Parentalité

Mamans précarisées, bébés en danger

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Soraya Soussi

Soraya Soussi

Un gros ballon de gymnastique, une table de massage pliée dans un coin, des coussins posés un peu partout. Pas de doute, nous sommes dans la salle de kinésithérapie et de massage pour bébés de l’asbl Aquarelle. Depuis 20 ans, cette association attachée au CHU Saint-Pierre vient en aide aux femmes enceintes qui ne bénéficient pas de couverture sociale. Bien qu’il existe de nombreuses consultations pré et postnatales gratuites de l’ONE en Belgique (de quartier ou à l’hôpital), Aquarelle est la seule association qui offre un soutien médico-social et matériel aux femmes enceintes précarisées en Wallonie et à Bruxelles. En 2018, elles étaient 572 (dont 13,9% de moins de 20 ans) à bénéficier du soutien et du suivi de l’équipe associative.

" Je suis venue prendre des vêtements de bébés pour une amie qui est enceinte. C’est très cher les affaires pour bébés, ils grandissent vite et nous n’avons pas les moyens d’acheter tout ce qu’il faut en plus de la nourriture ", raconte Fatoumata (nom d’emprunt). Cette jeune femme connait bien l’asbl. À l’époque, Fatoumata attendait sa fille âgée de trois ans aujourd’hui. D’origine ivoirienne, la jeune maman est arrivée en Belgique en 2012 : " Le mariage forcé, l’excision, aucune liberté, c’est ce qui m’attendait si je restais là-bas. Je voulais venir ici, trouver un travail, mener une vie sans danger." Après un temps passé dans la rue, Fatoumata rencontre un homme qui lui propose de l’héberger. Très vite, il devient maltraitant et menace de la dénoncer aux autorités. À cette époque, elle n’avait aucun papier sur elle et risquait d’atterrir dans un centre fermé ou pire, un renvoi au pays. Elle décide finalement de s’enfuir, après un an de vie commune. Retour à la rue. " Je préférais rester dehors que de vivre avec lui. " Fatoumata rencontre ensuite un autre homme. Un mois plus tard, elle tombe enceinte. " Lui, il est gentil, bienveillant. Il a bien voulu reconnaître l’enfant. Je suis allée à l’hôpital Saint-Pierre pour me renseigner sur ce que je devais faire durant ma grossesse. J’étais enceinte de plus de trois mois. Là, j’ai rencontré Linda Doeraene, la directrice d’Aquarelle. Elle m’a dit de passer la voir à l’association. Elle m’a énormément aidé durant toute ma grossesse et pour tout le reste. "


Des soins médicaux à la création de liens sociaux


Ce matin, c’est la course pour Rachel Gourdin, sage-femme au sein de l’asbl. Réunions, accueil des personnes, consultations et visites à domicile font partie des missions quotidiennes de l’équipe composée de sages-femmes, de kinésithérapeutes et de travailleurs médico-sociaux (TMS). " Notre travail avec les femmes que nous rencontrons consiste à suivre leur grossesse, après avoir évalué leur situation sociale, économique mais aussi leur état psychologique. Beaucoup de femmes ont des parcours de migration très difficiles qui vont nécessiter d’autres aides : colis alimentaires, logement, aide juridique gratuite, soutien administratif, etc. "
 
Pour Rachel Gourdin, il est essentiel de suivre la grossesse de ces femmes au plus tôt et à tous les niveaux : "Certaines femmes ne mangent pas à leur faim. Faute de moyens, elles sont sous-alimentées. Certaines d’entre elles vivent dehors. Elles sont alors extrêmement fatiguées, carencées au cours d'une grossesse (souvent non désirée) qui puise le peu d’énergie qu’elles ont. L’accouchement est alors très difficile et se fait souvent de manière prématurée." Selon le rapport d’activité 2018 de l’association, 10% des grossesses n’ont pas bénéficié d'un suivi correct. Cet état de fait conduit à une morbi-mortalité périnatale six fois plus élevée que celle de femmes témoins bénéficiant de suivis habituels.
 
Face aux problèmes financiers rencontrés par ces femmes, le bien-être durant la période de grossesse n’est pas toujours une priorité : "S’il y a cette instabilité matérielle, il y a aussi son parcours personnel qui peut être véritablement rocambolesque. Par exemple, une jeune femme qui fuit sa famille, son pays et qui parcourt des kilomètres par voie terrestre ou maritime ne le fait pas sans raison (pauvreté, guerre, violence, etc.). Elle a donc un passé lourd et complexe à assimiler. Arrivée ici, elle est dévalorisée par la société qui lui renvoie une image très négative : une femme sans-papiers, qui vogue entre les services sociaux. Elle fait donc face à beaucoup de difficultés en plus de toutes les transformations physiques, psychiques qui se mettent en place durant sa grossesse." L’urgence pour ces femmes est alors de trouver un toit et de quoi manger, parfois sans se préoccuper de la grossesse. Un enchainement infernal qui "accroît leur mésestime d’elles-mêmes" et leur capacité à prendre soin d’elles.

