Pensions

La douce musique de l’âge

3 min.
Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

À 81 ans, Zeinab Mokkaled est une figure de proue du mouvement écologiste au Liban. Grâce à son engagement, la ville d’Abarbsalim est la première du pays à recycler ses déchets ménagers. Masako Wakamiya a appris à coder à 80 ans. L’application qu’elle a développée – un jeu de poupées japonaises destiné aux aînés – a enregistré plus de 53.000 téléchargements sur l’App Store. À 60 ans, Steve Cronshaw, membre des middle age men in lycra (les hommes d’âge moyen en lycra) enchaîne les tours de pistes sur le vélodrome plus rapidement qu’il n’y parvenait à 40 ans, grâce à une meilleure connaissance de son corps et de sa gestion de l’effort.

Des ateliers de street art pour les plus de 70 ans à Lisbonne aux écoles pour DJ seniors en Pologne, le journaliste canadien Carl Honoré emmène le lecteur aux quatre coins du monde, à la rencontre de personnages pour qui vieillir est synonyme d’apprendre, de découvrir, de créer, de s’engager, invitant tout un chacun à "envisager le vieillissement comme un processus consistant à ouvrir des portes plutôt que de les fermer". (1)

 

Lento ma non troppo

Œuf de grue, graisse de lion, boue de tourbe ou cire d’abeille : l’humanité n’a pas attendu le botox et les implants capillaires pour inventer les recettes les plus farfelues pour conserver sa jeunesse. Plus sérieusement, il est possible de ralentir les effets du vieillissement en suivant des conseils évidents, comme pratiquer une activité sportive ou adopter une bonne hygiène de vie. Rire, fréquenter des amis, se trouver un but dans la vie sont aussi une excellente cure de jouvence, plaide Carl Honoré.

Mais les effets néfastes du temps ne peuvent être tenus à distance pour toujours. Les années passant, le corps perdra inéluctablement de sa force, le cerveau de sa réactivité, les sens de leur acuité. Indéboulonnable optimiste, le journaliste, également auteur du best-seller Éloge de la lenteur, en prend son parti : "Quand on ralentit, on commence à remarquer toutes les choses que l’on rate quand on est tout le temps pressé". Être confronté de plus près à son statut de mortel devrait inciter à mieux profiter des plaisirs simples de l’existence, à se recentrer sur ceux et celles qui comptent vraiment, à entreprendre, tant que la santé le permet, ce que nous n’avons jamais osé. Et, dans bien des domaines, l’expérience compense la vivacité perdue, poursuit cet ambassadeur du mouvement slow. L’âge serait, en quelque sorte, un coach qui permettrait de mieux connaître ses forces et ses faiblesses, avoir davantage confiance dans ses jugements et ses intuitions. "À 20 ans, nous nous soucions de ce que les autres pensent de nous. À 40 ans, nous nous moquons de ce qu’ils pensent. À 60 nous découvrons qu’ils n’ont jamais rien pensé", aimait à dire la chroniqueuse américaine Ann Landers.

À moins d’empêcher la terre d’accomplir sa révolution autour du soleil tous les 365 jours, nul ne peut arrêter les années de filer. La révolution, en revanche, réside peut-être dans la manière d’envisager ce temps qui passe ?

 

Lutter contre l’âgisme

En 2016, l’agence Getty Images a recouru à un logiciel d’indexation pour recenser les photos de seniors sur internet. Personnes seules, malheureuses, sédentaires… Le portrait dépeint par cette base de données gigantesques est peu flatteur. Comment adopter une perception plus optimiste de la vieillesse, quand le reflet que la société en renvoie incite plutôt à la déprime ? "Des études scientifiques montrent que les personnes âgées ayant des attitudes négatives vis-à-vis du vieillissement pourraient vivre 7,5 années de moins que ceux ayant des attitudes positives. Il a été démontré que l’âgisme peut provoquer un stress cardiovasculaire, réduire le sentiment d’auto-efficacité et la produc­tivité", déplore l’Organisation mondiale de la santé. Au même titre que le racisme ou le sexisme, l’âgisme, c’est-à-dire la caricature et la discrimination des personnes en vertu de leur âge, est devenu un fléau qui s’étend partout dans la société, s’inquiète l’OMS : "On note également beaucoup d’attitudes négatives, y compris au sein des établissements de santé et d’aide sociale où les personnes âgées sont le plus vulnérables."

On imagine parfois les sociétés traditionnelles ou anciennes comme plus respectueuses des aînés.  Si les jeunes hommes de la Renaissance revêtaient des perruques grises pour se donner un air de sagesse, dans l’Antiquité, les Sardes n’hésitaient pas à se débarrasser de leurs vieillards en les poussant du haut d’une falaise … L’idée qu’il aurait existé un âge d’or pour les seniors est un mythe, démonte Carl Honoré. Néanmoins, notre société contemporaine, qui exalte le culte de l’individu et la performance, s’avère particulièrement cruelle pour les moins jeunes : "L’humanité a toujours admiré la vigueur, la fertilité et la beauté des jeunes (…) mais être jeune a rarement été un but en soi."  Une tendance contre laquelle nous avons tous intérêt à lutter : "Un phallocrate a peu de chances de se transformer en femme. En revanche, nous vieillissons tous."

 

 

Pour en savoir plus ...

La révolution de la longévité, Carl Honoré, éditions Marabout, 336 p., 17,9 euros