Soins de santé

Aux avant-postes de la santé

13 min.
Philippe Lamotte, Stéphanie Bouton, Stéphanie Van Haesebrouck

Philippe Lamotte, Stéphanie Bouton, Stéphanie Van Haesebrouck

Le confinement, chez nos bénéficiaires, est une vieille affaire.”    

Dominique, 50 ans, aide familiale 

Depuis dix-huit années, Dominique arpente les habitations de Thuin, Lobbes et Sars-la-Buissière, dans le Hainaut occidental, à raison de 24 heures par semaine, pour le service Aide et Soins à domicile (ASD). Pour rien au monde, elle ne changerait de métier, elle qui, autrefois, a exercé comme puéricultrice et aide-soignante. Son principal attrait ? La diversité des tâches, alliée à la rencontre humaine.  “J’ai vraiment l’impression de travailler au service des gens. Souvent, ils nous attendent. Beaucoup ne voient plus que leur infirmière, le facteur et… moi ou une collègue. Le confinement, chez eux, est une vieille affaire.” 
Aider au lever et au coucher, faire les courses, préparer les repas, assurer la lessive, remplir du courrier administratif, accompagner lors d’une visite médicale, conduire les enfants à la crèche ou à l’école, sans oublier les toilettes : telle est la diversité du quotidien de Dominique. “ Dans ce métier, il nous reste heureusement encore un certain temps pour simplement dialoguer avec les gens. Même si on repasse du linge en même temps…” Le plus dur ? Garder la juste distance avec les bénéficiaires qui, dans certains cas, deviennent parfois plus proches au fil des années. Au point que, parfois, leur décès plonge l’aide familiale dans des émotions pénibles. “ Une majorité de nos usagers sont des personnes âgées. Quand elles s’adressent à moi, c’est ‘m’fille…’  Alors, forcément, une certaine familiarité s’installe. Qu’il faut pouvoir gérer. ” 
Dur, aussi : le rythme des prestations de week-end. Surtout lorsqu’il faut assurer six ou sept prestations sur un seul dimanche à des adresses différentes. Les limitations de vitesse, dans les zones 30 des bourgs parcourus, n’aident pas à la sérénité. Là, le tic-tac de la montre est autant dans la tête de l’aide familiale qu’à son poignet. Au début de la crise du coronavirus, le métier - même en semaine - est devenu un peu plus distant : “ les gens ne comprenaient pas que nous tenions nos distances. Pour les protéger, pas pour nous-mêmes ! Maintenant, ils s’y sont faits… ” 

 Nous sommes, plus que par le passé, des travailleurs sociaux.”  

Patrick, 59 ans, médecin généraliste en maison médicale 

Le travail d’équipe est un précieux garde-fou pour la santé mentale : la mienne, mais aussi celle de mes collègues et, plus largement un gage de qualité pour la santé des patients.” Patrick Jadoulle est médecin généraliste à la maison médicale La Glaise, à la Docherie, quartier populaire et multiculturel de Marchienne-au-Pont (Charleroi). En trente-trois années de pratique, il a vu son équipe grandir sensiblement, passant de quatre médecins à, aujourd’hui, sept médecins généralistes, quatre infirmières, quatre kinés et cinq accueillantes. “Grâce à l’équipe, notamment, je ne me suis jamais rendu à mon travail avec des pieds de plomb.” 
Le travail collectif permet le regard croisé de plusieurs praticiens sur certaines problématiques complexes. Cette mise en commun fait partie de l’ADN du travail en maison médicale. “S’il parvient à s’entretenir et se cultiver entre collègues, l’esprit d’équipe est très soutenant car notre travail est éprouvant sur le plan émotionnel. En tant que soignants, nous sommes par exemple souvent interpellés par des situations très figées. Nous avons tendance à nous projeter dans l’amélioration de l’état de nos patients, mais une partie de ceux-ci résistent au changement. De là, parfois, un sentiment d’impuissance ”. 
D’autant plus qu’en maison médicale, une attention toute particulière est accordée aux déterminants non médicaux de la santé (logement, alimentation, revenus, cadre de vie, etc.), ce qui exige plus de temps. “Le nombre de gens laissés sur le carreau par l’évolution sociétale est de plus en plus grand. Beaucoup ne vont pas bien, socialement. Cela nous amène, en plus d’un travail médical classique, à faire avec eux un travail social qui, parfois, consiste tout simplement à les aider à comprendre des documents administratifs en surmontant des problèmes de langue ou d’expression ”. 
Heureusement La Glaise est solidement implantée dans le quartier et son personnel peut compter sur d’autres intervenants locaux : l’Espace citoyen, les antennes du CPAS et de l’ONE, le centre de santé mentale, etc. Soit une dimension essentielle de cette santé « communautaire ». “ Au lieu de médicaliser trop vite, nous tentons d’aider les patients à prendre eux-mêmes en charge une partie de leurs problèmes : activités physiques, groupes de discussion entre patients, révision des habitudes alimentaires ou d’hygiène, etc. ”
Cette aide approfondie, globale et soutenante est évidemment mise à mal depuis l’émergence du Covid-19 et des consultations devenues quasi exclusivement téléphoniques. “ Nous ne sommes plus très à l’aise. Le service de qualité que nos patients sont en droit d’attendre est devenu beaucoup plus difficile. Peut-être certains en abusent-ils, mais ils sont à mon avis très minoritaires… ” 

 

" Je posais beaucoup d’actes techniques mais j’avais un goût de trop peu sur le plan relationnel " 

Rosalinda, 38 ans, sage-femme à domicile 

En passant de l’hôpital au domicile, Rosalinda a fait le choix de privilégier l’accompagnement à l’acte technique. Un choix qu’elle ne regrette pas, douze ans plus tard : "J’ai quitté l’hôpital car j’étais frustrée d’avoir un savoir et de ne pas pouvoir le mettre en application. À l’époque, je posais beaucoup d’actes techniques mais j’avais un goût de trop peu sur le plan relationnel : au bout de trois jours, les mamans quittaient l’hôpital et moi, ce qui m’a toujours animée, c’est l’accompagnement physique et psychologique sur du long terme". 
Rosalinda a suivi plus de 2000 projets de naissance en région liégeoise. Il y a neuf ans, elle est passée indépendante à temps plein et elle continue à se former à différentes techniques qui viennent compléter ses études d’infirmière et de sage-femme : rééducation du périnée, homéopathie, aromathérapie, massage bébé ou prénatal, allaitement maternel… L’objectif reste le même : accompagner les mamans et les couples dès la préconception, jusqu’au 1 an de bébé. "L’idée est vraiment de les guider en fonction de leur personnalité, de discuter avec eux de la maternité qui leur plait. Ce n’est pas une théorie écrite dans un livre ! Nous abordons la santé, l’hygiène, le rythme de vie, l’alimentation, les facteurs de stress mais aussi la gestion avec le compagnon qui permet parfois de libérer certains blocages." 
Si elle ne fait pas autant de consultations pré-conceptionnelles qu’elle le souhaiterait, elle regrette surtout que l’accompagnement en cas de fausse couche ne soit pas encore rentré dans les mœurs : "Peu de femmes ont le réflexe alors que c’est justement très important pour une maman de ne pas surmonter cette épreuve seule. Une de mes patientes avait perdu son enfant à terme : une épreuve très difficile… Pour sa deuxième grossesse, elle m’a fait un merveilleux cadeau en me demandant de la suivre à nouveau. Je ne m’y attendais pas du tout car je pensais que ma présence aurait pu faire ressurgir le deuil. Mais elle était en confiance et elle ne souhaitait pas raconter son histoire à une autre sage-femme".
Ces dernières années, le modèle a changé et Rosalinda constate que la nouvelle génération éprouve parfois des difficultés à trouver ses marques : "Avant, la femme s’occupait des enfants et l’homme travaillait. Aujourd’hui, le père prend davantage sa place et assume plus de responsabilités qu’avant. Les rôles sont redéfinis mais ce n’est pas toujours évident. Il peut y avoir une compétition au sein du couple et les parents sont de plus en plus exigeants envers eux-mêmes".
Rosalinda rayonne lorsqu’elle évoque son métier mais le ton est tout autre lorsqu’elle aborde l’impact du Covid-19 : "Mes patientes ne reçoivent plus aucune visite à la clinique et la présence du papa est très réglementée. C’est très dur de ne pas pouvoir présenter son bébé à sa famille, à ses amis, de ne pas être félicitée de vive voix ! Même si elles comprennent les mesures, elles ont l’impression qu’on leur a volé quelque chose. Ce matin, j’étais au domicile d’une patiente qui sortait de maternité. Sa belle-mère est venue et a salué son petit-fils… à travers la fenêtre". 

