Soins de santé

Nos futurs soins et souhaits de (fin de) vie       

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(c)iStock
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Candice Leblanc

Candice Leblanc

Magali, la quarantaine, est atteinte de sclérose en plaques. Pour le moment, elle ne souffre d’aucun handicap majeur, mais elle s’inquiète de l’avenir. Que se passera-t-il si son état se dégrade au point qu’elle ne puisse plus vivre seule ? Hussein, pour sa part, a récemment reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Certes, il a une famille aimante sur laquelle il peut compter, mais il n’a pas envie de devenir un poids pour eux, notamment pour son épouse dont la santé décline aussi. Evelyne, elle, vit dans une maison de repos. Ses problèmes cardiaques nécessiteraient une hospitalisation, mais elle redoute de finir sa vie aux soins intensifs, surtout en pleine pandémie : tant qu’à faire, elle préfèrerait céder sa place… Quant à Serge, il souffre d’un cancer métastatique. Les traitements n’ont pas fonctionné, il est épuisé, il n’a plus envie de se battre, mais sa fille est contre l’euthanasie et il ne sait pas à qui en parler…

Un sujet important, pour tout le monde
Personne n'aime penser à sa fin de vie ou à sa perte d’autonomie. Ce n’était pas non plus le genre de sujets que Magali, Hussein, Evelyne et Serge aimaient aborder ! Mais voilà : maintenant qu’ils sont confrontés à ces perspectives, les mêmes questions et inquiétudes les taraudent. Comment organiser l’avenir ? Que faire pour rester maitre de sa vie et de ses choix, jusqu’au bout ? Comment épargner à ses proches des situations, des discussions ou même des décisions difficiles ? Et que se passera-t-il si, un jour, ils ne sont même plus en état d'exprimer ou même de réfléchir aux soins qu’ils souhaitent recevoir ou pas ?
C’est tout l’enjeu de ce que l’on appelle la planification anticipée des soins ou "Advance Care Planning" (ACP). En Belgique, tout patient a le droit de discuter à l’avance des soins dont il pourrait avoir besoin en cas de maladie, d’urgence ou de fin de vie et, le cas échéant, s’il souhaite en bénéficier. Aborder ces questions avec son ou ses médecins traitants, avec sa famille et/ou ses amis est primordial.
Car réfléchir, discuter et pouvoir se prononcer sur ces questions apporte généralement de la sérénité au patient, enlève un poids énorme à ses proches et prévient certains conflits familiaux. Cette démarche est aussi précieuse pour les soignants. Connaître les volontés du patient leur permet d’ébaucher un cadre clair et un projet de soins et de suivi individualisé, conforme à ses souhaits. Ce qui diminue d’autant la pression morale de leur travail et le leur facilite.

Anticipation et confiance
Mais comment être sûr que nos souhaits seront pris en considération si nous ne sommes plus en état de les exprimer ? Plusieurs solutions existent. En premier lieu, la directive anticipée. Il s’agit d’un document écrit, daté et signé dans lequel nous exprimons à l’avance nos souhaits et les soins médicaux que nous voulons ou refusons.
Une fois complétée, il est possible d’en faire des copies, de la confier à son médecin traitant pour qu’il l’intègre au Dossier médical global et/ou de la faire enregistrer dans notre dossier informatisé à l’hôpital. Certaines déclarations peuvent être téléchargées sur les plateformes eHealth/Ma santé, Réseau Santé Wallon ou Bruxellois. Mais l’idéal est encore d’aller les enregistrer à la commune et, surtout, d’en informer ses proches. Désigner un représentant et lui faire part de ses volontés lui permettra de les faire valoir. "Souvent, le choix s’opère de façon 'naturelle', dans la famille proche, explique la Pr De Breucker. En cas de familles dysfonctionnelles, où il y a des conflits, le patient peut aussi désigner un ami. Ce choix peut d’ailleurs être entériné chez le notaire."   

