Vivre ensemble

Migrants : un logement pour s’intégrer

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Une fois le statut de réfugié obtenu, les demandeurs d'asile ont deux mois pour trouver un logement.<br />
© Karen Nachtergaele
Une fois le statut de réfugié obtenu, les demandeurs d'asile ont deux mois pour trouver un logement.
© Karen Nachtergaele
Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Face à Fariza : un homme et une femme d'une quarantaine d'années, leur plus jeune fille sur les genoux. Ils parlent arabe, échangent des documents, s'écoutent mutuellement. L'entretien d'une quinzaine de minutes se conclut par des hochements de têtes et autres signes de gratitude.

"Ce couple d'Irakiens et leurs quatre enfants sont hébergés par la commune de Koekelberg dans une initiative locale d'accueil (ILA) qu'ils devraient déjà avoir quittée, explique Fariza, employée du service Logement de l'ASBL Convivial. Trouver un logement à un prix modéré n'est pas facile. Mais ils ont un peu de chance, se réjouit-elle. Un ami quitte un appartement qui leur convient." Il y a quelques minutes, elle les rassurait sur un point : oui, l'ASBL Convivial négociera avec la commune de Koekelberg pour qu'ils aient un toit jusqu'au déménagement.

Dans le même bureau, Félicitée épluche les petites annonces pour dégotter des biens mis en location. Une centaine d'appels aboutit à environ trois rendez-vous. Convaincre des propriétaires de louer leur bien à des personnes émargeant à l'aide sociale relève d'un défi quotidien et requiert une motivation éprouvée. "Ce qu'on nous répond est parfois difficile à encaisser, partage Fariza. Mais on a toujours l'espoir qu’un propriétaire soit enthousiaste à l'idée de participer à notre projet." "Certains mettent des exclusives, ajoute sa collègue. 'Pas d'Arabes' ou 'pas d'Africains'. Nous sommes confrontés à des attitudes qui vont à l’encontre de nos valeurs."

Ajoutées aux discriminations, deux difficultés supplémentaires se présentent à ce service : la concurrence des agences immobilières et l'évolution des prix du marché locatif. Au regard de l'aide accordée par le CPAS, les loyers doivent rester raisonnables : 550 euros pour un studio, 650 pour un petit appartement, 800 pour un "deux chambres"… Un fameux challenge que les employés de l'ASBL relèvent toutefois du mieux qu'ils peuvent. En 2015, 154 logements furent dénichés pour… 625 demandes.

Pris par la main

"Notre priorité numéro un est de trouver un logement pour ceux qui sont sur le point de quitter les centres d'accueil, explique Ummée Shah, responsable du service Logement de Convivial. Les personnes que nous aidons arrivent stressées, vulnérables, avec tout ce qu'elles portent de l'exil. On leur explique ce qu'est la location, les prix… On les prévient sur les discriminations qu'elles auront peut-être à endurer."

Les bénéficiaires sont soutenus de A à Z : recherche d'un logement, signature du bail, formation sur les droits et devoirs des locataires et des propriétaires, enregistrement à la commune et au CPAS, avance – si nécessaire – du premier loyer par l'association… Pris par la main, ils doivent cependant être proactifs et participer à la recherche de logements vacants.

L'aide matérielle s'arrête aux portes extérieures du centre d'accueil.

L'aide conditionnée au logement

Lorsqu'il arrive en Belgique, le demandeur d'asile est logé dans un centre d'accueil de Fedasil, celui d'un partenaire (Croix-Rouge…) ou au sein d'une initiative locale d'accueil (ILA) implémentée dans les communes. Là, il y reçoit une aide matérielle. La procédure administrative se conclut – ou non – sur l'obtention d'un statut de réfugié, d'une protection subsidiaire (valable un an, renouvelable) ou d'une régularisation.

Reconnaissance en poche, il a deux mois pour trouver son futur logement. Avec la barrière de la langue, la méconnaissance des us et coutumes belges et les blessures qu'il porte, c'est un parcours du combattant.

L'aide matérielle de Fedasil s'arrête aux portes de ces structures d'accueil. Donc, une fois dehors, pour obtenir de l'aide sociale, le réfugié devra s'adresser au CPAS. Et seulement lorsqu'il aura été enregistré comme habitant sur le territoire de la commune. Là commence une période critique allant jusqu'à 30 jours, soit le temps nécessaire à la conduite de l'enquête sociale. Un mois en mode "survie".

Recherche propriétaire solidaire

"Nous cherchons des propriétaires solidaires qui peuvent attendre un peu avant de percevoir le premier loyer, indique Julie Vanstallen de Caritas international. Ils sont difficiles à convaincre mais certains sont très motivés."

