Jeunesse

Natation à l’école : tous à l’eau ?    
 
 

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Soraya Soussi et Sandrine Cosentino

Soraya Soussi et Sandrine Cosentino

La rentrée bat son plein. Les enfants ont retrouvé leurs copains. On échange les souvenirs d’été. Et parmi eux, les baignades à la mer ou à la piscine. Du moins, pour certains. Car tous les enfants ne savent pas nager. La natation, incluse dans le cours d'éducation physique, fait pourtant partie  intégrante de la formation commune obligatoire dans l’enseignement primaire et doit être évaluée comme les autres matières (1). En effet, il est prévu que "l’élève devra adopter une attitude de sécurité en milieu aquatique, il devra pouvoir flotter, se propulser et nager en fin de 6e année primaire". Il est important de souligner que l'apprentissage de la natation au niveau primaire doit être assuré par un maître spécial d’éducation physique. Problème : les écoles n’ont pas toujours accès à une piscine et si c’est le cas, les conditions sont très complexes. Les professeurs sont alors dans l’incapacité d’apprendre aux enfants à nager.

Une multitude de causes

Un bout d’histoire des piscines belges mérite qu’on s’y attarde. À Bruxelles et en Wallonie, de nombreuses piscines ont été construites dans les années 60-70. Durant la première moitié du 20e siècle, les bains publics étaient alors destinés à assurer l’hygiène des citoyens. Car, à l’époque, tous les Belges ne possédaient pas de salles de bains chez eux. C’est donc plus tard que la "baignade" s’est développée comme sport. Aujourd’hui, les piscines bel­ges se font vieilles. "Ce sont des infrastructures qui vieillissent mal dû au chlore et au taux d’humidité important. Et leur entretien coûte très cher" rapporte Marc Cloes, professeur à l’Université de Liège au département des Sciences de la motricité.

Pour les piscines communales, c’est aux communes de prendre en charge les frais. Mais l’investissement budgétaire est trop important et pas assez rentable. La fréquentation et les prix demandés à l’entrée ne suffiraient pas à couvrir les frais. La solution se trouverait-elle dans la privatisation des piscines et/ou des cours de natation ? Pour Anne Delvaux, coordinatrice du Cereki, centre d’étude et de recherche en kinanthropologie (science qui étu­die les mouvements de l’homme), "ce sont des choix de société qu’il faut faire. Est-ce qu’on met les moyens pour que tous les enfants puissent avoir accès à la natation, sachant que cela a un prix ?" La question ouvre le débat car si les communes n’ont pas les moyens d’assumer les frais, le privé pourrait s’en charger. À Mons, un partenariat public-privé a vu le jour. Mais sur fond de gratuité (totale) de l'école, ne serait-ce pas creuser davantage les écarts sociaux entre les élèves ?

Ces fermetures posent, en tout cas, de sérieux problèmes aux écoles, tous réseaux confondus (enseignement libre et officiel). Dans un contexte post-électoral, la fermeture de l’unique piscine communale de Gembloux a fait couler de l’encre dans la presse en 2018. La même année, la Région wallonne déploie un "Plan piscines" pour pallier le manque de bassins ou leur rénovation. Un budget total de 110 millions d'euros est alloué aux 33 candidats retenus. A priori, une bonne nouvelle pour les acteurs concernés. Le problème à Gembloux, c’est que le plan de rénovation ne comprend pas son extension. Or, la piscine date des années 70, quand la population était moins dense qu’aujourd’hui. 

Cette rénovation ne résoudrait donc pas le problème de saturation de la fréquentation. Les premiers touchés par la fermeture de la piscine sont les enfants. "Nous sommes tenus d’apprendre à nager aux enfants avant leur entrée en école secondaire. Avec cette fermeture, on nous a carrément supprimé un outil de travail, déplore Gregory Rousseau, professeur d’éducation physique au collège Saint-Guibert. La réouverture est prévue en 2022, en attendant, on a une génération d’enfants qui passeront quasi toute leur scolarité primaire sans cours de natation."

À Bruxelles, comme en Wallonie, le manque de piscines aboutit à une saturation de la fréquentation. Pour les 331.000 élèves de primaire en Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe environ 150 piscines. Soit une piscine pour 2.200 élèves. Si l'on considère le fait qu’une partie de ces piscines sont privées et inaccessibles aux écoles, ce chiffre est encore sur-estimé. Les conditions d’organisation du cours sont mises à mal : entre les con­traintes liées au coût et au temps de trajet ainsi qu’à la perte de temps dans les vestiaires, les enfants passent généralement entre 10 et 20 minutes dans l'eau. Certains établissements préfèrent donc supprimer les cours et éviter des frais supplémentaires aux parents.

Jouer, bouger et être en sécurité

Pour qu’un enfant grandisse de façon équilibrée, il est important de lui proposer des activités adaptées. Apprendre à nager lui permet d’entraîner une série de gestes psychomoteurs essentiels à ses développements physique, psychique et social. À l’âge de l’enfance, le jeu est la clé de tout apprentissage. Il en va de même pour la natation. Pour les petits, le cours de natation n'est pas obligatoire. Il est néanmoins possible de l'organiser dans le cadre d'une activité éducative spécifique. Le Cereki,  propose des circuits d’accoutumance à l’eau dans différentes communes wallonnes et bruxelloises pour les écoles maternelles. Anne Delvaux, coordinatrice du Cereki, explique :

"Toute activité psychomotrice a une influence sur l’enfant, qui sera d’autant plus grande que l’enfant est petit. Le milieu aquatique étant différent du milieu terrestre auquel il est habitué, l’enfant augmente le panel d’activités motrices qu’il connaît. Dans l’eau, l’enfant doit évoluer couché plutôt que debout. Il doit utiliser ses bras pour avancer plutôt que ses jambes. Il doit mettre la tête dans l’eau où tous les repères sont différents. Il apprend également différentes façons de respirer, etc."

L’accoutumance à l’eau est un prérequis à la nage. "Ce qu’on remarque, c’est que les enfants de maternelle qui ont eu cette accoutumance à l’eau ont bien plus de facilités à apprendre à nager que d’autres enfants qui découvrent le milieu aquatique tardivement", ajoute Anne Delvaux.

Savoir nager, c’est aussi une question de sécurité. Le nombre de noyades reste encore trop élevé. 77 décès par noya­de ont été relevés par Eurostat rien que pour l’année 2016. "On dit que le brevet de natation est l’un des rares diplômes qui peut vous sauver la vie. Les gens ne mesurent pas toujours l’importance de ce cours", rappelle Gregory Rousseau, professeur d’éducation physique.

L’encadrement des élèves, a fortiori au cours de natation, doit être organisé de manière à garantir la sécurité de ceux-ci. La circulaire sur l'organisation de l’enseignement maternel et primaire ordinaire impose qu'un professeur d’éducation physique qui dispense le cours soit secondé par une personne qui a la capacité de surveiller le groupe. En effet, tous les baigneurs doivent être sous la surveillance directe et constante d’au moins une personne responsable de leur sécurité (2). Ces règles, essentielles, ajoutent parfois à la difficulté de trouver des ressources humaines nécessaires pour organiser ces cours. Au-delà de l’aspect purement sécuritaire, Marc Cloes, chercheur en pédagogie du sport, attire également l’attention sur l’intégration sociale dans la vie des petits : "Un enfant qui a appris à nager pourra également, en vacances par exemple, sociabiliser davantage et s’intégrer dans un grou­pe plus facilement."

Inégalités sociales

Dans ces conditions, les différents intervenants contactés sont unanimes quant à l’accès aux piscines et à la capacité à nager. Il existe une inégalité sociale flagrante. "Certains enfants pourront compter sur leur famille pour suivre des cours de natation en cours privés" souligne Marc Cloes. Mais la demande est tellement importante et le nombre de piscines si restreint que même pour les plus privilégiés, ce n’est pas toujours évident. Les familles qui n’ont pas les moyens de financer ces cours comptent dès lors davantage sur l’école. Savoir nager ne devrait pas être un privilège. L’engagement politique et citoyen est, à nouveau, appelé pour réduire les inégalités sociales.


Du vélo à la piscine

À l'école Saint-Paul à Uccle, il a été question, il y a dix ans, de supprimer le cours de natation car cela demandait beaucoup d'énergie de la part des professeurs, le transport jusqu'au bassin étant assez cher.

Une idée a émergé afin de permettre aux enfants de continuer à suivre un cours de natation : le rang vélo ! "Les trois raisons principales de proposer le vélo comme moyen de déplacement pour les 5e et 6e primaires sont la réduction du coût de l'activité, l'apprentissage d'un moyen de transport alternatif et le plaisir de faire du sport à vélo", explique Mme Wets, institutrice.

Quelques élèves ne savent pas du tout faire du vélo, d'autres savent rouler mais ne maîtrisent pas complètement leur bécane. Il faut aussi consacrer du temps pour que tout ce petit monde soit prêt à gérer la circulation, à rouler en groupe et à s'occuper de son matériel. Enfin, tout est mis en place pour que les élèves se déplacent en sécurité grâce aux gardiens de la paix de la commune qui encadrent le groupe avec les enseignantes. "Concrètement, l'école demande aux parents de fournir le vélo, le casque et la chasuble. En tant qu'école à discrimination positive, l'établissement dispose aussi de matériel qu'il prête aux enfants qui en ont besoin. Certains anciens élèves ont même laissé leur vélo à l'école pour les suivants", raconte Mme Wets. L'école a également dû aménager un espace pour garder les vélos en sécurité.

Cette initiative a permis de maintenir le cours de natation accessible à tous. Élèves et professeurs sont conquis. Depuis, toutes les sorties scolaires pour les 10-12 ans se font à vélo. Les horaires sont également aménagés pour que la sortie vélo-piscine soit organisée une fois tous les 15 jours afin de rationaliser le temps de déplacement et le temps dans l'eau (environ 30 minutes).