Environnement

Les plantes d'intérieur en mode slow

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(c)AdobeStock
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Valentine De Muylder

Valentine De Muylder

"On est faits pour vivre entourés de vert, pas pour être enfermés dans des cages en béton." Dans la jungle de sa boutique bruxelloise, Quentin Thibaut voit défiler des clients de toutes sortes : "J’ai des petites grand-mères, des enfants qui tirent leurs parents par le bras pour rentrer, des lascars qui me lancent : 'Ouah, regarde, c’est trop beau ici'." Pour cet architecte paysagiste passionné par les plantes depuis l’enfance, l’attrait pour le végétal est "en nous", tout simplement, et c’est ce qui pousse de nombreux citadins à se tourner vers les plantes d’intérieur. Il pointe également les bienfaits psychologiques du jardinage : "S’occuper de plantes est gratifiant parce qu’on a entre nos mains de la vie, qu’on fait pousser."

Pas si "verte", la plante verte
Mais cet appel du vert est-il eco-friendly ? Paradoxalement, non. Car les plantes d’intérieur sont pour la plupart des plantes tropicales ou subtropicales, adaptées à un climat chaud et humide. Leur production sous nos latitudes a un impact environnemental non-négligeable en termes de transport, de chauffage, de consommation d’eau… "Cultiver et conserver les pieds-mères (plantes qui servent à produire les boutures – NDLR) chez nous n’est pas rentable, car cela nécessite de maintenir en permanence une température élevée", détaille Fanny Malfroy, du Centre d’essais horticoles de Wallonie. Les pieds-mères sont donc souvent cultivés dans des contrées lointaines, en Afrique notamment. Leurs boutures sont prélevées et envoyées en Europe dans des entreprises de production de jeunes plants, qui sont à leur tour vendus à d’autres entreprises pour être cultivés, avant de prendre la route des commerces.

Les plantes d’intérieur sont pour la plupart des plantes tropicales, adaptées à un climat chaud et humide. Leur production sous nos latitudes a un impact environnemental non négligeable...

Parmi les pays européens qui produisent des plantes d’intérieur, on trouve les Pays-Bas, la France, l’Italie et, dans une moindre mesure, la Belgique : "En Wallonie, la production de plantes d’intérieur est anecdotique, précise Fanny Malfroy. L’horticulture est plus développée en Flandre, où les surfaces de culture sont plus grandes." Les plantes y sont cultivées dans des serres chauffées. Certaines variétés, comme le ficus et les orchidées, sont également produites en laboratoire. Selon Flanders Plants, qui représente le secteur, les entreprises flamandes réalisent aujourd’hui 10 % de la production mondiale de plantes d’intérieur in vitro.

"Fast-botanique" et plantes-mania
À défaut de pouvoir rendre ce processus de production moins énergivore, Quentin Thibaut ("Jungle Lab") mise sur la traçabilité. Il connaît personnellement ses producteurs, tente d’informer au mieux ses clients sur l’origine et la qualité des plantes, et assure le service après-vente : "Pour chaque plante, on a un passeport phytosanitaire qui indique où elle a été produite et par qui. Si jamais il y a un problème (un champignon, un insecte…), on peut remonter jusqu’à la production." Une démarche éthique qui demande du temps, a un coût et tranche avec ce qu’il appelle la "fast-botanique", qui inonde le marché de plantes à bas prix – parfois boostées aux hormones – et génère son lot de dérives sociales et environnementales à la manière de la fast-fashion.
Car les plantes n’échappent pas à la mode. Dans une enquête publiée dans le magazine XXI, la journaliste Anaïs Renevier explore les profondeurs du business aussi insoupçonné que luxuriant des plantes d’intérieur. On y apprend que les ventes ont explosé pendant la pandémie. Aux États-Unis, en 2020, le marché a connu une hausse de 30 % par rapport à l’année précédente. On y découvre également que cette nouvelle tendance fait fureur sur les réseaux sociaux, et que de nouvelles variétés, toujours plus résistantes et originales, sont sans cesse développées. "Sur TikTok, #planttok cumule 4 millions de vues et sur Instagram, plus d’un million de clichés sont estampillés #plantparent, écrit-elle. Une nouvelle parentalité, comme la définissent les premiers intéressés, qui s’affiche à coups de courtes vidéos et de photos stylisées. Problème : pour rester original, il faut sans cesse renouveler son contenu. Donc, adopter de plus en plus d’enfants plantes, si possible exotiques et uniques."