“Le pharmacienquise limite à scanner une boîte est voué à disparaitre”  

Laurawn32 ans, pharmacienne en officine 

Elle vit des journées harassantes liées à la gestion du coronavirus, mais c’est avec le sourire dans la voix que cette pharmacienne du Brabant wallon répond à nos questions. D’habitude, c’est elle qui pose les questions. Mon métier consiste à délivrer des médicaments aux patients. Cela nécessite de l’écoute, de l’empathie, de la patienceet un suivi personnalisé. Il faut sintéresser au patient. Le médicament est-il pourlui? Quels symptômes présente-t-il? Depuis quand? Autres points d'attention:lescontre-indications,leseffets secondairesliésà des pathologies chroniqueset le dépistage d’une éventuelle surconsommation d’un médicament par un patient quifréquenteraitplusieursmédecins. Le rôle de pharmacien de référence (créé par Maggie De Block) nous donne cette vision d’ensemble sur les médicaments que le patient consomme. Celanous permet dadapter son schéma de médication.
Cette pharmacienne  qui regrette que son métier soit peu souvent mis à l’honneur quand on parle du secteur des soins de santé, adore justement offrir une approche personnalisée aux patients. “Les patients reviennent avec une prescriptionsans savoircomment prendre le médicament ou ce qu’ils peuvent faired’autrepour aller mieux.J’aime leur livrer des mesures hygiéno-diététiques pour ne pas se limiter à la prise du médicament.Elle aime aussi la diversité propre à son métier.  “En cas de pénurie de médicaments, on doit trouver des solutions. Pour une préparation magistralerare,onse renseigneOn s’informe et on se forme constamment afin d’aiderlepatient.
Laurawn considère aussi la personnalisation du suivi comme une force vis-à-vis de la concurrence. En 10 ans, elle déplore l’augmentation croissante des concurrents en ligne et des parapharmacies. Faceà leursprix défiants toute concurrence, notre plus-value reste le conseil. Il s’agit même d’une question de survie quand on voit le nombre de pharmacies indépendantescontraintes defermer leurs portes. On doit diversifier notre offre.Tous les pharmaciens doivent proposer des entretiens liés à lasthme. Maisils peuventproposer dautres services. Moi, jaime particulièrement faire des suivis de grossesse par exemple.Si le pharmacien se limite à scanner une boîte,il est voué à disparaitre.”
Et d’insister aussi sur leur rôle de première ligne dans l’analyse : Le patient serendfacilementen pharmacie,sansprendrerendez-vous. Il nous revient alorsde vérifierles symptômes dalerte. Sil sagit dune situation bénigne,on la prend en charge. Sicest sérieux,on envoie la personne vers un spécialiste. Dernièrement, j’étais soulagée d’avoirredirigéquelquunsouffrantdune phlébite.
Actuellement, cette notion d'écoute et d'information prend tout son sens. “De nombreux patients ont besoin d'être rassurés.Diverses tâches sajoutentà notre mission habituelle :la désinfectionpluri-quotidienne, le rationnement des médicaments pour éviter de fausses pénuries liées à des achats non raisonnables et surtout,l’éducation à la santé.On prend ces rôles à cœur car prendre soin du plus grand nombre et pas uniquement des malades du corona reste notreprioritéen ces temps difficiles."    

 

" Vous prenez des coups, mais quand un jeune s’en sort c’est la consécration."  

