Soins de santé

Maladies rares : le parcours du combattant                            

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(c)iStock
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Julien Marteleur

Julien Marteleur

Le 29 février dernier, journée mondiale des maladies rares, un tapis de fleurs en origami ornait le sol des galeries Saint-Hubert à Bruxelles. Des milliers d’edelweiss, fleur rare, représentaient symboliquement les quelque 550.000 personnes qui souffrent d’une maladie rare en Belgique. C'est bien là le paradoxe : les malades sont nombreux... Les maladies rares ne sont donc pas si rares que cela. Mais la population qui en est atteinte reste marginalisée et largement invisible.
Durant trois ans, huit partenaires actifs dans la région frontalière Meuse-Rhin ont uni leurs efforts pour améliorer globalement les soins mis à la disposition de ces patients. Dans le cadre du projet transfrontalier EMRaDi  - dont la Mutualité chrétienne est le chef de file - les chercheurs de la MC et de Solidaris ont rassemblé 80 témoignages de 104 patients, proches de patients et professionnels de la santé concernés par huit maladies rares (1) pour tenter d'identifier les manques à combler dans le parcours des personnes souffrant de ces pathologies. Un "fil rouge" s'est petit à petit dessiné au fil des récits.

Un soutien psychologique inadapté
Alors que les besoins physiques des patients atteints de maladies graves peuvent sembler évidents, surtout lorsqu'ils sont visibles, la nécessité d'un soutien psychologique pour garantir un niveau d'indépendance ou limiter le sentiment d’isolement n'est souvent pas rencontrée. Avant le diagnostic, le médecin ou l'entourage minimise parfois les plaintes du patient ou des parents, alors que ceux-ci sentent que quelque chose ne tourne pas rond. "On me disait : 'non, elle est plus lente, il ne faut pas se tracasser, c'est toujours comme ça', ou alors : 'il ne faut pas la comparer à sa sœur'. Mais ce n'était pas une comparaison, je voyais que quelque chose n’allait pas", confie une maman liégeoise. Après plus de deux ans d'errance diagnostique, le verdict tombe pour la famille : leur fille est atteinte d'une forme atypique du syndrome de Rett, une maladie génétique rare qui provoque un handicap mental et des atteintes motrices sévères. Dans certains cas, ce syndrome peut apparaître tardivement, s'apparenter à d'autres troubles comme l'épilepsie et créer la confusion dans le diagnostic.

"À la fin, on en vient même à vous dire que votre maladie, c'est dans la tête", regrette Maryse Callens, atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos (2) et membre d'une association de patients. Ce manque de reconnaissance peut laisser place à d'autres difficultés lorsque la maladie est identifiée : si elle est incurable ou peut s'avérer mortelle, elle entraîne un véritable processus de deuil. Il faut aussi faire face au regard des autres quand les symptômes de la maladie sont visibles au quotidien. Tous ces éléments peuvent inciter le patient à se replier sur lui-même et déboucher sur un grand isolement. D'autant qu'il est presque impossible de rencontrer par hasard d'autres personnes souffrant des mêmes difficultés et partageant le même vécu.
Un soutien psychologique peut être offert au moment du diagnostic, mais les professionnels de la santé centrent principalement leurs préoccupations sur les aspects purement médicaux de la maladie, laissant parfois aux malades et leurs proches l'impression d'être incompris. Depuis juin 2019, un numéro gratuit (voir en bas de cet article) permet aux personnes souffrant d'une maladie rare en Wallonie d'entrer en contact avec un interlocuteur de confiance, apte à répondre à leurs questions et à les aiguiller vers d'autres personnes souffrant de pathologies similaires.
Les associations de patients comblent également les besoins psychologiques qui surviennent lors d'une telle épreuve. Pour Yvan Lattenist, président de l'association Rare Disorders Belgium, "ces maladies ont des conséquences aussi sur le conjoint, la famille, les proches. Il faut prendre en compte ces aidants au niveau des pathologies et de la façon dont elles sont approchées, notamment dans les associations de patients." Ces associations ont un rôle très important à jouer pour sortir les patients de leur isolement, leur donner l’opportunité de communiquer avec des pairs sur leur pathologie ou les traitements.

