Maladies chroniques

Cholestérol : lorsqu'un régime s'avère inefficace...

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Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

"J'ai 400 grammes de cholestérol dans le sang. Ma mère en avait 500. Merci, maman !" Françoise, 57 ans, a beaucoup de bons souvenirs de sa mère aujourd'hui décédée, mais elle manie l'ironie pour qualifier le mal dont elle a hérité : un excès flagrant de cholestérol, et particulièrement du "mauvais" : le cholestérol LDL (lire l'article ci-dessous).

Chez elle, il ne s'agit pas d'un excès classique, lié à une alimentation trop riche en graisses saturées ou à un mode de vie trop sédentaire, mais d'un surcroît très important lié à une anomalie génétique. Le taux normal de LDL, en Occident, avoisine 100 à 140 mg/dl.

De cette maladie-là, baptisée hypercholestérolémie familiale (HF), on ne peut pas se défaire, et les thérapies sur les gènes ne constituent qu'un vague espoir à long terme. On peut, en revanche, la soigner avec efficacité afin de réduire le risque – important – de complications cardiaques, vasculaires ou cérébrales (infarctus, accident vasculaire cérébral, etc.).

"La moitié des hommes qui, sans se soigner, souffrent d'un excès de cholestérol d'origine familiale ont un infarctus avant l'âge de 50 ans"

Encore faut-il savoir que l'on en est atteint. Or cette maladie reste peu connue. "L'autre jour, devant une cinquantaine de cardiologues, explique le Dr Olivier Descamps, spécialiste en lipidologie (prévention et traitement des maladies cardiovasculaires liées aux graisses) au Centre hospitalier Jolimont (La Louvière) et aux cliniques universitaires Saint Luc (UCL), j'ai demandé qui soignait des patients atteints de HF. Seuls trois ou quatre mains se sont levées. Je n'ai pas été surpris… Car le problème de cette maladie, découverte en 1987, est qu'elle peut frapper très tôt, en tout cas à un âge où la majorité des gens ne consulte pas encore un cardiologue. Ainsi, la moitié des hommes – et un quart des femmes – qui souffrent d'hypercholestérolémie familiale sans se soigner ont un infarctus avant l'âge de 50 ans. Si on ignore qu'on a cette maladie, on voit celle-ci se transmettre de génération en génération et devenir un véritable désastre dans la famille. La personne qui présente cette mutation génétique a, en moyenne, une chance sur deux de la transmettre à son enfant".

Détections tardives

L'hypercholestérolémie familiale est liée à une mutation génétique qui frappe le foie, plaque tournante du métabolisme. Celui-ci n'est plus capable d'éliminer le "mauvais" cholestérol (LDL) via la bile. Véhiculé par le sang, il s'accumule alors dans les vaisseaux et y forme des plaques d'athérome qui, en se fissurant ou en se rompant, contribuent à la formation de caillots à l'origine d'infarctus ou d'attaque cérébrale. Le "bon" cholestérol, le HDL, n'aide pas suffisamment à corriger ce déséquilibre...

"Le tableau concret de cette maladie – et l'aspect le plus dramatique – consiste à voir un patient de 35 ou 40 ans mourir subitement parce qu'il a les artères de quel qu'un qui a 75 ans et parce qu’il ne le sait pas", se désole le Dr Descamps.

Rester dans l'ignorance est facile : la maladie n'est pas douloureuse, on peut en souffrir sans manifester le moindre excès de poids.

Rester dans l'ignorance est facile : la maladie n'est pas douloureuse, on peut en souffrir sans manifester le moindre excès de poids. Seuls quelques rares signes peuvent - parfois - donner la puce à l'oreille, comme la présence dès l'âge de 30 ans d'un cercle clair en périphérie de l'iris (l'"arc cornéen", normal après 60 ans); l'épaississement de certains tendons, par exemple le tendon d'Achille (le "xanthome tendineux"), etc.

Mais il faut rester prudent : ces symptômes ne forment jamais une preuve à eux seuls. Ils doivent être intégrés, par le médecin, à un examen complet comprenant le dosage du cholestérol, l'examen génétique et l'évaluation de l'ensemble des facteurs de risque, personnels et familiaux.

Fausses équations

Une maladie sournoise ? Sans aucun doute. "Qui peut dire qu'il connaît son taux de cholestérol avant l'âge de trente ans?", interroge le spécialiste. Celui-ci déplore aussi la persistance d'équations trompeuses dans l'opinion publique. Par exemple le fait qu'avoir du cholestérol sans facteurs de risque (hypertension, obésité, diabète, tabac, sédentarité…) est synonyme d'absence absolue de tout danger. Faux ! Dès lors que le "mauvais" cholestérol dépasse 300 mg/dl chez un patient, ce dernier, même en bonne santé générale, est probablement porteur du gène déficient.

