Vie sexuelle et affective

Sous les jupes des filles
 

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Les infractions sexuelles sont désormais mieux définies. (c) AdobeStock
Les infractions sexuelles sont désormais mieux définies. (c) AdobeStock
Candice Leblanc

Candice Leblanc

Depuis le 1er juin, les crimes et délits sexuels relèvent des infractions contre la personne et non plus contre l’ordre des familles et la moralité publique, comme c’était le cas avant. Le législateur entend ainsi consacrer et protéger l’autonomie sexuelle des individus. Au-delà du symbole, ce changement témoigne de ce qui, aujourd’hui, devrait être une évidence pour tout le monde : en matière de sexualité, la liberté d’un individu s’arrête là où commence celle de l’autre. Or, certains comportements, autrefois tolérés, enfreignent ces limites "sacrées". Comme nul n’est censé ignorer la loi – aussi complexe et alambiquée soit-elle pour les profanes ! – faisons le point sur ce qui relève des infractions sexuelles.   

Retirer la capote en douce…

Le consentement est maintenant défini dans la loi (1). Donné de façon libre, il peut être retiré à tout moment, aussi bien avant que pendant l’acte. Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? D’abord, que le consentement est spécifique : accepter une pratique sexuelle ne veut pas dire consentir à tout le Kama-sutra ! Par exemple, la jurisprudence belge a établi depuis longtemps qu’accepter une pénétration vaginale ne signifie pas que la femme consente à une sodomie ; si son conjoint la lui impose malgré son refus, c’est un viol.

Idem si un homme retire le préservatif pendant la relation sexuelle, à l’insu ou sans l’accord du ou de la partenaire. Cette pratique, stealthing en anglais (qui signifie "furtivement, discrètement"), relève bel et bien du viol : non seulement la personne est flouée dans son consentement – elle n’a pas consenti à un rapport sexuel non protégé ! – mais elle est aussi exposée à un risque de grossesse non désirée ou d’infection sexuellement transmissible.

Sexe oral non consenti = viol

Avant, toute pénétration (anale, vaginale, orale) non consentie était considérée comme un viol, mais à condition que ce soit la victime qui soit pénétrée. Par contre, les pratiques de sexe oral (fellation, cunnilingus…) que devait subir une victime ne rentraient pas dans cette conception, même lorsqu’elles étaient infligées à des enfants. Ces actes étaient plutôt qualifiés d’attentats à la pudeur, avec des peines moins sévères pour les auteurs. La réforme du droit pénal sexuel remédie à cette lacune. Désormais, le sexe oral non consenti – qu’il soit "donné" ou "reçu" par la victime – relève également du viol. "En effet, le législateur a ajouté la notion de 'avec l’aide de la personne', explique Maitre Laure Letellier, avocate au Barreau de Bruxelles et membre de Fem&L.A.W (2). Par exemple, faire une fellation à un (jeune) homme sans son consentement, c’est le violer. Et si la victime a moins de 16 ans ou s’il y a d’autres circonstances aggravantes (inceste, situation de vulnérabilité, etc.), la peine d’emprisonnement sera alourdie."

Vous avez été victime d’agression sexuelle ?

Le conseil des juristes est unanime : rendez-vous dans un Centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS). Situés dans des hôpitaux, vous pouvez y bénéficier de soins médicaux, d’un soutien psychologique et de la possibilité (non obligatoire) de déposer plainte auprès de policières et policiers formés à ces questions. Il existe actuellement sept CPVS en Belgique, dont trois dans la partie francophone :

Vous pouvez également chatter anonymement et gratuitement avec des professionnelles sur www.maintenantjenparle.be ou www.sosviol.be. Une ligne d’écoute Violences sexuelles est également accessible au 0800 98 100. 

Avec ou sans culotte ?

Autre notion à avoir été revue : le voyeurisme. Cette violation de l’intimité sexuelle était déjà réprimée dans l’ancien Code, mais il y avait un défaut dans le texte : il fallait que la personne soit dénudée pour que le voyeurisme soit qualifié comme tel. "Il y a quelques années, cette subtilité a permis l’acquittement d’un homme qui avait pris des photos sous la jupe de plusieurs femmes, raconte Me Letellier. Son avocat avait argué que, comme les plaignantes portaient une culotte, il n’y avait pas de nudité à proprement parler. Et, donc, pas de voyeurisme…" Le législateur a donc revu sa copie ; la condition de dénudée est maintenue, mais elle est définie de manière à inclure la pratique d’upskirting (regarder sous la jupe ou la robe d’une personne à son insu ou par surprise) ou y prendre des images  (creepshots en anglais) puissent être considérés comme du voyeurisme et sanctionnés comme tel… avec ou sans culotte.

En parlant de photos, un autre phénomène est très répandu sur les réseaux sociaux, les sites de rencontre et les messageries électroniques : les dick pics, c’est-à-dire l’envoi non sollicité et non consenti de photos de pénis, souvent en érection. Ce comportement ne relève pas du droit pénal sexuel, mais bien du harcèlement téléphonique (Art. 145, § 3bis de la loi du 13 juin 2005 sur les communications électroniques). Il peut donc être poursuivi et sanctionné.  

