Détenir une telle position sera considéré comme une circonstance aggravante, passible de plusieurs années de prison supplémentaires."  

Céder n’est pas consentir…

Si Zoé dit n’avoir été violée qu’une seule fois par son ex, elle évoque plusieurs autres rapports sexuels qui, certes, n’ont pas été imposés avec la même violence, mais dont elle n’avait pas plus envie que ça. "Il insistait beaucoup, s’énervait et, parfois, je cédais, juste pour avoir la paix et éviter une dispute…" C’est le mot "céder" qui pose ici question. Il implique qu’il y a insistance, pression de la part du partenaire ; au final, l’autre se résigne, voire se force à accepter un acte sexuel dont il ou elle n’avait aucune envie au départ. Dans ces circonstances, peut-on encore parler de consentement ? "De mon point de vue, non, répond Miriam Ben Jattou. Céder, ce n’est pas consentir de façon libre et enthousiaste ! La notion de désir n’apparait nulle part dans la définition légale du consentement. C’est dommage. On reste quand même dans une vision très stéréotypée de l’hétérosexualité : l’homme propose, la femme dispose, l’un est dans l’action et l’autre dans une attitude passive."

La preuve diabolique

De plus, si tout le monde s’accorde à reconnaitre que la prise en compte du consentement dans la nouvelle législation est une avancée majeure, dans les faits, il n’est pas certain qu’elle permettra de sanctionner davantage d’agresseurs. Pour rappel, en Belgique, plus de la moitié des plaintes pour viol sont classées sans suite – c’est-à-dire qu’il n’y a même pas de procès ! – et moins de 10 % aboutissent à une condamnation. Prouver un viol restera difficile. "Démontrer l’absence de quelque chose – ici le consentement – relève de ce qu’on appelle en droit romain une preuve 'diabolique', explique la présidente de Femmes de Droit. Il s’agit de prouver quelque chose qui n’a pas de réalité matérielle. Voilà pourquoi il est si difficile pour les plaignantes d’obtenir justice : au final, c’est souvent 'parole contre parole'… En fait, tout dépend de la façon dont la loi sera appliquée et interprétée par les juges et par les avocats. Il faut attendre de voir comment la jurisprudence va se constituer sur ces nouvelles bases. De plus, même si le droit est un outil puissant, il ne saurait suffire à mettre un terme aux violences sexuelles qui, si elles n’épargnent pas les hommes, concernent des filles et des femmes dans 93 % des cas. Sans éducation sur ces questions, notamment sur le consentement, les violences de genre perdureront."

 

(*) Le prénom de la victime a été modifié.

Consentement : que dit la nouvelle loi ?

"Le consentement suppose que celui-ci a été donné librement. Ceci est apprécié au regard des circonstances de l’affaire. Le consentement ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance de la victime. (Il) peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte à caractère sexuel.

Il n’y a pas de consentement

  • lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap, altérant le libre arbitre (…) ;
  • si l’acte à caractère sexuel résulte d’une menace, de violences physiques ou psychologiques, d’une contrainte, d’une surprise, d’une ruse ou de tout autre comportement punissable (…) ;
  • lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis au préjudice d’une victime inconsciente ou endormie." (Art. 417/5 du Code pénal)