Consommation

Greenwashing: le vert est dans le fruit

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© Ph Turpin - Belpress
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Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Des voitures qui améliorent l'atmosphère, ça existe ? Bien sûr. De même que des emballages qui rendent la nature plus belle, des pesticides qui protègent la vie sauvage et des détergents vaisselle qui rendent l'eau de source plus propre. Oui, tout cela existe, du moins dans le monde surréaliste du "greenwashing". Comprenez : l'utilisation abusive d'un argument écologique dans la publicité. Ou, en français, l'éco-blanchiment: "de grosses ficelles marketing dans une farce économique où les consommateurs tiennent le rôle de dindons" (1). Les dindons, c'est nous. Persuadés qu'on nous vend des produits "bons pour l'environnement", "respectueux de la planète", plus "recyclables" et "biodégradables" les uns que les autres. Il faut dire que ce matraquage a de gros moyens : depuis que l'environnement a débarqué dans le débat de société, les budgets de la publicité verte ont littéralement explosé, décuplant en vingt cinq ans ! L'éco-blanchiment s'est donc accentué tout en se raffinant. Il va en tout cas plus loin, aujourd'hui, que le simple embellissement de la réalité, jolies fleurs et petits oiseaux à l'appui, comme la pub nous y a toujours habitués. Il consiste à nous fourguer des produits au nom de vertus environnementales qu'ils n'ont tout simplement pas, mais aussi à taire leurs impacts négatifs en les enduisant d'allégations trompeuses ou carrément erronées.

Pas de Pinocchio belge


Comment y voir clair ? En France, les associations spécialisées décernent chaque année un "Prix Pinocchio" à l'entreprise la plus menteuse. Nul équivalent en Belgique. Mais, au siège d'Ecoconso, à Namur, une poignée de vigiles traque sans relâche les menteurs et les beaux parleurs : détartrants soi-disant "sans chlore" (vantés au recto du produit) mais en réalité riches en acide chlorydrique (au verso, en petits caractères); les isolants "naturels" (du sable et du verre…) mais criblés d'additifs chimiques pour les lier ; les produits
de lessive "écologiques" et "sans phosphates" mais bourrés de phosphonates guère mieux tolérés par l'environnement et de produits allergisants ; les pellets vendus comme "produits naturels de nos forêts" mais importés à grands frais du Canada au terme d'une énorme dépense énergétique, etc. Tout fait farine au moulin écologique. "Le greenwashing est de plus en plus insidieux et concerne tous les secteurs et produits, explique Sylvie Wallez, chargée de mission à Ecoconso. Il se déguise tellement bien que le consommateur ne peut concevoir d'être grugé et se dit "ils n'oseraient quand même pas nous mentir". Et pourtant, oui, ils osent !". C'est qu'en l'absence quasiment générale de réglementation efficace, les Pinocchio n'ont que l'embarras du choix quant aux stratégies à mettre en oeuvre. Voici les principales, souvent combinées.

• Barder le produit de pictogrammes techniques et scientifiques, incompréhensibles, faisant croire à des labels officiels. Exemple : mentionner le mot "REACH" (2) qui, en fait, n'est ni un label ni une garantie pour le consommateur, mais le nom d'une procédure d'enregistrement pour les produits chimiques. Variante: créer un pictogramme de toutes pièces : un arbre, un papillon, une planète...

• Jouer la corde du retour à la nature ou des recettes de grand-mère. L'authenticité et le "bon vieux temps" comme valeurs suprêmes de l'écologie...

• Présenter certaines caractéristiques du produit comme des mérites ou des progrès, alors qu'elles sont obligatoires de longue date. Un grand classique: les sprays vantés "sans

CFC" (gaz chlorofluorocarbonés) qui, en réalité, ne peuvent plus en contenir depuis un quart de siècle.

• Attirer l'attention sur un des ingrédients (effectivement écologique) pour mieux faire oublier que tous les autres sont nocifs ou toxiques.

• Créer des confusions sémantiques, comme "recyclable" au lieu de "recyclé". Tous les plastiques, par exemple, sont techniquement recyclables à l'heure actuelle, mais seuls quelques-uns sont effectivement recyclés.

• Rebondir sur les événements ou les rendez-vous de l'actualité environnementale et les transformer à son profit. Telle cette grande marque automobile japonaise vantant sans gêne son véhicule urbain 4X4 au motif qu'il a été "conçu et développé au pays des accords sur le climat de Kyoto"…

De la "Stévia” verte ?