"Aujourd’hui, j’ai mes papiers et un logement, donc je peux un peu mieux m’en sortir qu’avant. On m’a aidée quand j’en avais besoin, c’est normal que j’aide à mon tour. Nous sommes plusieurs femmes à avoir des vies difficiles et à ne pas savoir vers qui se tourner. Alors, quand on se rencontre dans les autres associations, on se parle, on s’entraide. Aujourd’hui, j’ai beaucoup d’amies et ça fait du bien aussi", confie une Fatoumata souriante. Outre l’accès à des soins médicaux et des aides matérielles, les activités que proposent les associations de quartiers, par exemple, permettent aux femmes de s’inscrire dans la société et d’y prendre place. Ce constat renvoie à une situation que Rachel Gourdin dénonce : "Beaucoup d’entre elles vivent là. Arrêtons l'hypocrisie : elles ne vont pas repartir dans la misère qu’elles ont fuie. Leurs enfants vont également grandir ici, ils vont aller à l’école, il faut donc faciliter ces situations. Ce serait, à mon humble avis, plus simple et plus sécurisant pour tout le monde si ces personnes étaient régularisées."


Pas logées à la même enseigne


Les familles ou femmes seules qui attendent un bébé ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Une personne, pour peu qu'elle cotise auprès d'une mutualité (voir ci-dessous), bénéficie de l’assurance de soins de santé obligatoire et de l'assurance complémentaire avec la possibilité d’ajouter d’autres assurances facultatives. Dans ce cas, une partie des frais médicaux ambulatoires (gynécologie, médecins généralistes, kinésithérapeutes, etc.) et hospitaliers sont pris en charge, peu importe le lieu d’accouchement (maison de naissance, hôpital, à domicile). " Ces frais varient selon le type de médecins consultés (conventionnés ou non), selon le choix d’une chambre individuelle ou double et selon les frais d’honoraires des prestataires de soin », explique Quentin Lovenfosse , formateur en assurabilité à la Mutualité chrétienne.

Pour d’autres femmes, la situation est beaucoup moins confortable, voire extrêmement difficile comme celle de Fatoumata : si la personne est en situation de séjour "irrégulier", elle peut alors faire appel à l’Aide Médicale Urgente (AMU), une aide offerte par le CPAS. Seulement, obtenir une AMU nécessite au préalable une enquête sociale qui s’avère parfois longue et laborieuse, selon les CPAS. Si la personne n’a aucune couverture, elle doit alors payer le prix plein. Ce qui est impossible pour de nombreuses femmes, qui s’exposent alors à de multiples dangers en ne se faisant pas suivre médicalement.


 "L’auto-santé comme outil d’émancipation"


Si l’asbl Aquarelle soutient et accompagne les femmes enceintes vulnérables dans leur suivi, il est important pour l’équipe de ne pas tomber dans l’assistanat. "Nous mettons un point d’honneur à rendre les femmes responsables de leur santé. Il s’agit de les conscientiser sur l’importance d’être actrices de leur bien-être physique, mental et psychologique. Nous leur procurons donc des outils nécessaires à cette émancipation", insiste Linda Doeraene, directrice de l’asbl Aquarelle. Bien sûr, c’est toujours du 'cas par cas' : si une femme a besoin davantage d’être accompagnée, nous le faisons sans hésitation."

Cette notion d’auto-santé comme outil d’émancipation ne s’applique pas qu’aux femmes en situation de précarité. L’asbl Femmes et Santé soutient "une approche féministe et de promotion de la santé" en vue de rendre les femmes actrices de leur bien-être. Comme le précise Manoë Jacquet, coordinatrice de Femmes et Santé, "le corps de la femme lui appartient. Il est donc essentiel qu’elle soit consciente du pouvoir qu’elle a sur celui-ci. Dans le cas des femmes enceintes, il y a parfois une surmédicalisation de la personne. La grossesse n’est pas une pathologie. Lorsqu’elle est vécue sans difficulté, il n’est pas nécessaire de se rendre tous les mois chez sa ou son gynécologue. Cela doit rester un choix et non une obligation ou un devoir imposé."
 

Bénéficier d'une mutualité : sous quelles conditions ?

Si vous n'êtes pas certain de pouvoir bénéficier d'une mutualité, voici un récapitulatif des personnes ayant le droit de s'y inscrire. 


1. Toute personne qui travaille légalement (employé, ouvrier, indépendant) ;
2. Toute personne à charge d’un titulaire bénéficiant d’une mutualité ;
3. Toute personne, même sans revenus, amenant un document officiel de la commune (composition de ménage) et une carte de résident (à certaines conditions) ;
4. Les résidents qui paient une certaine somme obligatoire en fonction des revenus.
5. Toute personne inscrite sous une convention internationale ;
6. Toute personne bénéficiant des allocations de chômage ou d'une indemnité d'incapacité de travail.

Pour plus d'infos auprès des conseillers mutualistes de la MC, au 0800 10 987 et sur

www.mc.be

Pour en savoir plus ...

Pour faire un don (de vêtements, de matériel de puériculture, ...) et/ou en savoir plus sur l'asbl Aquarelle, rendez-vous sur www.aquarelle-bru.be