Jeunesse

Intégration scolaire : ça vaut le coup !

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© MAXPPP BELGAIMAGE
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Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

"Dans les années 70, l’arrivée de l’enseignement spécialisé a été considérée comme une fabuleuse avancée pour la Belgique. Notre pays a fait le choix de mettre sur pied un enseignement adapté. Cela peut conduire à des effets pervers, comme chaque fois qu’il y a création de niches. Il y a le pire et le meilleur dans l’enseignement spécialisé. Mais, ce qui est sûr, c’est que, une fois entrés, les enfants éprouvent encore du mal à sortir de cette filière". Une administratrice d’Altéo, mouvement social de personnes malades, valides et handicapées (voir encadré), résume assez clairement la situation actuelle : si, depuis 2004 (1), des moyens ont été débloqués et des méthodes ont été imaginées afin de créer des passerelles entre l’enseignement spécialisé et l’enseignement ordinaire, dans la pratique, cela s’avère encore difficile. Et, lorsqu’on est parent d’un enfant porteur de handicap et qu’on souhaite le voir entamer sa scolarité dans une classe dite "classique", cela peut ressembler à un petit parcours du combattant.
Ce parcours, Carmela ne le regrette aucunement. Elle a souhaité inscrire Luther – son petit garçon trisomique âgé de 4 ans – dans une école maternelle ordinaire. Et, si l’enseignement fondamental ne peut refuser l’arrivée en son sein d’un enfant ayant des besoins spécifiques, la réalité fut tout de même un peu rude pour la jeune mère : "J’ai entendu des arguments tels que 'nous sommes complets', 'nous allons bientôt déménager, cela perturbera sans doute votre enfant'. À travers des questions telles que 'votre enfant risque-t-il d’être violent envers ses camarades de classes ? Ou envers les enseignants ?' J’ai compris que certaines directions faisaient des amalgames entre les différents types de handicap et étaient finalement fort mal informées".

Changer les mentalités

Manque d’informations, peur de ne pas disposer de moyens humains ou de classes adaptées pour accueillir l’enfant, crainte de la réaction des parents… Les réticences peuvent être nombreuses et, cumulées, entrainer une certaine forme de découragement. Pourtant, dans d’autres pays, comme le Canada ou la Suède, l’inclusion scolaire est une pratique générale et la différence est davantage perçue comme un source d’enrichissement mutuel, porteuse de nouvelles compétences pour les élèves comme pour les enseignants. Comment expliquer que chez nous, les freins semblent être encore nombreux ? Altéo émet cette hypothèse : "Le Canada a une autre conception de la société que nous. Ici, nous sommes dans une société de la norme. Gérer des classes parfois fortement peuplées est plus aisé quand chacun fonctionne de la même manière." Marie-Hélène Godet est professeur de français dans une classe de première année du secondaire dite "différenciée", elle y accueille des enfants qui n'ont pas eu leur certificat d'études de base et également des élèves ayant des besoins spécifiques . Elle est d'accord avec l'explication émise par Altéo : "La norme, on fait semblant que ça marche. Cela m'agace qu'on puisse croire que des enfants différents puissent ralentir qui que ce soit, c'est leur donner une capacité de nuisance qu'ils n'ont évidemment pas". Mais, c'est vrai, le parcours d’un enfant qui a des besoins spécifiques ne peut être anticipé, il est plein de surprises et nécessite une grande flexibilité. Chez Altéo, on enchaine "le plus compliqué, finalement, c’est le changement de mentalité. Et il faut que le corps professoral au complet soit d’accord, sinon, cela ne fonctionnera pas".

Agir ensemble

L’expérience de Carmela et de Luther appuie cette dernière réflexion : "La première rencontre avec le directeur de l’école que fréquente Luther a nécessité des éclaircissements, raconte la maman. Il avait connu une première expérience douloureuse avec un enfant souffrant de troubles autistiques. Les parents avaient déposé toute la charge éducative sur l’école. Mais je lui ai fait part de mon intention : je voulais que Luther apprenne, évolue et progresse. J'étais prête à y mettre de l’énergie, tout comme les praticiens qui suivent mon petit garçon. La logopède de Luther est venue visiter l’école, elle a rencontré l’institutrice et la puéricultrice. À partir de là, ensemble, nous avons mis en place un système d’encadrement pour Luther. Avec des objectifs clairs et une pédagogie adaptée. C’est beaucoup de boulot, pour chacune des personnes qui s’est engagée dans le projet et cela se passe bien !". L'inclusion de Luther à l'école doit beaucoup à l’association de bonnes volontés et à l’envie de prendre le risque de casser la routine et de développer des apprentissages nouveaux. Marie-Hélène Godet est elle aussi ravie de la collaboration mise en place dans sa classe. Un enseignant est détaché plusieurs heures par semaine pour aider, de manière individuelle, les enfants ayant des besoins spécifiques : "Mais accepter l'intrusion d'une autre personne dans votre classe n'est pas forcément chose facile pour un professeur qui a souvent l'habitude d'être maître de sa classe. Cela demande une grande capacité d'adaptation et une grande ouverture d'esprit."