Hervé, 40 ans, éducateur en centre d’hébergement 

Situé à Baelen, à proximité de Verviers, le Home Saint-François est un centre d’hébergement pour les enfants placés par les services d’aide et de protection de la jeunesse.
Depuis quinze ans, Hervé accompagne ces enfants en difficulté sociale ou parentale, quelles que soient les carences, comme il le précise: "Il peut s’agir de parents qui ne mettent pas leur enfant à l’école ou qui ont besoin de souffler, d’enfants qui sont maltraités ou de situations où il n’y a plus de parent et personne pour prendre le relais". 
Si l’objectif est la réintégration de ces jeunes au sein de la famille, le passage en centre d’hébergement peut être long car la reprise de contact avec le milieu familial est progressive et le retour à la maison n’est pas toujours possible. "Nous avons des enfants qui arrivent à l’âge de 3 ans et qui restent ici jusqu’à leur majorité. En fonction de leur histoire, certains ont vécu des événements violents et ont tendance à reproduire les choses. Ce sont des jeunes avec qui nous travaillons le lien, la base de notre métier". 
Au début de sa carrière, Hervé laissait ses sentiments à la maison : "c’est clair qu’on n’avance pas avec un éducateur qui pleure ! Mais avec l’expérience, j’ai appris à reprendre mon cœur au boulot, à faire preuve d’empathie et c’est un réel atout avec les enfants. Oui, vous prenez des coups dans ce métier mais par contre, quand vous recevez du positif, quand un jeune s’en sort et prend son autonomie, c’est la consécration !" 
Avec la fermeture des écoles, la réalité professionnelle d’Hervé et de ses collègues s’est encore considérablement compliquée puisqu’ils doivent désormais encadrer les enfants 24h/24. "C’est un peu la débrouille ! En fait, nous fonctionnons comme une famille classique donc j’ai l’habitude d’être multi-tâches : je prépare les repas, je réponds au téléphone, je gère leurs activités, les douches, les mises au lit… Mais avec toutes ces mesures d’hygiène à intégrer, le temps pris pour désinfecter les locaux exigus, notre travail est mis à mal. Le pire, c’est la distance sociale : les petits, nous devons les laver, les changer s’ils ont fait pipi pendant la nuit !"
Ces derniers jours, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer le peu d’attention accordée aux conditions de travail des travailleurs sociaux durant cette crise. Hervé s’en offusque également : "Qui s’occupera de tous ces jeunes déjà fragilisés s’il n’y a plus assez d’éducateurs ? Nous avons tous une conscience professionnelle et nous sommes débrouillards mais j’ai vraiment l’impression que nous sommes les oubliés du secteur. Je m’inquiète aussi de ce qui se passera après la crise. Nous avons de plus en plus de cas qui relèvent de la psychiatrie et nous ne sommes pas outillés pour les accueillir. Malheureusement, il n’y a pas de place pour eux ailleurs"

 

Première ligne

 Nous sommes lundi matin, et l’effervescence gagne le service des urgences de l’hôpital universitaire. Comme les autres services de ce type en Belgique, il devrait pouvoir dispenser des soins spécialisés non disponibles ailleurs. Impossible : il est rempli de personnes qui auraient dû être prises en charge ailleurs - en première ligne - là où les soignants sont les plus proches des gens et en meilleure connexion avec leur réalité de vie. Surchargé, le service des urgences n’est presque plus accessible aux patients qui ont besoin de soins technologiques spécialisés.” Ces lignes ont été écrites il y a plusieurs mois. À un moment où personne n’avait entendu parler du Covid-19 et où la planète n’était pas encore secouée par une crise sanitaire exceptionnelle. Comme une prémonition… 
Le fruit du hasard ? Pas complètement. Le scénario décrit ci-dessus figure en ouverture du tout premier « Livre blanc de la première ligne en Belgique francophone », une centaine de pages qui ont l’ambition d’inviter à une réflexion générale sur la santé de proximité de demain. Et de fédérer les compétences des citoyens eux-mêmes et – excusez du peu – d’une bonne quinzaine de professions axées sur la protection et la promotion de la santé : médecins généralistes, dentistes, pharmaciens et infirmiers. Mais aussi : kinés, ostéopathes, aides familiales et aides-soignants, diététiciens, ergothérapeutes, assistants sociaux, podologues, psychologues, sages-femmes, logopèdes et accueillants. Sans oublier les mutuelles, associations de patients et soignants, administrations…

Consultation à gogo

Dans un pays comme le nôtre, la première ligne prend en charge quelque 90 % des besoins de santé. Par définition, elle colle au plus près aux lieux de vie quotidienne des gens. Ses maîtres-mots : accessibilité (financière et géographique), disponibilité, universalité. Chacun, en théorie, a accès au système. Pendant un an, une poignée de chercheurs a lu, écouté et consulté tous azimuts, notamment les 6.100 réponses aux questionnaires disséminés dans toutes les disciplines concernées, élargies à la seconde ligne (médecins spécialisés et hôpitaux). Ateliers et débats ont suivi, aboutissant à divers constats.
Primo, la première ligne wallonne et bruxelloise, aujourd’hui, est à la fois peu structurée, pas assez visible et trop peu valorisée. Exemple classique : lorsqu’un généraliste prend le temps de s’intéresser aux conditions de vie d’un patient - logement, alimentation, hygiène de vie, revenu… - ou lorsqu’il saisit son téléphone pour contacter un service apte à répondre ses besoins fondamentaux (liés à sa santé au sens large), il est peu ou pas rémunéré pour ses efforts. Autre illustration de ces lacunes : “ alors qu’on a demandé, à juste titre, aux hôpitaux de se restructurer en réseaux et aux plateformes de santé mentale de se réajuster, on n’a rien demandé de tel à la première ligne ”, explique Thérèse Van Durme, coordinatrice de Be.Hive, la chaire interdisciplinaire (1) qui, avec l’aide du Fonds Daniël De Coninck et de la Fondation Roi Baudouin, fédère depuis peu trois universités et trois hautes écoles dans une double perspective : la recherche et le partage d’expériences pilotes sur la première ligne. “ Jusqu’ici, historiquement, l’organisation des soins s’est faite par le ‘terrain’, par chaque discipline de son côté. Sans vision d’ensemble. ” 