Choisir et entretenir ses plantes avec soin
Confronté lui aussi à ce phénomène, Etienne Duquenne, responsable de l’éco-jardinerie sociale de la Ferme Nos Pilifs, dans le nord de Bruxelles, rappelle que "les plantes ne sont pas des objets, elles sont vivantes". Une manière de verdir son intérieur de façon plus éco-responsable, selon lui, est d’offrir à ses plantes une longue vie : "On travaille sur le conseil. On essaie de bien comprendre dans quelle situation la plante va se retrouver pour diriger le client vers une plante qui va, en principe, pouvoir survivre. Une plante qui n’est pas cultivée dans un environnement qui lui convient en termes d’humidité, de lumière ou de température,  va très vite être réceptive aux parasites et aux maladies." Parmi les plantes les plus résistantes, on trouve le sansevieria, l’aspidistra, ou encore les cactées, qu’Etienne Duquenne nous fait découvrir sous la verrière de la jardinerie, aux côtés de plantes qui nécessitent plus de soins.
Garder une plante pendant de nombreuses années passe aussi par un entretien régulier et adapté, pour lesquels il conseille de privilégier les méthodes et produits (terreau, engrais, etc.) écologiques. "L’éco-jardinerie est un ensemble de petits gestes, de petites habitudes de consommation qu’on va essayer d’induire chez le client." Cette démarche permet d’enclencher un cercle vertueux qui sensibilise au respect du vivant : "Quand un client réalise qu’une plante, ce n’est pas juste un truc dans un pot qu’on arrose une fois par semaine, ça change tout."    

Moins de gaspillage, plus de bouturage     
Le commerce des plantes d’intérieur n’est pas à l’abri du gaspillage. Gaspillage de plantes, mais aussi de pots en plastique. Souvent trop petits, ils ne servent qu’à la vente et au transport et finissent à la poubelle une fois les plantes rempotées. Produire ses plantes soi-même peut être une manière de lutter contre ce gaspillage, suggèrent Etienne Duquenne et Quentin Thibaut, au risque de prêcher contre leur chapelle. Avec un peu d'expérience, il est tout à fait possible de prélever des boutures pour donner naissance à de jeunes plants.
Sur Facebook, des groupes comme "Troque ta plante" ou "PlantswapBXL" s’organisent  autour de l’échange de plantes et de boutures. Dans la commune bruxelloise de Jette, les bibliothèques francophone et néerlandophone se sont dotées d’une "plantothèque", où chacun peut adopter gratuitement des plantes produites sur place à partir de boutures. L’idée a germé pendant le confinement, afin de favoriser le bien-être, le lien social et l’accès au végétal dans les quartiers densément peuplés de la capitale. Ouverte à toutes et tous, elle propose également des ateliers pour apprendre à semer et bouturer et accepte les dons de plantes, de boutures, de pots ou encore de terreau. Une véritable petite jardinerie circulaire qui, comme ses plantes, ne demande qu’à se multiplier.                   

Comment bouturer ses plantes d'intérieur?

Saviez-vous que vous disposiez du super pouvoir de multiplier vos plantes d’intérieur ? Certaines variétés, en tout cas, sont assez faciles à bouturer.

Le chlorophytum, où "plante araignée", est une plante assez simple pour débuter. Détachez délicatement un des rejets que la plante produit spontanément en grandissant. Plongez ensuite la base de cette mini-plante dans un bocal (pot de confiture, bouteille…) rempli d’eau, et placez-le dans un endroit lumineux. Après quelques jours, vous verrez apparaître de petites racines. Changez l’eau tous les 3-4 jours pour éviter qu’elles ne pourrissent. Lorsque les racines auront atteint 3 à 5 cm, votre jeune plant sera prêt à être mis en terre.
La monstera, star des plantes d’intérieur, se prête également au jeu. Prélevez un rejet qui apparaît au pied de la plante, ou coupez une portion de tige munie d’au moins deux feuilles, environ 2 cm sous le nœud. Ne coupez pas les racines aériennes (petites tiges brunes) qui poussent au niveau du nœud. Vous obtiendrez une bouture en forme de Y dont vous plongerez la base dans un bocal avant de procéder comme pour le chlorophytum.
Et parce que bouturage rime avec partage, pourquoi ne pas prélever des boutures sur les plantes de vos voisins, collègues, amis… ou offrir vos bébés plantes en cadeau ?