Droits des patients

La finance solidaire à un tournant

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© Marc Detiffe<br />
© Marc Detiffe
Catherine Daloze

Catherine Daloze

Au XIXe siècle déjà, des banques populaires, des caisses solidaires et des sociétés coopératives d'épargne lançaient le mouvement de la finance solidaire. Mais la dynamique sera mise à mal par une orientation de la finance de plus en plus marquée vers un modèle unique centré sur la banque commerciale. La privatisation du secteur donnera largement le ton.

Ainsi peut-on lire la trajectoire du Groupe Arco. Le démantèlement de Dexia induit par la non-maîtrise de la crise de la dette souveraine européenne a concouru à la liquidation des sociétés coopératives du Groupe. Cette liquidation récente plonge ses coopérateurs francophones et flamands, ainsi que l'ensemble du Mouvement ouvrier chrétien dans une attente pénible. Qu’en sera-t-il du remboursement de leurs épargnes? Qu'en sera-t-il de la garantie d'Etat sur leurs parts ?

Depuis les années trente, le Groupe Arco (à l’époque la FNCC) était l’actionnaire de référence de la caisse d’épargne coopérative COB, devenue par la suite la Bacob. Cet actionnariat à la Bacob et aux Assurances populaires visait à répondre aux besoins et aux attentes du monde ouvrier, rappelle Thierry Jacques, actuel président du MOC. A la fin des années nonante, époque de l’internationalisation des banques, l'opinion largement répandue était que la Bacob ne pouvait continuer à ‘vivre’ seule. Les responsables de la banque de l'époque ont opté pour l'acquisition de Paribas Belgique puis ont réalisé sa fusion avec Bacob par la création d’Artesia. Les difficultés d’Artesia ont ensuite contraint la banque à conduire une fusion avec Dexia, leader du financement aux collectivités locales et dont les complémentarités de métier et la proximité d’engagement social avec Artesia/ Bacob étaient importantes.”

On connaît la suite : les fusions-acquisitions ont appauvri la diversité du paysage bancaire (au fur et à mesure, on dira adieu à la CGER, à la Bacob, à la Codep, au Crédit communal…), banque d'affaires et banques d'épargne formeront des mariages contre-nature, la finance plongera dans le monde de plus en plus opaque de la spéculation, des prises de risques...

Aujourd'hui, crise oblige, les remises en question ne manquent pas. Elles vont en profondeur. Ainsi, l'ancien ministre des Finances, Philippe Maystadt, reconnaît la nécessité d'une refondation de la finance, davantage au service de l'intérêt général, ainsi que l'importance d'étendre une approche alternative. En effet, quelques initiatives financières discordantes, développées à petite échelle au cours des trente dernières années, montrent qu'une autre voie est possible.

Depuis la “Banque-Apartheid”

Au départ de ces alternatives, on trouve entre autres le refus de placer des liquidités dans des banques qui effectuaient des opérations bancaires avec des régimes minoritaires blancs d'Afrique australe. Nous sommes dans les années 70. On parle du mouvement “Banque- Apartheid”. Le Conseil œcuménique des églises est à l'origine du mouvement. L'impact des investissements interroge. Plus tard, naissent des initiatives citoyennes d'épargne et de prêt de proximité – des structures comme Crédal (1984) et le Réseau financement alternatif (1987) voient le jour(1); tandis que certaines banques s'adaptent en développant des produits financiers “socialement responsables” (voir encadré ci-dessous).

Etat des lieux

Aujourd'hui, en Europe, il existe 30 à 35 institutions financières éthiques (une seule en Belgique, sous le nom de Triodos). Ensemble, elles recueillent environ 35 milliards d'euros. “Une goutte d'eau dans l'océan bancaire”, fait remarquer le Réseau financement alternatif (RFA) dans un dossier consacré à 25 ans de finance solidaire publié dans sa revue Financité. “Si la qualité des banques éthiques est à souligner, si celles-ci ont mieux résisté à la crise, force est de constater que leur influence reste marginale”, y écrit Antoine Attout, chargé de la formation citoyenne pour le Réseau.

Quant à l'investissement socialement responsable (ISR), il est traduit dans pas moins de 1.089 produits financiers dont 340 fonds de placement et 7 comptes épargne. Mais il ne représente que 3,4% de parts de marché. “Ce n'est pas grand chose, et en même temps la progression est substantielle (une croissance de 9% en 2011). L'intérêt se confirme”, commente Bernard Bayot, directeur du Réseau financement alternatif qui a participé à la création du premier produit bancaire ISR: le compte épargne Cigale de la feue CGER, en 1984. “La Belgique n'a pas à rougir dans ce domaine, poursuit-il, même si dans d'autres pays comme la France, le montant en investissements solidaires est plus élevé, grâce notamment à des avantages fiscaux accordés pour ce type d'investissement”.