Un moment clé pour anticiper

Deuxième constat : à la suite de la sixième réforme de l’État et de la formation des derniers gouvernements régionaux, la fenêtre s’est ouverte pour une réforme d’envergure de la première ligne. Désormais, les Régions sont à la manœuvre. “La réflexion dans les cabinets évolue énormément. Chacun est bien conscient que le médecin généraliste – ne fût-ce qu’en raison des difficultés de recruter parmi la jeune génération – ne peut plus, seul, répondre aux besoins plus complexes de la population. Il doit pouvoir compter sur d’autres forces vives, des collaborations, des réseaux… ”
Le troisième constat est à la fois démographique, sociologique et technologique. La population vieillit rapidement. En 2035, deux tiers de la population du pays aura plus de 65 ans. De là, la multiplication des malades chroniques : une personne sur deux, à partir de cet âge, souffre d’au moins deux maladies chroniques simultanées. Ces populations sont – et seront – de plus en plus traitées en dehors de l’hôpital et grâce à des technologies en profonde mutation, parmi lesquelles l’intervention d’algorithmes aidant au diagnostic et au traitement. Si elles sont suivies à domicile, elles auront besoin d’aide et de soins de proximité, dispensés par des professionnels bien au fait des ressources locales. Autre évolution prévue par certains experts : la nécessité d’assurer les soins dans des villes devant être, dès 2030, partiellement débarrassées de ses moteurs thermiques, trop polluants (“décarbonation”).

Découpage territorial

Personne ne peut dire avec certitude, au vu de ces perspectives, à quoi ressemblera la première ligne de demain. Mais, réunis récemment à Charleroi pour la présentation officielle du Livre blanc, les acteurs concernés ont laissé entrevoir quelques-unes des révolutions en gestation. Ainsi en est-il du découpage territorial basé sur la taille de la population. L’idée : évaluer, quartier par quartier et zone rurale par zone rurale, si les besoins de la population ainsi cartographiée sont rencontrés par toutes les professions de première ligne (au lieu de maintenir une offre de soins historiquement pensée surtout par les professionnels).
Autre piste, le décloisonnement des professions, pas seulement via une collaboration renforcée entre intervenants, mais aussi par l’organisation d’un tronc commun dans leur formation, voire par des pratiques de soins élargies à davantage de professions qu’aujourd’hui. Ainsi, on pourrait voir, demain, des infirmiers prescrire des examens et des traitements à des malades chroniques (diabète) dans un cadre soigneusement balisé (collaboration avec le médecin, notamment). Et des sages-femmes administrer des vaccins ou réaliser des frottis.
Autre évolution souhaitée, l’élaboration de plans de traitement tenant davantage compte des projets de vie du patient (Lire En Marche 20 janvier 2020).  “Chez les malades souffrant de pathologies complexes, la douleur chronique vient en priorité absolue des préoccupations. Mais, aux yeux des soignants, seulement en cinquième position, relève Thérèse Van Durme. Il faut pouvoir mieux répondre à cela, dans une logique de co-construction des plans de traitement.” Les patients, eux aussi, devront changer leurs habitudes, notamment celle de courir trop vite chez le spécialiste ou aux services d’urgence. Bref, du changement pour tous. “La crise du coronavirus était totalement imprévue, mais elle pourrait faciliter ces transitions car elle révèle les erreurs du passé et catalyse les énergies. On palabre depuis dix ans, par exemple, sur le financement des consultations téléphoniques par les généralistes, se félicite la coordinatrice de la chaire Be.Hive. Ici, en cinq jours, l’affaire a été réglée ! Face au Covid-19, un ‘nous’ est en train de se créer, plus personne ne veut tirer la couverture à soi. ” De bon augure…