Consommation

L'alu, ami ou ennemi ?

5 min.
© Photoalto-BELGAIMAGE
© Photoalto-BELGAIMAGE
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Ils sont médecins, mais aussi biologistes, chimistes, pharmaciens, environnementalistes, industriels… Tous les deux ans, ce beau monde se réunit pendant plusieurs jours pour faire le point sur son intérêt commun : l'aluminium et particulièrement son impact sur la santé. Il y a du boulot ! Les recherches se multiplient et avancent à pas de géant. Non, on ne sait pas encore tout sur la toxicologie de l'aluminium, loin de là (1). Les études sont longues et coûteuses. C'est que l'aluminium est omniprésent dans notre environnement, le plus souvent à toutes petites doses, et se cumule avec d'autres agents chimiques. Comme pour tout phénomène de pollution environnementale, la relation de cause à effet entre un agent et une maladie est difficile à établir. Mais, si l'on ne maîtrise pas encore le problème dans son intégralité, on pressent que l'omniprésence de l'aluminium constitue un réel problème de santé publique. Grave ? Non, répond l'écotoxicologue britannique Christopher Exley, le "Monsieur Aluminium" européen qui lui a déjà consacré vingt ans de recherches. Mais, à l'issue du dernier grand rendez-vous scientifique, qui s'est tenu récemment à Lille, il précise aussitôt qu'"il faut agir dès maintenant. Sinon, le problème va exploser dans cinq, dix ou quinze ans".

Fertilité, autisme, Alzheimer…

Des travaux scientifiques, dont la plupart n'ont pas encore été publiés dans la littérature spécialisée, laissent entendre que l'aluminium pourrait contribuer à la baisse de la fertilité masculine constatée dans de nombreuses régions du monde. "On en a en tout cas retrouvé dans les spermatozoïdes, ce qui constitue une totale nouveauté", commente Christopher Exley. Autre découverte récente : la capacité de stockage de l'aluminium dans le tube digestif est plus importante que prévu. "Jusqu'il y a peu, on pensait que cela se limitait à 1 ou 2% de l'aluminium ingéré. Or cette proportion peut monter jusqu'à 40 ou 50%". Selon les travaux menés à l'Université de Lille, ce phénomène de stockage entraîne probablement des inflammations de l'intestin plus longues et plus intenses (c'est déjà démontré chez la souris). Il pourrait aussi jouer un rôle dans la sensibilité à la douleur. "Sous l'influence de l'aluminium, des phénomènes intestinaux normalement pas ou peu douloureux – comme le ballonnement – deviennent sources de douleurs", commente le chercheur britannique. "Même si la preuve définitive reste actuellement insaisissable, la surcharge en aluminium est fortement suspectée de contribuer à la colopathie fonctionnelle (NDLR : syndrome de l'intestin irritable) et à des pathologies liées à la décalcification osseuse (ostéoporose et ostéomalacie)".

Migrant du tube digestif vers le cerveau, l'aluminium est aussi capable de s'y accumuler, ce qui semble expliquer - c'est une autre découverte récente - sa contribution à une forme de la maladie d'Alzheimer (peu répandue) frappant les personnes assez jeunes. La même suspicion "très forte" est relevée à propos de l'autisme. Autre élément mis en évidence : combiné à des prédispositions génétiques, l'aluminium est probablement responsable de la survenance d'une maladie rare dégénérative (la myofasciite à macrophages), caractérisée par des problèmes musculaires persistants liés à l'inoculation de certains vaccins. Enfin, les chercheurs comprennent mieux, depuis peu, les mécanismes par lesquels l'aluminium contribue à faire migrer des cellules mammaires cancéreuses (cancer du sein) vers d'autres parties du corps, contribuant à la diffusion de la maladie dans l'organisme.

Éliminable par la sueur

Des nouveautés inquiétantes ? Avec Pierre Desreumaux, gastroentérologue à l'Université de Lille, Chris topher Exley se veut nuancé. "L'aluminium n'est pas la cause unique des maladies neurologiques ou digestives, ni du cancer du sein. En raison d'une susceptibilité individuelle liée à des facteurs génétiques, chacun peut tomber malade…ou pas. En ce qui concerne plus spécifiquement la maladie d'Alzheimer, l'alu accélère tant la survenance que l'agressivité des symptômes : ceux-ci arrivent plus tôt et sont plus virulents". Le scientifique insiste également sur d'autres aspects mis récemment en évidence par les travaux des équipes spécialisées. Ainsi, l'exercice physique, via la sudation, élimine beaucoup plus d'aluminium que ce qu'on pensait autrefois (où l'on s'était limité à relever le rôle important de l'urine). Une autre façon d'éliminer l'aluminium des organes en surcharge consiste à boire une eau riche en silice. Car, aggloméré à la silice, l'alu se stocke moins dans l'organisme et s'évacue nettement plus facilement par les selles et l'urine. Dommage, toutefois, que la législation européenne sur l'étiquetage n'oblige pas à mentionner la présence de silice. Un autre motif de satisfaction est la prise de conscience des industriels des secteurs pharmaceutique et agro-alimentaire, bien représentés à Lille, de modifier leurs procédés de fabrication. "Les vaccins contenant un adjuvant à base d'alu sont de moins en moins nombreux : c'est une bonne chose", estime l'expert britannique. Il est en revanche nettement plus réservé sur les emballages de boissons multicouches en "brique" (carton/ alu/plastique). À cause de défauts de fabrication ou de longs délais de conservation, l'aluminium peut migrer jusqu'au contenu. "Il suffit d'un millième de gramme d'alu pour contaminer lourdement l'aliment".