Une sale vengeance

Deux autres infractions existaient déjà dans le Code pénal, mais ont été reprises dans le nouveau texte : la diffusion non consentie de contenus à caractère sexuel (Art. 417/9), avec une intention méchante ou dans un but lucratif (Art. 417/10). Ce type de délit consiste à montrer, rendre accessibles ou diffuser des images ou des enregistrements audiovisuels d’une personne dénudée ou se livrant à une activité sexuelle explicite sans son accord, même si ladite personne a consenti à leur réalisation. Exemple typique : le revenge porn, quand une personne dévoile publiquement des photos ou vidéos sexy d’une ex-compagne dans le but de s’en venger, la punir ou la faire taire. Humiliants pour les victimes, ces agissements ont été multipliés par six entre 2016 et 2020 et ont explosé durant la pandémie et les confinements (3)…

Si les hommes ne sont pas épargnés, 90 % des victimes de revenge porn sont des (jeunes) femmes, parfois mineures. Ces dernières hésitent souvent à porter plainte, soit par méconnaissance de la loi, mais aussi à cause de la honte et de la culpabilité (infondées s’il en est !) qu’elles éprouvent, notamment vis-à-vis de leurs parents. Or, outre les dispositions pénales, une première loi votée en avril 2020 permet aux autorités judiciaires de faire retirer les contenus incriminés des plateformes en quelques heures. Pour ce faire, les victimes sont invitées à prendre rapidement contact avec l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes (www.igvm-iefh.belgium.be), qui peut les assister dans ces démarches. Quant aux auteurs, ils risquent un à cinq ans d’emprisonnement et jusqu’à 10 000 euros d’amende.

Du "frottisme" aux mains baladeuses

Une nouvelle expression a également fait son entrée dans la loi : l’atteinte à l’intégrité sexuelle qui "consiste à accomplir un acte à caractère sexuel sur une personne qui n’y consent pas" (Art. 417/7). Elle remplace l’ancien "attentat à la pudeur". "C’est une catégorie un peu fourre-tout, commente Diane Bernard, professeur de droit et de philosophie à l’Université de Saint-Louis et membre de Fem&L.A.W. On peut y mettre les actes sans pénétration, ceux qui ne rentrent dans aucune des autres infractions sexuelles de base – à savoir le viol, le voyeurisme et la diffusion non consentie d’image – mais qui, comme celles-ci, s’inscrivent dans un contexte de non-consentement." Exemples : mettre la main aux fesses, attraper une poitrine ou un entrejambe ou encore se frotter délibérément contre une personne ("frottisme") dans les transports en commun ou même dans un lieu privé constituent autant d’atteintes à l’intégrité sexuelle d’une personne. Elles sont punissables de six mois à cinq ans d’emprisonnement.      

Vers la fin de l’impunité ?

Si tout le monde salue l’avancée que représente la modernisation du Code pénal sexuel, de nombreux juristes s’interrogent sur son application et son efficacité sur le terrain. Ce texte va-t-il permettre de mieux sanctionner les infractions sexuelles et de mettre davantage de violeurs en prison ? Rien n’est moins sûr. "Les affaires de mœurs sont celles où il y a le plus d’acquittements (4), rappelle Adrien Masset, professeur de droit pénal à l’ULiège. Dans les affaires de viol, il y a rarement des preuves irréfutables de l’agression, comme des vidéos, des témoins ou des aveux. Je ne suis pas sûr que cette réforme changera grand-chose à ce niveau, même si on ne peut que saluer la portée symbolique ou pédagogique de ces dispositions pénales." En effet, les choses se résument souvent à "parole contre parole" et il revient encore à la victime de prouver qu’elle n’était pas consentante. C’est ce qu’on appelle la charge de la preuve et, malgré des propositions en ce sens et quelques dispositions pour l’alléger (5), elle n’a pas été renversée dans la réforme. "Il y a deux grands enjeux dans la politique pénale, commente la Pr Bernard. Premièrement, est-ce qu’on prend vraiment au sérieux la parole des victimes ? Je ne pense pas. Il y a encore beaucoup de stéréotypes de genre dans le monde judiciaire – et dans la société en général. En témoigne la victimisation secondaire au cours des procédures, quand on croit bon d’interroger le comportement de la victime : qu’a-t-elle fait, dit, porté pour se retrouver dans cette situation ? Deuxièmement, je ne suis pas sûre qu’alourdir les peines de prison va diminuer les risques de récidive pour la minorité d’auteurs condamnés ni dissuader les autres d’agir. En outre, le plus important, c’est le concret, la mise en œuvre pratique : si chaque plainte était prise au sérieux, si chaque auteur présumé était systématiquement convoqué à la police pour y être entendu, si on enquêtait davantage, si on classait moins sans suite, le message envoyé à la société serait bien plus puissant…Et les victimes, mieux considérées."