Poursuivre la voie du solidaire

Depuis une trentaine d'années, le développement d'une finance qualifiée de “responsable et solidaire” n'est pas négligeable. Pourtant, “elle n'a été d'aucun secours dans la catastrophe”, invite à reconnaître Bernard Bayot. “Ni quantitativement, car de beaucoup trop petite taille pour avoir une quelque influence. Ni qualitativement, car la contagion culturelle que d'aucuns espéraient n'a manifestement pas atteint les quartiers généraux des grandes banques”. Raisons de plus pour ces acteurs, comme le Réseau financement alternatif et ses membres, de poursuivre dans la volonté de “changer la finance”. Développer l'offre fait partie des passages obligés pour cultiver le “bien-avoir” comme l'appelle Fabio Salviato, président de la Fédération européenne des banques éthiques et alternatives. Une nouvelle banque coopérative sous le nom de travail : NewB est en gestation, sous l'impulsion d'une petite cinquantaine d'organisations dont l'organisation syndicale CNE.

Derrière l'investissement socialement responsable

L'investissement socialement responsable (ISR) se définit comme toute forme d’investissement (au travers d'une épargne ou d'un actionnariat) qui intègre d'autres critères qu'uniquement financiers : des préoccupations sociales, éthiques, environnementales. L'évolution quantitative des ISR apparaît plutôt favorable (lire ci-dessus) mais leur qualité est très variable, remarque Bernard Bayot du Réseau financement alternatif.

Si le dernier rapport sur l'ISR en Belgique augmente sa note qualitative moyenne (de 5,8/100 en 2010 à 6,4/100 en 2011), elle reste bien modeste. 73% des produits ont obtenu zéro. Nombre d'ISR cachent-ils de belles promesses de financiers dans le but de se doter d'une image éthiquement responsable auprès des clients? Le Réseau financement alternatif préconise en tout cas la mise en œuvre d'une norme de qualité légale. Une proposition de loi est déposée au Sénat en ce sens. Mais la crise semble avoir mis entre parenthèses les réflexions politiques autour de cette forme de “labellisation” qui permettrait, espère Bernard Bayot, de réserver des avantages fiscaux (stimulants fiscaux) à des produits pour les particuliers respectant ces critères. Et de citer une épargne pension dirigée vers le socialement responsable.

Initiatives à l'échelle du citoyen

De plus en plus de citoyens s'interrogent sur les “dérives” de la finance. Le Réseau financement alternatif le constate très clairement. Si les activités qu'il organisait en soirée voici 7 ou 8 ans regroupaient quelques curieux, aujourd'hui le Réseau est débordé de demandes citoyennes. 

Une trentaine de groupes locaux atteste de ce regain d'intérêt et témoigne de la conviction grandissante que “l'on peut penser le type de finance que l'on pratique”.

Nous avons pratiquement tous un compte à la banque ou quelques économies qui y sont placées mais nous ignorons dans quelles activités la banque place nos économies, constate le Réseau. Les bénéfices qu'elle en tire sont réinjectés dans un système financier qui échappe à la plupart d'entre nous. Il est en effet très difficile de savoir aujourd’hui ce que financent les banques”. Les groupes locaux “Financité” – soutenus par le Réseau – sont formés de personnes que le sujet interpelle et qui décident d'actions communes autour d'au moins un des trois thèmes suivants : “Que faire de mon épargne? Vivre à crédit? Ou utiliser une monnaie locale?

En résulte une grande diversité d'initiatives. Certains qui ont un peu de réserves financières et souhaitent choisir l'usage qui sera fait de cet argent, se rassemblent en groupe d'épargne de proximité. Ils s'auto-organisent à dix, vingt ou trente, gèrent ensemble leur épargne, choisissant les crédits qu'ils octroient(souvent à des projets associatifs). Ils pratiquent une forme d'auto-banque. Pas besoin d'être richissime pour cela. Dans le groupe local Ethique Invest à Bruxelles, c'est 500 euros que ces “investisseurs alternatifs” ont versé chacun pour expérimenter une autre manière d'investir. La vertu est surtout pédagogique, expliquent les protagonistes qui s'attellent ensemble à comprendre les mécanismes de la finance. L'objectif n'est pas la plus-value financière, mais bien la plus-value sociale.

D'autres groupes, comme à Mons ou à Virton, sont avant tout attirés par la “relocalisation”. Pour redimensionner les échanges au niveau local, ils mettent en place un système de monnaie complémentaire ou un SEL (système d'échange local). Les échanges de biens et de services sont mesurés au travers d'une autre unité d’échange que l’euro. Le temps, par exemple.

Et enfin, parce qu'épargner n'est pas qu'une affaire de riche, des groupes de micro-épargne encouragent les personnes à revenus modestes à épargner. Plutôt qu’à consommer à crédit, que de contracter des crédits inadéquats qui mènent beaucoup au surendettement, ces groupes s'attelle à davantage anticiper, à retrouver prise sur leurs finances, à gérer un budget. 

>> Plus d'infos : Réseau financement alternatif : www.financite.be • 02/340.08.60

Pour en savoir plus ...

“Les placements solidaires” • éd. Alternatives économiques, hors série n°45 • sept. 2010 • (guide des placements éthiques et solidaires).

“25 ans de finance. La saga responsable et irresponsable” • Financité, n°27, sept. 2012.

“Crise financière et modèle bancaires” • éd. Réseau financement alternatif, oct. 2012.

>> Voir www.financite.be