Produits sensibles

  • Déodorants : leur rôle dans la formation du cancer du sein, en raison de la présence de sels d'aluminium destinés à supprimer les odeurs, est controversé. En revanche, la plupart des experts sont d'accord : il est déconseillé de les utiliser sur une peau régulièrement épilée et/ou blessée. Car, dès ce moment, l'aluminium pénètre massivement dans l'organisme et peut y déployer son potentiel neurotoxique. Les pierres d'Alun synthétiques (qui mentionnent "ammonium alum") contiennent également des sels d'aluminium. Les pierres d'Alun naturelles (la mention est alors "potassium alum") n'en contiennent normalement pas. Bien que ce ne soit pas formellement prouvé à ce stade, les secondes semblent inoffensives.
  • Christopher Exley déconseille de consommer les aliments emballés dans des barquettes d'alu. A fortiori s'il s'agit de plats préparés où, en plus, on rajoute de l'aluminium pour faciliter les processus industriels. C'est particulièrement le cas pour les aliments de type cakes et pâtisseries. Peu recommandables également : les feuilles d'alu, surtout quand on utilise du jus de citron ou du vin (préférer, alors, le papier sulfurisé). Quant aux casseroles en alu, il est conseillé de les remplacer si elles sont endommagées.
  • Et l'alimentation bio ? Selon Christopher Exley, aucune étude n'a prouvé que l'alimentation bio contient moins d'alu. En revanche, selon des travaux antérieurs de l'Université de Lille, la terre des potagers privés en contient nettement plus que celle des champs agricoles, assez étonnamment.
  • Éviter, si possible, les additifs alimentaires E173, E520, E523 et E554. Les E555, E556 et E559 sont interdits depuis le 1er février 2014.

Le vingtième siècle, début de l'ère Alu

L'aluminium est le troisième élément le plus courant dans la croûte terrestre, dont il constitue environ 8%. Extrait principalement de la bauxite, il est également le métal le plus abondant de la planète. Ses qualités sont innombrables. Il est léger, malléable, bon conducteur électrique et chimique, résistant à la corrosion et à la traction, etc. Pas étonnant que sa production ait connu une véritable explosion ces dernières décennies : 5 millions de tonnes en 1960, 25 millions de tonnes en 2002 et, aujourd'hui, 50 millions de tonnes.

Certains experts n'hésitent pas à qualifier notre époque de "l'ère de l'aluminium". C'est qu'il est partout : dans le bâtiment (châssis), l'industrie, l'alimentaire (où il est utilisé comme conservateur, colorant, antiagglomérant, etc.), la pharmacie (adjuvants de vaccins, pansements gastriques, etc.), les cosmétiques (maquillage, déodorants, etc.), l'emballage (canettes, barquettes alimentaires, etc.), la chirurgie (alliages, implants, céramiques, etc.). Sans oublier son rôle dans certains procédés d'épuration de l'eau de distribution.

Chez les enfants, et les adultes(1), la principale source alimentaire d'aluminium dans le corps se trouve dans les légumes et les produits céréaliers. Chez les nourrissons, il s'agit des légumes, du lait et des compotes. Le thé et le café sont des sources privilégiées d'ingestion. Jusqu'en 2008, la norme hebdomadaire jugée tolérable pour l'organisme était de 7 milligrammes par kilo de poids corporel. Mais, à la lueur des avancées de la recherche scientifique, l'Autorité européenne pour la sécurité alimentaire (l'EFSA) a divisé cette norme d'un facteur 7, soit 1 milligramme par kilo par semaine.

C'est, en moyenne, ce que nous ingérons dans nos régions. Mais, selon le Pr Pierre Desreumaux, gastroentérologue au CHRU de Lille et professeur à l'Université de la même ville, il n'est pas rare de trouver des enfants de 7 à 15 ans, tant en Europe qu'aux États-Unis, affichant des valeurs dix à quinze fois supérieures. Et cela, dit-il, essentiellement en raison d'une consommation élevée de plats préparés.