Logement

"Viens chez moi, j'habite dans un tipi"

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© Xavier Pique
© Xavier Pique
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Simone habite dans un chalet terre/paille de 20 mètres carrés. Elle s'y sent bien et caresse de plus en plus l'idée d'y finir ses jours. Violaine, de près de trente ans sa cadette, occupe une cabane d'inspiration bioclimatique qu'elle a construite elle-même, en deux semaines, aidée d'une bande d'amis. Coût : 10.000 euros. Gaspar vit dans une roulotte foraine (une vraie!) qu'il hâle depuis 35 ans au gré de ses spectacles itinérants. Maryline, elle, occupe une maisonnette parmi les roulottes du quartier de la Baraque, à Louvain-la-Neuve.

Inutile de chercher à localiser ou identifier tous ces habitants d'un nouveau type. Qu'ils occupent une roulotte ou une yourte, une cabane ou une ancienne serre, une caravane ou un "dôme", beaucoup préfèrent garder une certaine discrétion. Leur point commun : occuper un habitat "léger". Comprenez : un logis dont l'emprise au sol est réduite, facilement transportable ou démontable, voire évolutif. Poids léger garanti. De même que l'empreinte écologique minimisée. Les poubelles organiques sont compostées. L'eau de pluie se récupère et se stocke. Les besoins naturels se gèrent tantôt via des toilettes sèches, tantôt via des arrangements pris avec le voisin installé "en dur", parfois propriétaire du terrain. Quant au chauffage et à l'électricité, c'est fou ce qu'on peut arriver à faire avec de simples panneaux solaires, des bûches et... des exigences de confort réduites. Sans oublier la débrouillardise et, plus ou moins grande selon les cas, une farouche volonté d'indépendance.

Un engouement évident

© Anaïs Angeras

De gentils bohèmes ? De doux rêveurs ? Oui, sans doute, pour une petite partie d'entre eux. Gare aux clichés, pourtant ! Si certains n'ont initialement pas choisi cette vie, ils peuvent y avoir trouvé du plaisir au bout d'un certain temps grâce à une proximité plus grande avec la nature. Au point de ne plus vouloir quitter cette façon de vivre. Le souci économique est évidemment le point commun de tous ces profils. "En deux décennies, les prix de l'immobilier ont quasiment doublé, commente-t-on au Réseau brabançon pour le droit au logement (RBDL)(1)Beaucoup de jeunes, particulièrement, refusent de s'appauvrir, de se mettre la corde au cou pour 20, voire 30 ans de crédit hypothécaire, d'investir dans des déplacements chronophages". Certains y voient aussi une manière de "coller" au plus près à leur activité professionnelle, ne fût-ce qu'une partie de l'année : agriculteurs, maraîchers, artisans...

D'autres - ou les mêmes - apprécient le lien social qui se crée autour de ce genre de cahutes qui, très souvent, s'érigent en auto-construction avec l'aide de proches et amis. Sans parler des compétences multiples qui s'y acquièrent.

Bref, un choix "culturel" au sens large qui, peu ou prou, pourrait s'assimiler à un "nouvel art d'habiter", selon l'expression de Vincent Wattiez, animateur "logement" au Centre culturel du Brabant wallon. À l'entendre, un véritable basculement est en cours : "La résonance de l'habitat léger sur les réseaux sociaux est énorme. Quand j'écris un article sur le logement public, j'ai traditionnellement une cinquantaine de réactions. Sur l'habitat léger, j'en compte 6.000 à 7.000. Inouï !" Et de souligner que ces marques d'intérêt dépassent nettement les frontières du Brabant. Pas étonnant : il faudra loger 201.000 nouveaux ménages en Wallonie d'ici à 2026.

Pas vraiment bienvenus

Mais voilà... Tout ce beau monde en a gros sur la patate. Et s'inquiète pour son avenir. Les bourgmestres et les services d'urbanisme, en effet, ne voient généralement pas d'un bon œil l'arrivée de ces habita(n)ts peu conventionnels. Officiellement, le problème réside dans l'absence de toute référence à l'habitat léger (HL) en tant que logement dans les textes réglementaires(2). Autre souci de taille : la difficulté ou l'impossibilité de (faire) respecter les normes en matière d'hygiène, salubrité, sécurité, etc. Le résultat est là : pas de définition légale de l'HL dans les textes légaux ? Pas de permis de bâtir accordé ! De même : pas d'ouverture de "chantier" au sens classique du terme ? Pas possible, alors, pour le demandeur, de souscrire aux assurances légales.