Fréquemment, les personnes souhaitent s'installer en ville, là où des liens peuvent facilement être tissés avec des compatriotes. "Mais on remarque que la solidarité s'exprime parfois plus facilement dans les villages. Des voisins se mobilisent pour les aider à se meubler, pour inscrire les enfants dans un club de sport, à l'école…"

L'ONG organise des housing cafés à Anvers, Liège et Bruxelles. Les bénéficiaires y apprennent les modalités de recherche d'une habitation, les règles en matière de logement… Ces ateliers participatifs mêlent mises en situation, analyses d'offres, recherches sur Internet… Puis les experts "intégration" de Caritas accompagnent les réfugiés chez le propriétaire, à la commune, à l'école des enfants, au CPAS…

"Une affaire privée"

Les CPAS sont-ils tenus de trouver un logement aux réfugiés ? Seulement si des initiatives locales d'accueil sont organisées sur le territoire de leur commune. Toutefois, cette tâche s'ajoute à un accompagnement social déjà conséquent (constitution du dossier pour la reconnaissance, contacts avec les avocats…) jusqu'à l'obtention du statut de réfugié. Certains CPAS proposent des tables de logement. D'autres mettent le service logement de l'administration communale sur le coup. Lorsqu'il existe. En revanche, rien n'est prévu pour ceux qui n'ont pas de lien avec la commune dans laquelle ils souhaitent vivre.

"Si un réfugié veut trouver un logement à Liège, c'est une affaire privée, clarifie Geoffrey François, attaché de cabinet au CPAS de Liège. De plus, si nous nous engagions à chercher des logements, ça constituerait un appel d'air que nous ne pourrions assumer."

Reste qu'une certaine souplesse est de mise afin de traverser la période difficile de l'enquête sociale : "Lorsqu'un réfugié est en contact avec un propriétaire, nous libérons anticipativement 25% (50% pour une famille) de la prime d'installation à laquelle il peut prétendre. Nous ne pouvons pas faire beaucoup plus car cette mesure est financée par nos fonds propres… Pour le reste, on les oriente vers les Restos du cœur ou des opérateurs associatifs".

Une vision optimiste des réfugiés et des migrants

Le 28 avril, de nombreuses associations, syndicats et mutualités (dont la MC) distribuaient Le Bienvenu, un "journal populaire de solidarité" qui entend démonter les préjugés et les mensonges liés à l'accueil des réfugiés.

Un des objectifs est de rappeler le rôle déterminant de la presse dans la construction de l'image des réfugiés auprès du public. Huit pages à lire et à partager !


Engagés et responsables

Les associations n'ont pas le monopole de la solidarité. Ainsi par exemple, à Liège, en réaction "à ce que déversent les médias et vu l'ampleur de la situation des demandeurs d'asile", Nadine Lino, une "simple" citoyenne, a réussi à mobiliser une centaine de volontaires et près de 3.000 personnes ressources pour porter les deux principaux projets de Live in colors.

Le premier consiste à animer les centres d'accueil de la région : école de devoirs, récréations éducatives, apprentissage du français…

Le second invite au parrainage d'un réfugié ou d'une famille en vue de favoriser son autonomie et son intégration. Là encore, il s'agit d'un soutien dans la recherche d'un logement et lors de démarches administratives.

"Les bénéficiaires sont surpris de voir des citoyens se mobiliser gratuitement, et un lien fort se créé entre eux", raconte Nadine Lino. Se substitue-t-elle aux devoirs de l'État ? "Nous avons tous une responsabilité. Le citoyen dispose d'un espace de liberté pour agir sur la société."


Du Fédéral aux Régions

Beaucoup d'acteurs sont d'avis qu'une "soudure" doit être structurée entre, d'un côté, l'aide matérielle fournie par l'État fédéral (Fedasil), et de l'autre, l'aide sociale des Régions (CPAS).

Deux pistes se dessinent. La première : allonger le temps d'accueil pour permettre la recherche d'un logement dans de bonnes conditions. La seconde : autoriser les réfugiés à entamer une demande d'aide sociale lorsqu'ils sont encore hébergés dans les centres.

"Le 'hic', prévient l'un des défenseurs de cette réforme, c'est que les petites communes sur lesquelles sont implantés des grands centres d'accueil pour réfugiés seront vite submergées de demandes. Celles-là devront être aidées par le Fédéral."

Dans le contexte actuel, il est difficile de croire que leurs revendications puissent être entendues. En effet, il semble qu'il y ait confusion des rôles lorsque le gouvernement fédéral confie aux Régions la responsabilité de reloger les réfugiés.

"Qui est financé pour faire quoi ?, s'interroge Malou Gay, directrice du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). Théo Francken, secrétaire d'État à l'Asile et aux Migrations, veut que les Syriens, qui auront pour la plupart un statut de réfugié, soient hébergés dans des initiatives locales d'accueil pour qu'ils trouvent plus facilement un logement. C'est finement joué ! Il confie ainsi aux communes un rôle qui doit être assumé par le Fédéral !"

Qui fait quoi ? Le problème se trouve là. Un arrêté royal doit clarifier les devoirs de chacun. Il devait être signé depuis… 2007.

Il faut pourtant atterrir ! 60% des demandes d'asile débouchent sur une décision positive car la majorité des demandeurs sont issus de pays jugés "à risque" (Syrie, Afghanistan, Irak…). "15.000 personnes sortiront très prochainement des structures, estime Caritas. Certaines sont déjà à la rue."

Pour en savoir plus ...

Vous souhaitez vous inscrire dans une démarche solidaire ?

L'ASBL Convivial et Caritas international sont toujours à la recherche de volontaires et de logements :