Maladies chroniques

La Wallonie, terre d'accueil des Français

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© Jean Beaudoin BELPRESS
© Jean Beaudoin BELPRESS
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

Plusieurs milliers de Français, enfants et adultes, atteints de handicap, hébergés ou scolarisés dans près de 200 structures, petites ou grandes, situées en Wallonie. La proximité géographique et l'absence de barrière linguistique n'expliquent pas tout (1). Pas plus que la tradition, vieille de plus d'un siècle, de l'accueil des personnes handicapées par des congrégations religieuses françaises en terres wallonnes (2). Alors, comment expliquer cette importante mobilité ? Les raisons sont multiples.

Tout d'abord, le manque de places d'accueil en France contraint de nombreuses personnes à franchir la frontière. Ensuite, la qualité d'ensemble des services et du modèle socio-éducatif wallon incite de nombreux parents et familles à choisir la Wallonie comme lieu d'éducation, d'apprentissage et de séjour pour leur enfant ou leur proche. Une approche plus tolérante des handicaps mentaux et des troubles du comportement (notamment, le développement de méthodes d'enseignement mieux adaptées pour les autistes), des structures moins médicalisées et une conception plus inclusive du handicap constituent des explications indéniables. Du côté de l'offre – augmentant au rythme de la demande –, des financements substantiels de la part des autorités françaises et des contraintes administratives moins lourdes en Wallonie qu'en France pour ouvrir de nouvelles structures, y compris à but lucratif, bouclent la boucle…

Une longue tradition

"L’accueil de personnes handicapées françaises dans des établissements implantés en Wallonie ne date pas d'hier, observe Jean Riguelle, inspecteur général à l'Agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées (Awiph). Cela s'est développé de manière harmonieuse dans des structures ayant une tradition philanthropique et une histoire sociale. Les institutions françaises n'y intervenaient qu'à titre financier et cela fonctionnait bien, à la satisfaction de tous". Aujourd'hui encore, une grande partie des Français accueillis en Wallonie le sont dans des institutions agréées et subsidiées par l'Awiph pour accueillir des enfants et adultes domiciliés en Belgique.

Dans ces structures (une quarantaine), les bénéficiaires français – minoritaires – occupent des places qui leur sont exclusivement réservées. Leurs frais de séjour sont entièrement pris en charge par les autorités françaises, qu'il s’agisse de l’assurance maladie et/ou des départements qui détiennent, en France, une grande partie de la compétence médico-sociale pour les adultes. L'Awiph n'octroie aucune aide financière directe aux personnes handicapées françaises. Mais l'agrément qu'elle fournit aux établissements qui les accueillent aux côtés des Belges garantit la qualité du fonctionnement et des prestations.

Exclusivement pour Français

A côté de ces institutions historiques, connues et reconnues, un nombre important de structures accueille exclusivement des bénéficiaires français. "Ces quinze dernières années, on a vu pousser ces établissements comme des champignons, plus particulièrement dans le Hainaut et même dans certaines communes comme Péruwelz", explique Jean Riguelle. À l'heure actuelle, on compte environ 130 structures de ce type. Parmi elles, une trentaine affichent une finalité commerciale, ce qui n'est pas sans poser question.

Christian Robert, coordinateur du secteur "personnes handicapées" au sein de l'Association chrétienne des institutions sociales et de santé (ACIS), s'offusque : "On voit arriver dans le secteur des entreprises générales et des sociétés commerciales qui font ainsi fructifier leur patrimoine immobilier. L'investissement peut être plus rentable encore que dans les résidences pour personnes âgées". "Quand on voit des SPRL transformer d'anciennes maisons de repos en gros centres d'hébergement pour adultes handicapés, on ne peut s'empêcher de s'inquiéter, renchérit Patrick Verhaegen, secrétaire politique adjoint d'Altéo et membre du comité de gestion de l'Awiph. On se demande notamment ce qu'il en est du projet pédagogique. En Wallonie, des politiques ont été mises en place qui visent l'intégration des personnes handicapées dans la société. Qu'elles soient belges ou françaises, celles-ci ont droit à être accueillies de la façon la plus inclusive possible".

Des règles trop peu strictes

Pour ouvrir leurs portes, les structures accueillant exclusivement des Français ont dû obtenir une autorisation de prise en charge auprès de l'Awiph. Mais celle-ci ne constitue pas un label de qualité, contrairement à ce qu'ont longtemps cru de nombreuses autorités françaises. Basée uniquement sur le respect de normes de sécurité, d'hygiène et d'encadrement minimal, cette autorisation n'offre pas les mêmes garanties de qualité de prise en charge que dans les institutions agréées. Ce qui ouvre la porte à des abus et excès.