Loin de toute fatalité, le Dr Descamps prône un dépistage en cascade (chez les proches : enfants, parents, frères et sœurs) et, en cas de diagnostic d'hypercholestérolémie familiale, une prise en charge médicamenteuse. "La surveillance de l'alimentation permet de diminuer de 5 à 15 % le cholestérol préjudiciable. C'est bien, mais insuffisant. Les médicaments de type statines permettent une nouvelle diminution de 30 à 50 %".

Dans les familles à ris que, la surveillance des enfants doit être privilégiée, et cela dès l'âge de 8 à 10 ans. Bonne nouvelle : "Chez les enfants, les statines ont rarement les effets secondaires constatés chez certains adultes, comme les douleurs musculaires. Administrés dès avant l'adolescence, ils diminuent de 80 à 90 % le risque d'être victime d'un infarctus à 50 ou 60 ans".

Ce qui n'empêche pas, évidemment, de devoir adopter un régime alimentaire très strict dès le plus jeune âge. "Plus on attend, plus l'enfant aura du mal à adopter des habitudes alimentaires saines. Couplé aux médicaments, ce régime le rendra semblable, sur le plan cardiovasculaire, à toute autre personne dans la population". Prévenir, c'est – quasiment – guérir.

Témoignage

Odile, 30 ans de lutte contre son cholestérol d'origine génétique

Odile a 55 ans. Elle ne veut plus rien lire ni entendre sur le cholestérol. Ni les journaux, ni les livres, ni les émissions radios. Elle ne veut plus avoir "le moral dans les talons". Elle le connaît par cœur, son mal : hypercholestérolémie familiale (HF). Depuis trente ans, il la tenaille, lui "empoisonne la vie".

Son taux élevé de cholestérol (370 mg/dl), elle l'a découvert il y a trente ans, après la première thrombose - sévère - de son père. Il mourra un peu plus tard d'une deuxième attaque, à l'âge de 54 ans, après une longue dépression. Avec ses frères et sœurs, Odile comprend alors, sur base des analyses sanguines de son père, que la famille doit changer son alimentation, trop riche en graisses saturées. Elle bannit charcuteries, œufs, viandes grasses, fritures, fromages, biscuits, etc.

Rien à faire : au fil des années, son cholestérol reste quasiment stationnaire, particulièrement le "mauvais" (LDL). Elle consulte plusieurs médecins et, chaque fois, en ressort culpabilisée : "je voyais bien qu'ils ne croyaient pas trop à mes efforts alimentaires. Ils me disaient d'en faire encore plus... Mais, à part les féculents, les fruits et les légumes, je me privais déjà de presque tout !" En plus de son régime, elle prend une première gamme de médicaments pour faire baisser son cholestérol. Mais son foie ne les supporte pas : diarrhées chroniques, problèmes de digestion, etc.

Son médecin lui prescrit ensuite des statines. Petit à petit, son cholestérol descend jusqu'à 240 mg/dl. C'est mieux, mais encore trop. Et, au fil du temps, Odile réalise que ces médicaments lui causent des douleurs musculaires permanentes. "Le lien de cause à effet avec ces médicaments a été long à établir... Les myalgies n'étaient jamais immédiates. Il m'a fallu des années pour en être sûre et écarter des facteurs psychologiques". Elle entame alors un traitement kiné qui, étalé sur de longues années, lui permet de soulager ses douleurs.

Elle lit, s'informe, consulte, tâtonne... Un jour, un généraliste lui conseille un interniste lipidologue (spécialiste des matières grasses). "Grâce au test génétique, il a pu mettre le doigt sur l'origine de mon mal : un cholestérol familial. Enfin, je pouvais déculpabiliser : je n'y étais pour rien ! Mon régime, forcément, ne pouvait donner quasiment aucun résultat significatif". Dans la foulée, sa fratrie passe le test génétique. Maigre consolation pour elle : ni son frère, ni sa sœur ne montre l'anomalie génétique dont leur papa était probablement porteur.

Sur les conseils d'un médecin nutritionniste, elle tente d'autres voies alimentaires, recourant aux statines naturelles (levure de riz rouge) et jouant sur de nouveaux équilibres entre les différents types de graisses ingérées. Mais son taux de cholestérol reste stable. Et les crampes persistent...

Aujourd'hui, après trente ans d'efforts et de recherches, Odile s'avoue résignée. "Les statines ne sont pas pour moi. Dommage: la plupart des malades d'hypercholestérolémie familiale les supportent bien... Moi, je dois choisir entre la peste et le choléra : soit développer des plaques d'athérome dans mes vaisseaux, avec un risque accru de faire un AVC ou une thrombose; soit des douleurs musculaires en permanence". Elle a choisi: ce sera le cholestérol et le risque d'une "attaque".