Le parcours tumultueux des soins
Il faut en moyenne quatre ans et demi à un malade pour obtenir un diagnostic correct. Quand un traitement existe, il reste très souvent inabordable. L’accès à une expertise adéquate est difficile. Jonathan Ventura, porte-parole de RaDiOrg, association coupole belge pour les personnes atteintes d'une maladie rare, explique qu’"en 2014, la Belgique a adopté son premier plan 'Maladies rares', qui était un souffle d’espoir pour les patients. Mais aujourd’hui, on se rend compte que rien n’a vraiment changé sur le terrain. Il y a eu des évolutions administratives et réglementaires, mais pour le patient, rien n’a évolué. Il faut mettre en place des centres d'expertise. En Belgique, l'expertise existe, mais elle est dispersée".
Dispersé : c'est également le qualificatif employé pour désigner le trajet de soins de certains patients. La plupart consultent de nombreux prestataires de soins, jusqu'à 25 pour certaines maladies, révèle l’étude menée dans le cadre du projet EMRaDi. C'est un défi, tant financier que psychosocial pour ces patients, contraints d’assurer eux-mêmes un suivi des soins et de l'aide dont ils ont besoin. Il leur revient aussi de trouver un moyen d'avoir accès à ces soins et de faire en sorte que tous les spécialistes impliqués disposent des informations pertinentes. "Le trajet de soins idéal, raconte un généticien liégeois, c'est quand le médecin reconnaît l'existence d'une possible maladie, génétique par exemple, et réfère le cas vers un service de génétique. Dans ce service, on va poser un diagnostic, le confirmer et puis diriger le patient vers les spécialistes de la maladie. Si nécessaire, on offre également un dépistage pour les apparentés qui en auront besoin."
Mais, même lorsque le trajet de soins est correctement instauré, les charges pratiques sont parfois lourdes. Malades et aidants proches ont moins de possibilités de travailler, doivent adapter leur quotidien et leurs revenus risquent de diminuer. Devant ce constat, les partenaires du projet EMRaDi recommandent la mise en place d’un point de contact permanent qui guiderait les familles dans leurs besoins de manière globale. Ce coordinateur, appelé "case manager", pourrait alléger les tensions émotionnelles et réduirait l'isolement social des personnes concernées.

Inès Demaret est infirmière et professeure à la Haute École Louvain en Hainaut et elle-même atteinte de plusieurs maladies orphelines. Dans La damnation des maladies orphelines (3), elle ouvre une autre piste avec un concept inédit : l'"humiligence"Il fait référence à l’humilité et à l’intelligence, pour une éthique du quotidien. Et signifie, pour les soignants, connaître et reconnaître ses limites. "L’'humiligence' est importante, adresse-t-elle. Quand les soignants admettent leurs limites et passent la main à l’équipe, c’est très rassurant pour le patient, la relation de confiance peut vraiment se construire."


Les maladies rares en quelques chiffres

 

  • Entre 6.000 à 8.000 maladies rares sont identifiées dans le monde, près de 900 sont recensées en Belgique.
  • Les maladies rares concernent 6 à 8% de la population, soit environ 550.000 Belges et plus de 30 millions de personnes en Europe.
  • Entre 60.000 et 100.000 personnes ont besoin de soins spécifiques en raison d'une maladie rare en Belgique.
  • 72% des maladies rares sont d’origine génétique.
  • Environ 30% des enfants atteints d'une maladie rare décèdent avant leur cinquième anniversaire.

Une maladie est dite "rare" lorsqu’elle affecte moins d'une personne sur 2.000. Elle est considérée comme "ultra-rare" lorsqu’elle touche moins d'une personne sur 50.000. Une maladie est dite "orpheline" quand il n’existe aucun traitement pour la soigner et quand peu de recherche y est consacrée. Une très grande majorité de maladies rares sont des maladies orphelines et inversement. Les maladies rares peuvent aussi avoir d'autres causes que génétiques (auto-immunes, infectieuses...). Toutes ne sont pas chroniques ni orphelines. Beaucoup d'entre elles sont détectées dès l'enfance, mais un grand nombre de maladies peuvent se déclarer bien plus tard, jusqu'à un âge avancé. Généralement, elles se traduisent par des symptômes dont l'origine est difficilement identifiable (fatigue, douleurs localisées ou généralisées, problèmes digestifs, ostéoporose, etc.), compliquant le diagnostic.

>> Plus d'infos : www.orpha.net

Une page internet et un 0800 pour les maladies rares

Le Grand hôpital de Charleroi (GHdC) et l'Institut de pathologie et de génétique à Gosselies (IPG) ont créé une page internet sur laquelle les patients trouveront un lieu d'accueil vers les spécialistes et les soins disponibles.

Ensemble, les deux institutions ont obtenu l'agrément "fonction maladies rares", qui reconnaît leur expertise pour le diagnostic, le suivi et la prise en charge des maladies rares. À terme, l'objectif est de mettre en commun les données médicales des patients avec celles d’autres hôpitaux belges et européens spécialisés.
Depuis juin 2019, le 0800 9 28 02 permet aux personnes souffrant d'une maladie rare en Wallonie d'entrer en contact avec un interlocuteur de confiance, apte à répondre à leurs questions et à les aiguiller vers d'autres personnes souffrant de pathologies similaires. Pour l'association à l'origine de cette initiative, l'asbl Rare Disorders Belgium, il importait de mettre en place un tel service, tant les personnes souffrant de maladies rares se retrouvent face à de nombreuses difficultés.

>> Plus d'infos : www.ghdc.be/maladies-rares ● https://rd-b.be/

Pour en savoir plus ...

www.emradi.eu - À lire également : Les maladies rares : du diagnostic à la prise en charge, Pr Y. Gillerot, Éd. Mardaga, 2019, 19,90 EUR