Certes, il y a quelques années, la Région wallonne a renforcé les exigences à l'égard de ces structures et mis sur pied des contrôles systématiques. Sans compter ceux réalisés à la suite de signalements ou de plaintes. "Mais les pouvoirs de l'Agence – tout comme ses moyens d'ailleurs – restent assez limités", concède Simon Baude, directeur audit et contrôle à l'Awiph. En cause ? Notamment la directive européenne relative aux services (dite directive Bolkestein) qui, pour ne pas entraver la libre entreprise, limite dans les faits les pouvoirs de la Région wallonne. Le ministre wallon de la Santé et de l’Action sociale, Maxime Prévot, s'est toutefois engagé à élaborer un texte réglementaire visant à formaliser des exigences qualitatives accrues pour les services fonctionnant sous le couvert de l’autorisation de prise en charge.

La situation sur le terrain est-elle pour autant devenue problématique ? "Quelques situations choquantes et des cas de maltraitance, médiatisés il y a quelques temps, ne peuvent jeter l'opprobre sur un secteur qui offre globalement un accueil de qualité, rassure Simon Baude. Il est clair que les risques de dérapages sont plus élevés dans les structures qui ne sont pas agréées et dont les promoteurs sont mus par le profit. D'où l'importance de pouvoir renforcer les exigences et les inspections", ajoute-t-il.

De toute évidence, depuis longtemps déjà, il apparait indispensable aux yeux des autorités wallonnes que la France s'implique davantage dans un secteur qu'elle finance pratiquement les yeux fermés. La récente entrée en vigueur d'un accord-cadre renforçant les coopérations entre la France et la Wallonie représente, à cet égard, une avancée importante (lire ci-dessous).

Et pour les bénéficiaires belges ?

"De manière générale, le manque de places d'accueil et d'hébergement disponibles pour les personnes handicapées nous préoccupe, qu'elles soient belges ou françaises", confie Patrick Verhaegen qui précise que les personnes d'origine française ne prennent nullement la place de nos concitoyens dans les services existants en Wallonie. En fait, pour des raisons budgétaires, depuis la fin des années 1990, la Région wallonne a très peu augmenté le nombre de places pour ses ressortissants. La seule porte qui reste ouverte concerne les cas de détresse urgente et de grande dépendance pour lesquels l'Awiph veille à trouver des solutions de prise en charge. Il arrive d'ailleurs que cela se fasse dans des institutions accueillant en principe exclusivement des Français…

Un accord pour combler des lacunes

Améliorer la prise en charge des personnes handicapées par une coopération transfrontalière : tel est l'objectif de l'accord-cadre signé par les autorités françaises et wallonnes en décembre 2011 et entré en vigueur en mars 2014.

"Cet accord permettra tout d'abord une meilleure connaissance du nombre et de la situation des personnes handicapées concernées", expliquait Philip Cordery, député et rapporteur de ce dossier à l’Assemblée nationale française, lors d'un récent colloque consacré à la coopération transfrontalière dans le domaine de la santé (1). Les autorités françaises espèrent ainsi disposer d'un cadastre leur permettant d'avoir une vision plus complète de l'impact financier dans ce secteur. Pour l'heure, en effet, seules les dépenses relatives aux mineurs et relevant de l’assurance maladie française sont connues. La situation est moins transparente pour les adultes qui dépendent de plus de 40 départements.

L’instauration d’inspections conjointes dans les établissements constitue le deuxième grand axe de cet accord-cadre. Celles-ci débutent dès ce mois de janvier 2015. "On en effectuait par le passé mais le fait de nous coordonner et de rassembler nos ressources est positif", précise Simon Baude, directeur audit et contrôle à l'Awiph. Le défi sera, pour les services d'inspection, de fixer des exigences et critères de qualité communs. Car les points de vue ne sont pas toujours identiques, certains, du côté français, étant davantage préoccupés par les aspects médicaux et hygiénistes de la prise en charge que les Wallons, particulièrement attentifs au projet pédagogique et aux activités qui favorisent l'inclusion sociale.

Enfin, l’accord-cadre ambitionne, dans le domaine financier, de clarifier les conventionnements entre les pouvoirs subsidiants français et les établissements wallons. Actuellement, la situation est très complexe avec des conventions qui ne sont pas harmonisées et des traitements financiers parfois très différents d'un département français à l'autre. L’objectif est de rationaliser et de rendre transparentes les démarches de ces Français. Une Commission veillera à ce que les administrations développent un modèle type de convention fixant ainsi un tronc commun en matière de subventions et de règles d’utilisation de ces financements.