Soins de santé

La porte, signature de notre cocon

3 min.
Stéphanie Van Haesebrouck

Stéphanie Van Haesebrouck

"J’aurais choisi cette porte si j’avais pu. Elle me fait penser à l’Angleterre et j’aime beaucoup ce style" nous explique Catherine Arte, résidente de la maison de repos d'Hustin. Au démarrage du projet, chaque aîné d’une aile de la maison de repos d’Hustin a pu choisir sa porte. En réalité, chacun a choisi un stickers de la grandeur de la porte et une fois apposé, il fait totalement illusion. Ces trompe-l'œil gomment le côté impersonnel des portes de chambres de ce type d'institution mais surtout, ils servent de repère spatio-temporel aux 30 seniors souffrant de déclin cognitif. "Cette idée nous vient d’une expérience réalisée dans l’Ohio (USA). Je l’ai découverte sur les réseaux sociaux" raconte Elodie Broman, psychologue référente pour la démence depuis 2012 dans cette maison de repos.

 

Vers plus d'autonomie

Jean Makesh, l'auteur du projet dans l’Ohio, transforme des chambres de maison de soins en petites maisons de quartier pour le bien-être des résidents. La plupart d'entre eux souffrent de la maladie d'Alzheimer. "Par cet artifice, on les rend autonomes dans la recherche de leur chambre. Ils sont moins contraints de solliciter l'aide du personnel" explique la spécialiste en démence. Cette démarche relève de la pédagogie Montessori. Connue pour ses applications auprès d'un public jeune, cette méthode peut tout autant s'appliquer aux seniors.

Ne pas leurrer le résident

En principe, la firme hollandaise True Doors se base sur des photographies pour imprimer des stickers fidèles aux portes que les séniors avaient chez eux. Ici [à la maison de repos d'Hustin], nous avons préféré ne pas leurrer les résidents, précise la psychologue. Derrière la porte de leur chambre, ils ne retrouvent pas leur maison. On a donc souhaité que chaque aîné choisisse un modèle qui lui plaise soit parce qu’il lui rappelle son ancienne porte, soit parce qu’il lui évoque le style architectural d'une destination de vacances ou un autre thème qu'il affectionne… Par ailleurs, certaines personnes n’avaient pas les facultés leur permettant de choisir la photo. On l’a alors choisie pour eux en veillant à obtenir un panel varié de portes pour assurer cette fonction de différenciation et donc de repère spatial" indique Elodie Broman. Seul hic : le coût de ces décalcomanies. "On ne peut malheureusement en remplacer que quatre par an" poursuit la psychologue. L’équipe a aussi couvert certaines portes de reproduction de bûches, de briques ou de plantes, pour les dissimuler et de ce fait, dissuader les résidents de vouloir les ouvrir. Les couloirs ont été baptisés avec des noms de rue (Allée des Cerisiers, Rue de la Mine…), et décoré avec des éléments historiques tels qu'une lampe à pétrole ou un vieux kiosque de cinéma. Des bandes de couleurs discrètes (pour ne pas infantiliser les lieux) ornent la partie inférieure des murs de couloirs… Et "cela fonctionne assez bien. Les résidents évitent les lieux réservés au personnel soignant et ils retrouvent leur chambre plus facilement. Et le tout apporte un peu de chaleur à l'endroit, le rend plus familier."


Ouvrir la porte au dialogue

Proposer aux résidents de choisir le décor de leur porte, c'est initier un dialogue avec eux. Tous n'expliquent pas ou pas directement leur choix mais avec le temps, souvent, les langues se délient. "Un ancien facteur a opté pour cette porte rouge lui rappelant probablement l'univers de la Poste. Une résidente s'est décidée pour une porte aux ornements en s car ceux-ci lui faisaient penser à l'étable où elle travaillait, en Italie, avec son papa" nous confie la psychologue. En somme, ce projet entrouvre une porte sur le jardin secret des aînés et y entrer permet aux professionnels de comprendre certains de leurs faits et gestes.

Un projet à copier

Le projet, soutenu par le CPAS de Charleroi, a été à ce point apprécié qu'il va faire des petits dans d'autres maisons de repos de la région. Cette bonne nouvelle démontre, selon la spécialiste en démence, une amélioration de la prise en charge des ainés.

L'accompagnement des seniors en maison de repos évolue positivement poursuit Elodie Bramon : "L'accent est mis sur le respect de la personne âgée quelles que soient ses capacités. On considère également plus attentivement le lieu de vie des résidents et on leur offre une approche plus personnalisée. Par le passé, si un senior ne mangeait pas ce qui était proposé, on finissait par lui mettre une sonde. Aujourd'hui, s'il souhaite manger des tartines à la confiture trois fois par jour, on le laisse faire. On limite également la contention des aînés. Même si l'objectif premier était de veiller à leur sécurité, il s'agit de mettre dans la balance la sécurité et le confort de vie." Les professionnels se rejoignent sur ce point. Les normes mènent parfois à des situations saugrenues : "on ne peut pas utiliser les œufs d'un poulailler. On doit vêtir tout participant d'un atelier de cuisine d'une toque et d'un tablier. Mais si l'on cuisine avec des personnes souffrant de déclin cognitif, lorsqu'on enfile le tablier au 10e participant, le premier a déjà tout retiré. On doit éviter qu'une personne âgée se serve d'une bouilloire pour le risque de brûlure qu'un tel acte comporte alors qu'à domicile, un senior peut tout aussi bien se brûler et qu'il ne s'agit pas là d'un risque important pour sa sécurité". Voici quelques-unes des inepties confiées par le personnel soignant. Certes, le secteur évolue mais évolue-t-il suffisamment vite pour que l'on puisse s'endormir serein en sachant un proche en maison de repos ?