Environnement

Tourisme de masse : et après ?     

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Julien Marteleur

Julien Marteleur

Désertée depuis mars 2020, Venise a pu à nouveau accueillir ce printemps son traditionnel flot de touristes : plus de 100.000 d'entre eux ont dormi chaque nuit dans la Cité des Doges durant les vacances de Pâques, auxquels se sont ajoutés 40.000 visiteurs journaliers. Embouteillage de gondoles sur les canaux, bousculades dans les files interminables pour prendre un vaporetto ou visiter un musée… Face au déferlement de cette marée humaine, le maire de la ville n'y est pas allé par quatre chemins : pour visiter Venise à la journée, il faudra dès 2023 réserver…et payer, de 3 à 10 euros par jour. L'objectif de cette "taxe d'affluence" : mieux estimer le flux de touristes et adapter en conséquence, par exemple, les services de transport. Venise fait un pari osé, mais elle n'est pas la seule à devoir se "barricader" contre l'invasion des touristes et ses corollaires (dégradations, déchets…).   

Péril en la demeure
En 2017, les autorités péruviennes décidaient de limiter le temps de présence sur le site du Machu Picchu à quatre heures par visiteur et créaient trois sentiers de circulations, à emprunter obligatoirement et en présence d'un guide officiel. Des mesures drastiques, mais néanmoins essentielles : le célèbre site inca du 15e siècle, situé à 2.348m d'altitude sur le versant oriental des Andes et inscrit au Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1983, est littéralement victime de son succès. Le site, à cause de son grand âge, est particulièrement vulnérable à l'érosion des sols créée par le passage des visiteurs. À tel point qu'en 2019, les autorités ont encore durci le ton : certains endroits de la cité andine, comme le Temple du Soleil ou la pyramide d'Intiwatana, ne sont plus accessibles qu'au compte-gouttes et pour une durée encore plus limitée…
À certains endroits, il y a véritablement péril en la demeure. Dans le canyon islandais de Fjadrargljufur, qui subit souvent des hivers humides, une partie des 300.000 touristes annuels n'hésite pas à enjamber les clôtures balisant les sentiers, devenus trop boueux à cette période, pour gambader dans la végétation environnante et lui causer d'importants dommages. Résultat : le canyon doit rester fermé de plus en plus tard durant l'année, pour le préserver de dégâts irréversibles pour son écosystème. Même rengaine sur l'Île de Pâques dans le sud de l'océan Pacifique, qui abrite les légendaires statues Moaï : pour accueillir les 116.000 touristes annuels attirés par les géants de pierre, on a fait pousser, sur ce petit bout de terre de 168 km2 et au mépris de la faune et la flore indigènes, hôtels, magasins de souvenir et restaurants… Cette pression touristique a un impact sur la gestion des déchets, difficilement recyclables à cause de l'isolement insulaire. Si en 2008, le territoire ne produisait qu'1,4 tonne de déchets par an, les autorités locales estiment qu'en 2025, ce chiffre pourrait atteindre les 70 tonnes !

Dégradation de l’environnement, du cadre de vie des résidents, nuisances et pollutions aérienne, visuelle ou sonore… Depuis plusieurs années, le phénomène provoque l'ire des habitants de Santorin, Barcelone ou Amsterdam.

Vers un nouveau tourisme ?
Malmené durant la pandémie (le nombre de touristes internationaux a baissé de 71% entre 2019 et 2021), le secteur du tourisme entrevoit aujourd'hui des jours plus cléments et s'attend même à une fréquentation record cet été. Une fulgurante reprise qui suscite l'intérêt des chercheurs, selon un récent article de The Conversation. Au premier plan, si l'on peut se réjouir de la bonne santé financière d'une activité dont dépend plusieurs millions de personnes – voire des populations entières – à travers le monde, le risque d'un surtourisme chargé d'effets négatifs s'esquisse en toile de fond. Dégradation de l’environnement, du cadre de vie des résidents, nuisances et pollutions aérienne, visuelle ou sonore… Depuis plusieurs années, le phénomène provoque l'ire des habitants de Santorin, Barcelone ou Amsterdam, fatigués de se voir envahir par des hordes de touristes "made in Ryanair" en quête de leur prochain post sur Instagram.
Certains chercheurs invitent donc à un rejet pur et simple du tourisme de masse et plaident pour une réinvention du secteur. En d'autres termes, sortir de la logique du "toujours plus" pour embrasser un modèle plus durable, respectueux de l'environnement et des résidents. Plusieurs pistes existent, explique-t-on encore dans The Conversation : d'abord, privilégier le tourisme de proximité. Ensuite, placer les habitants au cœur du système touristique pour qu'ils puissent davantage en définir les limites. Enfin, encourager le développement d'un tourisme alternatif à contre-courant de celui proposé par les tour-opérateurs, en proposant des offres compatibles avec les valeurs environnementales et sociétales de la région d'accueil.
Pas question ici d'ôter le pain de la bouche du secteur, mais de "dé-capitaliser" certaines pratiques quand c'est possible : le "Wwoofing" met en contact les visiteurs avec les agriculteurs bio d’une région auxquels ils donnent un coup de main en échange du gîte et du couvert ; les guides touristiques locaux bénévoles, les "greeters", proposent des visites guidées gratuites hors des sentiers battus… Des initiatives qui invitent à mettre un visage tant sur le touriste que l'habitant, à apprendre tout en créant du lien, à se mettre "dans la peau de l'autre" le temps d'un séjour. Bref, à mieux comprendre pour mieux respecter.