Au moins, c'en est fini des douleurs ! Mais à quel prix ? "À 55 ans, je me sens en sursis. Est-ce que j'en ai encore pour un an, cinq ans ou dix ans ? Pour des profils comme le mien, les probabilités d'accident cardiovasculaire sont mauvaises... Mon taux est remonté à 340 mg... Je continue à surveiller drastiquement mon alimentation. Mais tenir bon sur la durée est très difficile..."

Dans sa malchance, Odile a deux consolations. Aucun de ses enfants, soigneusement testés peu après leur naissance, n'a hérité de sa maladie génétique. Et son cardiologue, tous les deux ans, lui fait passer une batterie de tests. Le cœur est bon, le test à l'effort aussi. Elle ne fume pas. Et ne souffre pas d'hypertension.

Bref, à part le manque d'exercice physique régulier, les autres facteurs de risque sont faibles. Chaque fois que possible, Odile participe aux protocoles de recherches firmes/universités visant à mettre au point de nouvelles molécules anti-cholestérol, sans les effets secondaires des statines. "S'ils sont mis au point un jour, ils coûteront probablement cher dans un premier temps. J'espère que la Sécu pensera prioritairement à aider les HF, qui n'en peuvent rien..."

Le cholestérol : ami ou ennemi ?

Le cholesterol ne mérite pas nécessairement sa mauvaise réputation. Mais il exige une vigilance extrême.

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Le cholestérol est un corps gras indispensable à la vie, particulièrement chez l'enfant. Il permet notamment la fabrication des hormones et de certaines vitamines. Il est aussi un des constituants majeurs de la membrane de nos cellules. Il est fabriqué en suffisance par chaque cellule et son apport via l'alimentation n'est pas indispensable.

Ce n'est donc pas sa présence dans l'organisme qui pose problème, mais bien son excès, source potentielle de sténoses (contraction des vaisseaux), thromboses, embolies, accidents vasculaires cérébraux (AVC), etc.

Trop de cholestérol

En Belgique, des centaines de milliers de personnes ont trop de cholestérol. Selon la Ligue cardiologique belge, 1,7 million d'individus de 35 à 84 ans ont plus de 15 % de risque de faire un accident cardio ou cérébrovasculaire majeur dans les dix ans, et 350.000 plus de 30 %. Pour la majorité de ces personnes, ce risque n'est toutefois pas lié exclusivement à la présence d'un excès de cholestérol.

Il faut aussi tenir compte d'autres anomalies liées aux lipides et, bien entendu, d'autres facteurs de risque : hypertension, tabagisme, diabète, obésité, etc. Sans parler des autres facteurs d'âge et du sexe.

Le bon et le mauvais

En termes de risques, "cholestérol", en soi, ne veut rien dire. Il faut en effet distinguer le "bon" cholestérol (HDL) du "mauvais" (LDL). Ces appellations sont un peu trompeuses, mais sont bien utiles en termes de vulgarisation. En réalité, il n'y a qu'une seule "matière" cholestérol dans le sang mais, dans un cas (LDL), cette matière, transportée du foie vers les organes par une lipoprotéine spécifique, est susceptible de se déposer dans les vaisseaux et d'y bloquer la circulation sanguine.

Dans l'autre cas (HDL), la lipoprotéine, d'une autre nature, est au contraire chargée de véhiculer le corps gras des organes vers le foie où elle est recyclée. Cette fonction de "nettoyage" vaut au HDL la réputation de "bon" cholestérol.

Réduire les facteurs de risque

Si le médecin le juge nécessaire, le patient peut diminuer son taux de "mauvais" cholestérol en adoptant une alimentation pauvre en graisses saturées et riche en fibres. Toutefois, l'alimentation n'intervient qu'à raison de 20 % du cholestérol présent dans l'organisme. La bonne gestion du stress et l'adoption d'activités physiques en suffisance (au moins une demi-heure par jour) ne réduisent certes pas le taux de cholestérol, mais améliorent d'autres facteurs de risque en cause dans les maladies cardiaques.

Ce n'est qu'en dernier recours, idéalement, que les médicaments dits "anticholestérolémiants" (de type statines) peuvent intervenir. Comme tout médicament et selon le dosage, ceux-ci peuvent avoir des effets secondaires (douleurs musculaires) et ne sont pas sans effets sur la prise éventuelle d'autres traitements médicamenteux.

Même si la situation s'améliore depuis quelques années, la Mutualité chrétienne continue de s'inquiéter du coût pour la collectivité du recours massif à certaines statines (un Belge sur huit utilise cette famille de molécules!). Elle préconise le recours à des statines qui, tout en étant efficaces, s'avèrent moins onéreuses pour l'assurance soins de santé, comme les génériques.


Pour en savoir plus ...

>> Plus d'Infos : Belchol (Association de patients belges atteints d'hypercholestérolémie familiale) • uniquement en ligne : www.belchol.be.