Ce ne sont là que quelques exemples de bâtons glissés dans les roues de ces (candidats) habitants, soucieux de s'installer ou de régulariser leur situation. Parfois, les communes refusent tout simplement l'inscription au registre communal, rendant impossible l'ouverture des droits sociaux. Gare au chômeur surpris à donner un coup de main à un ami sur un de ces chantiers d'auto-construction : illégal ! Quant aux services d'urbanisme, ils peuvent se montrer intraitables pour mille bonnes ou moins bonnes raisons : distance minimale entre les murs non respectée, hauteur des murs non réglementaire, absence de toilettes conventionnelles, etc.

Insécurité permanente

Derrière ce paravent institutionnel se profilent d'autres enjeux. Craignant des conflits juridiques ou des tensions de type Nimby dans leur commune (Not in my back-yard, Pas dans mon jardin), beaucoup d'édiles locaux découragent les installations jugées trop proches des beaux quartiers. "La culture de l'habitat, chez nous, valorise encore trop largement le logis traditionnel, solide et permanent. La belle maison, quoi... commente Thierry Toussaint, expert logement au MOC Brabant wallon. Le reste n'est pas électoralement porteur". Il se chuchote, d'ailleurs, que le gouvernement wallon est en tiraillement autour de ces questions. Y compris au sein de chaque parti de la coalition. Favoriser ce type de logements légers revient, certes, à répondre à une demande de logements qui ne fera que croître, particulièrement chez les jeunes ménages. Mais cela ne revient-il pas aussi à reconnaître implicitement une forme d'impuissance - qui ne date pas d'hier - à réguler les lois du marché immobilier ? Celles-là même qui rendent si lente et difficile la construction de logements sociaux et à prix modéré ?

Certes, des communes moins regardantes accordent au compte-gouttes les autorisations nécessaires ou préfèrent fermer les yeux sur les libertés prises avec les règles. Mais l'épée de Damoclès pour l'habitant n'est jamais loin : quand le bourgmestre - communal - se fait conciliant envers lui, c'est le fonctionnaire délégué - régional - qui peut à tout moment compromettre l'avenir du logement. Au final, l'insécurité persiste. Par ailleurs, personne n'est dupe. Si, demain, les revendications du RBDL sont entendues, il faudra quand même répondre à une question de fond. Comment concilier l'habitat léger - nécessairement hétéroclite, varié, inventif - avec les politiques actuelles de densification de l'habitat, de mixité sociale, de normes "basse énergie" ?

Bref, toutes sortes d'inflexions inspirées par le souci de l'environnement et du développement durable que, précisément, plus d'un "habitant léger" entend appliquer dans son écrin de verdure personnel. "La norme est l'instrument du faible, estime Nicolas Bernard, philosophe et juriste spécialisé dans le logement à l'Université Saint-Louis (Bruxelles). Elle le protège par une sorte de nivellement par le haut. Mais elle devient problématique lorsqu'elle punit la débrouillardise de ceux qu'elle n'est pas capable d'aider."

Faciliter l'habitat léger en Wallonie

Voici quelques pistes et revendications, parmi d'autres, collectées lors d'une récente matinée d'étude organisée par le Réseau brabançon pour le droit au logement(1) :

  • Moratoire sur les expulsions et les démontages d'habitats légers.

  • Création de zone territoriales spécifiquement destinées à l'habitat léger voulu, protégées de toute spéculation et de toute utilisation locative.

  • A l'intérieur de ces zones : permis d'urbanisme allégés, expérimentations architecturales autorisées, facilitation d'utilisation de matériaux sains et/ou de récupération, intégration de l'"énergie grise" dans les normes énergétiques.

  • Réalisation d'expériences pilotes au sein de "capsules d'habitat", dans un souci de mixité avec l'habitat traditionnel (pas de "réserves d'Indiens", ni de "cabanisme" sauvage) et, éventuellement, avec l'habitat permanent (caravanes résidentielles).

  • Soutien au partenariat entre les initiatives d'auto-construction et l'économie sociale.