Luther, enfant trisomique à l'école

Valoriser la formation complémentaire

Selon Altéo, même si l’enseignement ordinaire n’est pas adapté à tous les enfants ayant des besoins spécifiques, les bénéfices sont toutefois fort nombreux, pour tout le monde : "Il y a d’autres façons de stimuler l’intelligence des enfants que l’unique développement de l’intelligence intellectuelle. Mais cela demande une formation." Et là, le bât blesse. En Fédération Wallonie-Bruxelles, la formation d’une année en orthopédagogie (2) chez les futurs enseignants est une option. Et elle n’est aucunement valorisée financièrement. Actuellement, il n’y a pas de volonté politique à faire changer les choses. Parmi les initiatives prises par Carmela pour offrir à Luther une scolarité épanouissante, il y a cette convention avec une école bruxelloise qui lui a permis de faire venir une stagiaire orthopédagogue dans la classe de son fils : "les progrès ont été fulgurants. Aujourd’hui, le stage est terminé. Et mon rêve est de trouver un mécanisme de subvention afin que l’école puisse l’engager. Luther a de la chance, car l'établissement qui l'accueille a vu son arrivée d'une manière positive. Le corps enseignant n'a pas émis de jugement a priori sur son potentiel d'évolution. Les enfants fonctionnent beaucoup par mimétisme, aux niveaux langagier et comportemental, c'est donc tout bénéfice pour Luther. Des études montrent que l'inclusion est également positive pour les autres enfants, les petits trucs pédagogiques mis sur pied pour l'enfant qui a des besoins spécifiques peuvent également profiter aux autres. Mais cela nécessite une vigilance, une attention et une conviction qui ne doivent pas céder. Et sans un encadrement spécifique, une béquille pédagogique, Luther n'y parviendrait pas." Luther pourra-t-il continuer scolarité dans l'enseignement ordinaire ? Marie-Hélène Godet pense que c'est possible : "Le système mis en place le permet. Cela nécessitera ensuite de trouver les bons relais, les bonnes filières et les bonnes énergies." Il faudra sans doute repartir au combat.


La position d'Altéo

Dans le mémorandum adressé aux partis politiques avant les élections de mai dernier, Altéo - mouvement social des personnes malades, valides et handicapées - demande que certaines mesures soient prises. Parmi celles-ci :

  • répertorier les projets quels que soient le niveau et le réseau d'enseignement, et diffuser cette information ;
  • sensibiliser dans toutes les écoles le corps enseignant, les directions, les parents et les élèves au handicap et aux maladies chroniques, déconstruire les stéréotypes et préjugés ;
  • augmenter pour tous les niveaux d'enseignement le volume d'aide pédagogique auquel les élèves ayant un handicap ont droit ; 
  • améliorer le travail de coordination entre l'école du spécialisé d'où vient l'élève et l'école ordinaire ; 
  • augmenter les moyens attribués aux services d'aide à l'intégration.

Les services d'aides et d'accompagnement

L'Awiph (Agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées) et, à Bruxelles, le service Phare (Personne handicapée autonomie recherchée) subsidient des services qui favorisent l'intégration et qui interviennent dans différentes prestations d'aide à la scolarité.

Des accords de coopération en matière de soutien à la scolarité pour les jeunes présentant un handicap ont été signés entre la Fédération Wallonie- Bruxelles et la Wallonie d'une part, et Phare d'autre part. Ils ont pour but de faciliter la collaboration entre le personnel des établissements scolaires et les services spécialisés.
Des services ambulatoires proposent un accompagnement individuel dans le milieu de vie. Ils peuvent, entre autres, proposer un soutien et un accompagnement à la scolarité.


Plus d'infos :
Awiph • rue de la Rivelaine 21 à 6061 Charleroi • 071/20.57.11 •www.awiph.be
Phare • rue des Palais 322 à 1030 Bruxelles •02/ 800.82.03. • info@phare.irisnet.be • http://phare.irisnet.be/