Sans parler, bien sûr, de la règle d'or, et de bonne guerre en matière de pub : vendre du rêve, de l'émotion. "On n'imagine pas ce que le marketing parvient à imprimer dans nos cerveaux pour nous dédouaner de nos responsabilités de consommateur, commente Sylvie Wallez. En jouant sur le plaisir de posséder une belle voiture, il réussit à nous convaincre que rouler n'est finalement pas si mauvais pour l'environnement - voire contribue à un environnement sain ! - puisque le véhicule est léger, issu de matériaux recyclés, peu exigeant en entretien, muni d'un arrêt/relance automatique du moteur, etc." L'experte cite également le cas de cette marque de soda bien connue qui, depuis peu, commercialise une nouvelle gamme de boissons sucrées à la stévia via un signalement de couleur verte. Une belle opération sur le plan marketing puisque outre la promotion de la santé (moins de sucre = lutte contre l'obésité), elle réussit la prouesse de présenter sa nouvelle gamme comme un "plus" pour l'environnement. "En réalité, cette nouvelle boisson privera certaines communautés d'Amérique du sud d'une plante sucrante nourricière et aboutira à la construction de routes et usines de toutes sortes. Au minimum, elle remplacera une pollution par une autre, sinon en créera de nouvelles".

Le consommateur complice ?

Il existe en Belgique un code de la publicité écologique, mais son observance par les entreprises est facultative. Les blâmes du Jury d'Éthique publicitaire, sont rares et tardifs, donc peu dissuasifs. Certes, "aujourd'hui, des consommateurs avisés, grâce aux réseaux sociaux, peuvent tuer un produit en quelques clics, reconnaît Sylvie Wallez. Mais les marques parviennent souvent à noyer les critiques dans des opérations de mea culpa ou des initiatives de type invitations à des tables rondes. Au final, on récupérera toujours le client, on l'amadouera". Plus fondamentalement, si les publicités vertes rencontrent si peu d'obstacles sur leur route, c'est peut-être parce qu'elles arrangent bien le consommateur, persuadé que ses préoccupations environnementales sont rencontrées et qu'il ne doit modifier ni ses réflexes ni ses habitudes d'achat.

Une vision un peu simpliste. En effet, s'il souhaite une planète plus propre et plus respirable, le consommateur doit idéalement adopter une attitude plus active, plus vigilante, plus critique. Ce qui nécessite de s'intéresser aux labels (lire l'encadré ci-dessous) et aux entreprises dont le coeur même d' activités consiste à confectionner des produits écologiques, loin de tout verdissement a posteriori.

 @MVDM/ecoconso/CCBYNCND

Labels et la bête

 Les labels, ça peut aider grandement à acheter vert... Sauf que voilà, ils sont devenus pléthoriques. Comment s'y retrouver ? La toute récente brochure gratuite d'Ecoconso "les labels sous la loupe" est un très bon outil, facile à consulter pendant les courses. Les auteurs ont sélectionné les labels fiables les plus fréquents. Il y a, d'abord, la catégorie des labels officiels, basés sur des indicateurs mesurables et transparents, évaluant le cycle de vie complet d'un produit. Exemples : le label européen de l'agriculture biologique, Biogarantie, AB, etc. Des labels privés comme le FSC et le PEFC (sur le bois) y sont assimilés. Ensuite, la catégorie des auto-déclarations environnementales, non certifiées par une tierce partie indépendante. Plus difficile, car le pire y côtoie le meilleur, estime Ecoconso. Certaines auto-déclarations sont plus exigeantes que la catégorie 1, par exemple pour les produits d'hygiène. Enfin, les écoprofils, sortes de cartographies des performances environnementales. En plein essor, mais moins rapides à décrypter.

Voilà pour un premier défrichage des labels. Ecoconso, toutefois, avertit : se retrancher derrière un label n'est qu'un premier pas. Il faut, aussi, se questionner sur le sens de ses achats. A quoi bon acheter des courgettes estampillées bio en janvier, forcément venues de très loin ? Pourquoi continuer à fréquenter cette supérette 100% bio, mais accessible uniquement en voiture et construite en matériaux conventionnels polluants ? À quoi bon acheter labellisé si 10 ou 20% du réfrigérateur familial filent régulièrement à la poubelle ? Bref, sachons garder du recul…

Pas simple, de consommer vraiment durable ? Vrai! Mais excitant... "Comme pour les régimes amincissants, mener une vie d'ascète, en se limitant strictement aux produits labellisés, est intenable à long terme, reconnaît Sylvie Wallez. Chacun peut se façonner son propre parcours de consommateur écologique en fonction de ses habitudes financières, gastronomiques et familiales".

Pour en savoir plus ...

Outre ses publications et son numéro d'appel gratuit 081/730.730 (en matinée), Ecoconso organise des visites de supermarchés et des animations pour groupes sur l'éco-blanchiment.

Infos: www.ecoconso.be ou www.suivezleguide.be.