Jeunesse

Soif d'apprendre, comme les autres

6 min.
Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Peu de temps après qu'ait retenti la sonnerie, Imène arrive à l'école accompagnée de sa maman. D'un bref signe de la main, elle prend congé de celle-ci, dit "bonjour" à Julie Verdonck, son accompagnatrice scolaire de l’Oeuvre Nationale des Aveugles (ONA)(1), et se précipite dans le couloir, pressée d'intégrer le rang et d'entrer en classe.

Le local est celui d'une classe de l'enseignement primaire. Les élèves s'installent deux par deux à leurs tables dans un brouhaha infernal. Imène fait de même avec, à ses côtés, une voisine un chouïa plus âgée que la moyenne : son accompagnatrice. Cette dernière va l'aider lors des deux heures de cours à venir. "Zip", Imène ouvre son plumier et prépare ses feuilles d'exercices. "Clic", elle allume sa TV-Loupe dont elle dirige une des deux caméras vers l'ordre du jour rédigé au tableau. Première tâche de la journée : "Correction des devoirs".

Aïe ! Absente le jour précédent, Imène n'a pas préparé l'exercice sur les unités de longueurs. Sans attendre, le duo s'y attèle pour rattraper le groupe. "Dans cette colonne, ce sont les mètres, dit Julie. Et là ?" "Les décamètres, les hectomètres et les kilomètres", répond l'élève. Au fil de l'exercice, Imène manipule le plateau de sa TV-Loupe de gauche à droite et de haut en bas. La seconde caméra de l'instrument lui permet d'agrandir des documents à l'écran.

L'heure de cours suivante est consacrée à la grammaire et aux verbes d'état. Une fois les exercices terminés, les corrections se font au tableau, une distance que les yeux d'Imène ne peuvent atteindre. Pas de problème. "Clic", son écran se sépare en deux sur la longueur. En bas, le moniteur offre l'agrandissement de sa feuille de papier. En haut, celui du tableau. "Comment faisiez-vous sans TV-Loupe ?", ose-t-on leur demander. "Notre centre de transcription adaptée rédigeait tous ses cours en très grands caractères pour qu'elle puisse les lire, se rappelle son accompagnatrice. Il le fait encore, d'ailleurs, pour les cours qui ne se donnent pas dans ce local". En effet, vu sa taille et les réglages qu'il requiert, l'équipement est intransportable.

Deux heures s'écoulent ainsi au fil des exercices et des corrections. Deux heures au bout desquelles les élèves manifestent l'envie d'aller prendre l'air. Les cris des premiers enfants sortis dans la cour résonnent jusqu'en classe. Ils sortent, enfin. La voix d'Imène ne se mêlera pas à celles des autres gamins, elle a des cours à mettre en ordre.

Un accompagnement global

"Ma mission ? Elle consiste à accompagner Imène, dit Julie Verdonck, pas à faire de la remédiation." En effet, c'est pour les matières qui requièrent des supports visuels que son soutien est le plus utile. "Avec elle, deux heures par semaine c'est suffisant", précise Julie en ajoutant : "Imène se débrouille bien avec sa TV-Loupe." Un syndrome génétique a fait baisser sa vue jusqu'à deux dixièmes de la vision "normale". Mais ce n'est pas ce qui affecte le plus sa scolarité. Le principal obstacle, en réalité, ce sont les absences dues au mal dont elle souffre. Son état de santé ne lui a pas permis de suivre une semaine de cours complète depuis la rentrée. D'où le soutien précieux de son accompagnatrice pour réorganiser ses cours.

"J'avais peur pour elle, confie Murielle Rucquoi, son institutrice. La matière de cinquième année est difficile alors avec ses absences… Heureusement, elle en veut, elle est très motivée !"

Le handicap ne doit pas empêcher un enfant de suivre une scolarité. L’institutrice adhère à ce principe, mais "sans l'accompagnatrice de l’Œuvre Nationale des Aveugles, ce serait compliqué, reconnait-elle. Je n'ai qu'une heure de remédiation par semaine. Il n'y a qu'une infirmière et un psy pour 5.000 élèves". C'est dire le peu de moyens existants pour aider un élève sujet à de grandes difficultés.

Plus qu'une main tendue

"L'accompagnement scolaire des jeunes déficients visuels est un projet relativement récent, indique Bénédicte Hanin dans les locaux bruxellois de l'ONA. Il a démarré il y a 25 ans suite aux interpellations de parents, fatigués de voir leur enfant aveugle ou malvoyant systématiquement envoyé dans l'enseignement spécialisé comme c'était le cas". Aujourd'hui, l'ASBL facilite l'intégration des élèves déficients visuels dans l'enseignement ordinaire maternel, primaire et secondaire en Wallonie et à Bruxelles. "On évalue à 12 heures de travail par mois l'accompagnement d'un enfant malvoyant et à 24 heures celui d'un enfant aveugle", complète la responsable des accompagnateurs.