Et quand on n’a (encore) rien dit ?
Dans la pratique, toutefois, seule une minorité de personnes font des déclarations anticipées. Qu’en est-il des autres ? "À l’hôpital, il y a deux cas de figure pour les patients gériatriques, explique la Pr De Breucker. En cas de problème de santé aigu et soudain, si la personne n’est pas en état de se prononcer sur les soins envisagés, nous nous renseignons auprès de ses proches, de son médecin traitant, du médecin-coordinateur de la maison de repos. Mais dans le non-aigu, en consultation de suivi, nous, gériatres, sommes dans l’accompagnement et la prévention. À ce titre, tout ce qui concerne l’ACP est systématiquement abordé, dès que c’est nécessaire."
Afin que le patient puisse prendre des décisions éclairées, en toute connaissance de cause, les médecins doivent lui fournir des explications compréhensibles sur des aspects parfois très techniques d’une prise en charge médicale. Par exemple, la pose d’une sonde alimentaire est une décision lourde de conséquences, car cette alimentation "artificielle" peut maintenir en vie (très) longtemps. " Il nous faut aussi cerner et décrypter certaines plaintes, ajoute la gériatre. Un patient âgé qui dit 'je veux mourir', que demande-t-il, exactement ? L’euthanasie ou le refus d’être réanimé en cas d’arrêt cardiaque, d’une chimiothérapie en cas de cancer ou de la dialyse si ses reins lâchent ? Ce n’est pas la même chose et chaque situation de santé est unique."

Autonomie, aides et aidants proches
L’ACP ne se limite pas à aborder la question du décès. La planification des soins couvre également la perte d’autonomie, le maintien à domicile ou l’institutionnalisation. "En cas de troubles cognitifs type Alzheimer ou de maladie neurologique dégénérative (sclérose en plaques, maladie de Parkinson, etc.), mieux vaut se préparer en amont et aborder ces sujets le plus tôt possible, estime le Pr Adrian Ivanoiu, neurologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Un diagnostic et une prise en charge précoces permettent d’amorcer une importante discussion sur les souhaits du patient concernant son avenir, mais aussi celui de son entourage et de son environnement : les adaptations du domicile, le choix du représentant, les solutions d’aides et de soutien dont pourra bénéficier le patient et son aidant proche, etc. Anticiper et parer à ces situations épargne bien des difficultés et soucis ultérieurs ! La question de l’institutionnalisation et du transfert en maison de repos et de soins (MRS)  revient très souvent dans ces discussions. "Au départ, tout le monde est contre ! poursuit le Pr Ivanoiu. Mais cette position peut évoluer, en fonction de l’état de santé de la personne, mais aussi de son entourage. Quand la situation devient ingérable pour l’aidant proche et que les aides à domicile ne suffisent plus, le patient accepte généralement d’en rediscuter." "On ne peut pas forcer une personne à aller en MRS contre son gré, sauf en cas de mise sous tutelle (1), ajoute la Pr De Breucker. Mais c’est une démarche psychologiquement 'violente' pour les personnes concernées… Mieux vaut éviter d’en arriver là et tenter plutôt de dialoguer et convaincre le patient et/ou ses proches."

 Un processus évolutif
La planification anticipée des soins n’est pas une action figée et définitive, une série de documents "sacrés" ou de décisions coulées dans le marbre. Il s’agit plutôt d’un processus de réflexion. Nos idées en la matière évoluent souvent au gré de notre existence, de nos expériences, de nos priorités ou de nos convictions. En tous cas, quels que soient notre âge et notre état de santé, nous avons tout intérêt à aborder le sujet avec notre médecin traitant et notre entourage. En parler quand tout va bien est souvent plus facile et moins douloureux. Cela permet aussi d’avoir des discussions intéressantes avec ses proches, de leur faire part de ce qui est important pour nous, mais aussi de découvrir ce qui est important pour eux. Pour, en fin de compte, aborder l’avenir avec quelques inquiétudes en moins et de la sérénité en plus.  

Les déclarations anticipées relatives à la fin de vie

Il existe cinq déclarations anticipées spécifiques et relatives à la fin de vie, disponibles et téléchargeables en ligne. 

  • La déclaration anticipée négative demande au personnel soignant de s’abstenir d’administrer certains traitements : intubation, réanimation, alimentation artificielle, chimiothérapie, etc.
  • La déclaration anticipée relative à l’euthanasie nous permet de déclarer notre souhait d’avoir recours à l’euthanasie, pour peu que notre situation réponde aux conditions posées par la loi (*).
  • La déclaration anticipée relative aux dernières volontés évoque les dispositions que nous souhaitons pour nos obsèques.
  • La déclaration relative au don d’organes : en Belgique, toute personne résidant depuis au moins six mois sur le territoire est considérée comme donneur d’organe potentiel. Cependant, nous pouvons nous y opposer ou, au contraire, confirmer notre consentement à être donneur d’organe via cette déclaration.
  • La déclaration relative au don de son corps à la science est par contre indispensable. Sans ce document, personne ne pourra utiliser votre dépouille à des fins de recherche ou d’enseignement aux futurs médecins, par exemple.  

(*) Notamment se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d'une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable.