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La recherche sous le feu des projecteurs

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(c) iStock
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Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

Il est 10h37 ce vendredi matin et Christian Du Brulle, journaliste et fondateur du site de vulgarisation scientifique Daily Science (lire encadré), a déjà reçu un premier communiqué de presse portant sur un nouveau vaccin candidat ayant démontré son efficacité sur le hamster. "C’est vraiment une super nouvelle, mais il ne s’agit que d’un rongeur. Le but est de protéger à terme un mammifère un peu plus compliqué : l’être humain "plaisante le journaliste. La lutte contre le coronavirus a engendré un effort scientifique sans précédent à l’échelle planétaire. Ce printemps, on dénombrait jusqu’à 1.700 essais cliniques en cours (1). Selon le magazine Sciences et Vie, chaque jour, 180 articles scientifiques sont publiés en moyenne pour faire avancer les connaissances sur le virus, son origine, sa virulence, son évolution, etc.

Autant d’informations qui circulent dans les médias parfois plus vite... qu’un virus. La moindre avancée suscite des montagnes d’espoir, parfois douchées aussi vite par de nouveaux travaux. Un contexte émotionnel qui ne favorise pas toujours la nuance. La saga médiatique autour de l’hydroxychloroquine en est certainement l’exemple le plus emblématique. Les débats se sont cristallisés autour de la personnalité du professeur Raoult, personnage charismatique et clivant. Pour les uns, l’hydroxychloroquine c’est le nirvana, pour les autres, tout est à jeter. Mais en science, rien n’est jamais aussi noir ou blanc, observe posément Christian Du Brulle. La molécule, dont l’utilisation n’est aujourd’hui plus recommandée en Belgique en dehors des essais cliniques, pourrait avoir un effet intéressant, comme n’importe quel anti-inflammatoire, pour faire chuter le taux de mortalité, sur certains patients, présentant certains types de complications, à des doses précisément définies, en associant éventuellement d’autres médicaments... Tout cela doit encore être étudié de plus près. Ce sont des nuances ardues et malheureusement peu ‘sexy’ d’un point de vue médiatique.

L’incertitude pour certitude

Pendant le confinement, l’information sur le coronavirus a parfois entraîné une lassitude. Selon un sondage réalisé en France à l’occasion des Assises du journalisme, 60% de la population estime que les médias en ont fait trop (2). L’enquête montre aussi que le public est en attente davantage de certitudes. Les gens ont eu beaucoup de mal à intérioriser le fait que l'information pouvait être évolutive et changeante commente le consultant du bureau d’étude. 

Aujourd’hui, le virus est heureusement mieux connu qu’en mars. On sait, par exemple, qu’il se propage par les gouttelettes de salive, qu’il peut survivre environ trois heures sur une surface lisse mais que le risque d’une infection par contact est plus faible que par l’air, qu’il est sensible à la lumière du soleil, etc. Sur d’autres aspects, il garde sa part de mystère. "Dans tous les cas, il faut prendre les informations scientifiques pour ce qu’elles sont, soit un état des connaissances qui peut évoluer, être nuancé ", commente Christian Du Brulle. Car ce qui fait avancer la science, c’est justement le débat. "Le monde scientifique avait déjà connu de fortes controverses au moment de l’apparition du sida, dans les années 1980. Or, ce que nous ont montré les philosophes des sciences, c’est précisément que les controverses font partie inhérente de la recherche. Celle-ci en a même besoin pour progresser ", rappelle le sociologue Edgar Morin dans une interview au titre tout aussi évocateur : "Nous devons vivre avec l’incertitude " (3). Un point de vue que ne manquera pas d’appuyer Frédéric Brodkom, directeur de la bibliothèque des sciences et technologies de l’UCLouvain : "Si les experts du Giec n’ont cessé d’affiner leurs projections, de les rendre plus précises, c’est aussi parce qu’ils avaient les climatosceptiques dans le dos."

Plus vite. Trop vite ?

L’apparition d’Internet a encouragé les chercheurs à partager leurs données et leurs travaux en ligne pour en débattre avec leurs pairs. Pour de nombreux observateurs, l’urgence sanitaire a renforcé cet esprit de transparence et de collaboration 2.0. "Tous ceux qui le peuvent mettent de l’argent sur la table pour comprendre le virus et les chercheurs ont très vite accès à ces résultats partout dans le monde. Ils peuvent voir quelle est la méthode utilisée, recommencer l’étude en modulant l’une ou l’autre variable, etc. Pour éviter de disperser les efforts, même les résultats négatifs sont publiés, ce qui est rarement le cas d’ordinaire ", se réjouit Christian Du Brulle. "D’habitude, chaque spécialiste pense que son petit sujet est au centre du monde. Ce réflexe a disparu. Pour le sida, il a fallu des années, là, ça s’est fait en quelques semaines "commente la biologiste Pascale Cossart, professeure à l’Institut Pasteur, dans les colonnes du quotidien français Le Monde (4).