Aider un enfant, c'est plus que le prendre par la main et l'asseoir sur un banc d'école. Lorsque l'ONA est à la manœuvre, plusieurs missions sont poursuivies comme, par exemple, aider l'enfant à obtenir une aide pour s'équiper d'un matériel adapté. "C'est toute une procédure, précise Emilie Servais, assistante sociale. Ça débute par quelques tests pour s'assurer que le choix de tel ou tel produit soit le bon pour l'enfant. Ensuite, on rédige un rapport social. Celui-ci précise ses besoins spécifiques à l'école, à la maison, et compile les observations de l'ophtalmologue." Ce rapport est ensuite transmis au pouvoir subsidiant pour l'obtention d'une aide. À l'Awiph pour le jeune Wallon, et au Phare (Fonds de la Cocof) pour le jeune Bruxellois, deux institutions compétentes pour l'aide à la personne handicapée.

Un soutien financier plus que bienvenu puisqu'il s'agit d'un matériel coûteux. La TV-Loupe d'Imène à l'école peut coûter jusqu'à 7.000 euros, sans parler de celle qu'elle utilise à la maison lorsqu'elle se penche sur ses devoirs. Ordinateurs, logiciels spécialisés, loupes portables, barrettes braille… sont autant de solutions pour autant de déficiences visuelles mais coûtent les yeux de la tête. Reste qu'il y a des enfants qui n'obtiendront pas d'aide : les aveugles francophones domiciliés en Flandre et qui fréquentent une école francophone. Ils n'obtiennent rien, nieks. "C'est un vrai nœud", conçoit Bénédicte Hanin.

Des contenus adaptés

Aider à acquérir du matériel pour lire, très bien. Mais que lire, et comment ? Ces questions sont les préoccupations du centre de transcription adaptée (CTA) de l'ONA. Sa mission : rendre accessible tout le matériel pédagogique dont l'élève a besoin en classe : cours, manuels, livres…

Pour les malvoyants, les grands caractères seront privilégiés ainsi que les dessins et les schémas en couleurs vives. "Au fil du temps, explique Bénédicte Frippiat, responsable du CTA, nous avons construit un stock de matériel 3D et 2D regroupant les matières qui seront vues par tous les élèves du secondaire. Tous les autres cours sont transcrits au fur et à mesure de l’année."

Pour les aveugles, c'est l'écriture braille qui est utilisée. "Si un élève doit lire un livre pour l'école, son accompagnateur nous l'amène et nous le transcrivons en braille en une quinzaine de jours", dit une des quatre membres de l'équipe. Fini le temps du poinçon ! Désormais, ce sont des logiciels qui transcrivent les textes. Si le temps économisé est considérable, les contenus transcrits en braille restent très volumineux. "18 pages dactylographiées représentent 100 pages en braille, précise la même employée. Vous pouvez imaginer la place que prend une transcription de Harry Potter !"

Un travail de transcription titanesque qui ne se fait pas en un coup de baguette magique… Mais au bout du compte, la formule permet à Imène de suivre une scolarité des plus "normales" et, surtout, en contact avec les enfants de son âge.

MATTHIEU CORNÉLIS

Plus de 65 ans ? Débrouillez-vous !

Si un handicap n'est pas reconnu avant l'âge de la retraite, plus possible de recevoir une aide financière pour acquérir du matériel d'aide. Une situation mal vécue par nombre de personnes âgées. L'heure est alors aux choix douloureux…

"La descente aux enfers a commencé en 2001. Au début, c'était de légers troubles, je voyais des cercles la nuit, les oiseaux en double… Mais depuis deux ans, ça s'est aggravé. Je ne trouve plus le trou d'une serrure, j'écris avec des marqueurs épais, je lis avec une loupe…" Paul Vermeiren souffre d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), une maladie évolutive de la rétine qui amène à la perte progressive de la vue centrale. Emilie Servais, assistante sociale de l'ONA, lui rend visite pour identifier ce qui pourrait lui faciliter le quotidien : TV-Loupe, loupe portable, ordinateur… Malheureusement, Paul n'a pas beaucoup de moyens, il ne pourra pas acquérir ce matériel de pointe. "Puisque son handicap n'a pas été reconnu avant ses 65 ans, il doit financer lui-même le matériel qui lui faciliterait la vie."

Pourquoi cette limite d'âge ? Parce que l'aide à la personne handicapée a été pensée pour intégrer ces personnes dans le monde du travail. Une situation que déplorent l'ONA, la Ligue Braille et Altéo, le mouvement social de personnes malades, valides et handicapées. Émilie De Smet, sa secrétaire politique, précise que "ces aides matérielles permettent pourtant une meilleure qualité de vie et peuvent ainsi postposer voire écarter l'entrée en structure d'accueil collectif comme une maison de repos." Par ailleurs, selon le mouvement, ces moyens devraient être dédicacés à l'aide individuelle et s'inscrire plutôt dans la politique des ainés et non dans celle de la personne handicapée.

Paul Vermeiren se sera finalement orienté vers la tablette tactile. Celle-ci lui permet d'agrandir les textes à l'écran ou de photographier son courrier pour qu'il soit lu par la machine. Pour l'acquérir, il aura dû vendre sa voiture qu'il n'utilisait plus à cause de son handicap. Pour aider les seniors moins fortunés, l'ONA, avec l'accord du pouvoir subsidiant, prête aussi du matériel récupéré ci ou là. Un soutien précieux pour ceux que les pouvoirs publics estiment ne plus devoir aider. Une aide procurée par l'ONA qui, malheureusement, dépend encore beaucoup des dons et des legs pour agir au quotidien.

MaC