Droits sociaux

Bruxelles et la Wallonie, prêtes pour le grand saut

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© Belpress / Philippe Turpin
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Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Il fut un temps où les allocations familiales étaient délivrées aux parents jugés les plus méritants par leur patron. Ce système inéquitable est derrière nous depuis belle lurette. Mais les changements qui interviendront bientôt dans ce régime fondamental de notre sécurité sociale n'en marqueront pas moins une nouvelle révolution. Pour la première fois, en effet, les enfants percevront des montants différents selon qu'ils résident en Région de Bruxelles Capitale, en Wallonie, en Région flamande ou en Communauté germanophone. Tel est le résultat (parmi d'autres) de la sixième réforme de l'État décidée en 2011 : le transfert de la compétence des allocations familiales aux "entités fédérées".

Peu de gens − et certainement pas l'immense majorité des familles − réclamaient cette dissociation, mais ainsi évolue notre paysage socio-politique depuis le milieu du vingtième siècle… Lesdites "entités" se répartissent donc une manne de plus de 6 milliards d'euros qui, pour l'essentiel des familles, constituent une aide substantielle − sinon vitale − pour payer les frais liés à l'éducation des enfants.

2020, date fatidique

Avec quels résultats concrets pour celles-ci ? Il est impossible, en quelques lignes, de comparer dans le détail les montants versés dans les différentes zones géographiques et d'affirmer si une région est globalement plus favorable aux enfants qu'une autre. En effet, les situations familiales dépendent non seulement du nombre d'enfants pris en compte, mais aussi du moment exact où l'on examine leur situation : les enfants… grandissent et peuvent à certains moments, par exemple à 12 ou 18 ans, bénéficier de suppléments liés à l’âge.

On peut toutefois tracer quelques constats généraux, le premier portant sur la date d'entrée en vigueur des modifications. En Wallonie, il s'agira du 1er janvier 2020 (et non 2019, comme annoncé initialement par le gouvernement wallon). La réforme ne concernera que les enfants nés après cette date. Pour ceux qui sont déjà nés ou qui naîtront d'ici à cette échéance, le régime ne changera pas (sauf exceptions) jusqu'à la fin de leur droit au bénéfice, c'est-à-dire 24 ans. À Bruxelles, l'application intégrale de la réforme ne se fera qu'en 2026. À partir de ce moment, tous les enfants bénéficieront du même montant (150 euros, hors suppléments). Une sorte de période transitoire s'écoulera toutefois entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2026. Pendant celle-ci, les enfants nés avant le 1er janvier 2020 bénéficieront d'une allocation de base de 140 euros, ceux qui sont nés après cette date auront droit à un montant de 150 euros.

Des montants préservés ou améliorés

Constat important : ni en Wallonie, ni à Bruxelles les familles ne perdront le moindre euro. Certaines, au pire, verront les montants versés rester identiques par rapport à la situation actuelle. D'autres − elles seront très nombreuses à Bruxelles − y gagneront. La grande nouveauté, dans les deux régions, est que les suppléments "sociaux" ne seront plus ajoutés en fonction du statut des parents (chômeurs, invalides, etc.) mais bien en fonction de leurs revenus et de la taille de la famille. Une exception à ce principe, au sud du pays : les suppléments sont majorés en cas d'invalidité d’un parent.

En Wallonie, le montant de base par enfant ne progressera plus en fonction du nombre d'enfants dans la famille. Il s'agira de 155 euros par enfant entre 0 et 18 ans et de 165 euros entre 18 et 24 ans. Une exception à ce principe de nonprogression : les familles à faible revenu et de minimum trois enfants bénéficieront d'un supplément de plusieurs dizaines d'euros (il varie selon les revenus) par enfant.

À Bruxelles, le montant de base sera également identique pour chaque enfant, mais le système de suppléments favorisera les familles à partir de deux enfants. En effet, les suppléments d’allocations liés à l’âge de l’enfant et les suppléments pour familles monoparentales ne seront octroyés qu’aux familles de minimum deux enfants.

Les parents isolés défavorisés

Si elle s'est réjouie du constat général "personne ne perd", la Ligue des familles a déploré la complexité générale du système. Mais surtout, à Bruxelles, elle s'inquiète du sort des familles monoparentales, particulièrement celles qui comptent un seul enfant (44% des familles dans la capitale !). Celles-ci toucheront 190 euros (pour 210 en Wallonie). En Wallonie, c'est la situation des familles qui auront eu un ou plusieurs enfants avant 2020 et en auront d'autres après cette date qui interpelle la Ligue − en particulier les familles de 3 enfants ou plus. Celles-là, sans pour autant gagner moins qu'aujourd'hui, cumuleront les désavantages de l'ancien et du nouveau système. La Ligue, enfin, annonce qu'elle sera vigilante au moment fatidique : les "nouvelles allocs" seront-elles payées à temps et… selon les bons montants ?