Mais la course aux résultats n’a pas que des aspects favorables. La publication dans une revue scientifique constitue une étape clé de la recherche. La relecture est accompagnée par des comités d’experts qui examinent scrupuleusement méthodes et résultats. Les plateformes de prépublications en ligne (pre-prints), qui permettent aux chercheurs de confronter leurs travaux à l’avis de la communauté scientifique avant de passer par ces longues étapes de validation, ont vu leur fréquentation grimper en flèche avec la crise sanitaire. En quête de bons titres, les médias se sont parfois emparés de ces résultats provisoires sans prendre les précautions nécessaires. "L’attention du public sur ces sites peut amplifier le risque d’automédication, détourner l’emploi de médicaments, créer des pénuries de certains traitements ", reconnaît John Inglis, cofondateur des sites de prépublications medRxiv et bioRxiv, toujours dans le journal Le Monde.

Cette course à la publication n’est pas propre à la lutte contre le Covid-19. Publier vite, c’est inscrire son nom dans la notoriété. Et de façon plus prosaïque, s’attirer potentiellement de nouveaux contrats de recherche. Dans le cas d’études financées par une industrie, pharmaceutique ou autre, la tentation peut aussi être grande d’annoncer rapidement des résultats positifs pour valoriser l’entreprise. "Le savoir scientifique se construit par étape, comme un enfant qui apprend à marcher. Il faut parfois se casser la figure plusieurs fois avant de tenir debout. Aujourd’hui, on publie parfois trop tôt, avant la controverse, l’échange avec les collègues sur la validité des données ou de la méthode ", regrette Frédéric Brodkom. Rappelant avec un certain sens de la formule que la construction du savoir scientifique est un processus au long cours : "La science, ça ne se passe pas comme dans une série télé où l’enquête policière se résout avec un test ADN qui fait Bip Bip et donne les résultats en 10 secondes. Dans la réalité, une analyse ça prend plusieurs jours."

S’informer sans se (sur)informer

Quelques indices peuvent permettre de se faire une idée du sérieux d’une recherche. À commencer par la réputation des auteurs. "Sont-ils dépendants d’une industrie ? Travaillent-ils dans une université reconnue ? Ont-ils déjà publié avant ? ", sont quelques-unes des questions que Frédéric Brodkom enseigne à ses étudiants. La réputation de l’éditeur est tout aussi cruciale. Dans les revues les plus sérieuses, le processus de relecture peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Tandis que d’autres font miroiter aux auteurs des procédures express souvent facturées à leur charge... 

Mais vérifier scrupuleusement le CV de chaque auteur, estimer sa compétence et son indépendance, évaluer le sérieux d’une revue (il en existe environ 35.000 dans le monde !), reste une gageure, y compris pour les professionnels de l’information. Tous domaines confondus, on dénombre près de deux millions de publications scientifiques annuelles à l'échelle internationale. (5) Et ces textes, longs, complexes et techniques, majoritairement rédigés en anglais, sont rarement accessibles pour des non-spécialistes.

À défaut de recette magique pour trouver son chemin, prendre du recul et croiser ses sources reste le meilleur réflexe. "Pour se forger une opinion, on peut consulter des médias grand public et parfois des médias plus spécialisés, lire les interviews des expertsqui permettent d’apporter de la nuance et de la mise en perspective, sans oublier évidemment les sites officiels d’information des autorités publiques comme Sciensano ", conseille Christian Du Brulle. Le journaliste invite aussi à ne pas se laisser déborder : Devant une situation inédite et angoissante, il y a un besoin du public de comprendre, auquel les médias répondent de façon légitime. Mais il faut pouvoir rester informé sans être obnubilé par la dernière info qui tombe au JT de 19h30, ne pas se laisser polluer par des tweets qui ne vivent que quelques heures avant de retomber comme un soufflé. Sinon, on finit par vivre dans un état de stress ininterrompu, ce qui n’est pas très bon pour la santé non plus.


(1) Source : expertsystem.com

(2) "Les attentes des Français sur “l’utilité du journalisme” et le traitement éditorial de la crise sanitaire", Viavoice, octobre 2020

(3) "Edgar Morin : 'Nous devons vivre avec l’incertitude' ", par Francis Lecompte, Peupleetmonde.net, mai 2020

(4) "Comment le coronavirus a bouleversé le monde de la recherche", H. Morin, S. Cabut, D. Larousserie, P. Santi et N. Herzberg, Le Monde, mai 2020

(5) Source : “Dynamics of scientific production in the world, in Europe and in France, 2000-2016", Science and Technology Observatory, Hcéres, juin 2019

Dailyscience.be, un site pour susciter les vocations

Saviez-vous que l’université de Liège était un haut lieu de la biologie marine ? Que des physiciens formés à Mons sont à la pointe de la recherche visant à percer les secrets les plus intimes de la matière ? Que des astronomes belges pilotent le Very Large Telescope au Chili ? Que les coulisses des musées de l’Afrique et des Sciences naturelles accueillent nombre de chercheurs ? "Impossible de citer tous les domaines dans lesquels nos chercheurs excellent", soupire Christian Du Brulle, rédacteur en chef et fondateur de Dailyscience.be, le site de la recherche et de l’innovation made in Belgium, quand on lui pose la question. En proposant tous les jours des articles gratuits et rédigés dans un langage accessible sur les dernières découvertes réalisées dans notre petit royaume, le pure-player (média exclusivement en ligne) veut contribuer à mieux faire connaître cette richesse et, qui sait, susciter de nouvelles vocations.

Plus d’infos : www.dailyscience.be