Economie

Deux pas de géant pour le Sud

4 min.
© EPA FILES BELGAIMAGE
© EPA FILES BELGAIMAGE
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Coup sur coup, en moins de dix jours, deux excellentes nouvelles sont tombées en matière de santé. Passées quasiment inaperçues dans la torpeur estivale, elles signifient pourtant que des millions de vies, notamment celles d'enfants en bas âge, vont très probablement pouvoir être épargnées dans les années qui viennent.

La première : l'Agence européenne du médicament (AEM) a approuvé le vaccin Mosquirix contre la malaria, ce qui constitue une étape décisive vers son utilisation à vaste échelle au bénéfice des populations des zones intertropicales. La deuxième : le virus Ebola, qui a alarmé la communauté internationale pendant l'année écoulée, semble avoir trouvé son maître : le vaccin VSV-Zebov. Avec une rapidité exceptionnelle, celui-ci a été testé avec succès en Guinée après les 11.200 décès déplorés en Afrique de l'Ouest et jusqu'en... Espagne et aux États-Unis, lors du retour au pays des équipes médicales impliquées.

 

Dr Emmanuel Bottieau

Pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de ces deux informations, nous avons interrogé le docteur Emmanuel Bottieau, Chef de l'Unité Maladies tropicales de l'Institut de Médecine tropicale (Anvers).

En Marche : L'approbation du vaccin anti-malaria par l'Agence européenne du médicament : un effet d'annonce après tant d'autres autour d'un vaccin qu'on attend depuis des décennies ?

Emmanuel Bottieau : Certainement pas. Il s'agit au contraire d'une avancée majeure. Fin de cette année 2015, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) donnera très probablement son feu vert pour l'utilisation du Mosquirix à large échelle. C'est la première fois qu'un vaccin est mis au point contre un parasite et non contre un virus ou une bactérie. Dans le cas de la malaria, ce parasite est particulièrement délicat puisqu'il change sans cesse son apparence, modifiant la nature des antigènes produits. L'intérêt majeur du vaccin évoqué, c'est que même si son efficacité n'est pas très élevée au niveau de l'individu – la vaccination des touristes, par exemple, n'est pas à l'ordre du jour –, il va s'avérer très efficace en termes de santé publique. La malaria frappe en effet, chaque année, à peu près 200 à 250 millions de personnes et entraîne le décès d'à peu près 1 million d'entre elles, principalement de jeunes enfants en Afrique. Même avec une efficacité de 50%, le nombre de malades et de décès évités restera considérable.

EM : Ce vaccin n'est donc pas si efficace….?

EB : La plupart des vaccins protègent à raison d'environ 90 à 95%. Dans ce cas-ci, après que les études conduites par la firme (GSK) aient été analysées par différente agences nationales (dont la Belgique) à la demande de l'AEM, on estime que le vaccin réduit la morbidité, et vraisemblablement la mortalité, de 50%. C'est peu. Chez les jeunes enfants (de 0 à 3 mois), la première injection ne protège qu'à raison de 25 à 30%. Il faudra donc prévoir plusieurs injections, ce qui est lourd en termes d'infrastructures et de mobilisation du personnel de santé. En outre, il ne s'intégrera pas facilement dans les programmes habituels de multi-vaccination. Pour éviter les formes les plus sévères de la maladie jusqu'à l'âge de cinq ans, il faudra prévoir des rappels. Là aussi, c'est lourd. Mais la balance bénéfices / inconvénients restera très probablement positive aux yeux de l'OMS, dont on peut raisonnablement attendre le feu vert.

EM : Bientôt la fin des moustiquaires imprégnées d'insecticides pour lutter contre la malaria ?

EB : Certainement pas ! Il faut considérer ce vaccin comme une arme supplémentaire dans une stratégie mondiale de lutte qui a déjà livré des résultats très encourageants. En dix ans, on est passé d'environ 500 millions de malades par an à environ 200 à 250 millions grâce à cette stratégie de prévention. Celle-ci inclut aussi l'amélioration des tests de dépistage, devenus plus rapides, et des traitements médicamenteux. Aucun de ces efforts dans la lutte anti-malaria ne doit être relâché. Par ailleurs, la firme qui a mis au point le vaccin travaille d'ores et déjà sur un produit de deuxième, voire de troisième génération. Même si cela mettra encore du temps, on peut raisonnablement s'attendre à disposer d'un vaccin plus efficace à long terme.

EM : Comment expliquer que le vaccin contre la maladie d'Ebola, le VSV-Zebov, a été mis au point si rapidement : un an, là où on compte en moyenne une dizaine d'années ?

EB : Il y a plusieurs réponses. D'abord, la peur! Il a suffi que du personnel de santé ayant travaillé en Guinée ou au Liberia importe la maladie aux États-Unis ou en Espagne pour que les responsables politiques des pays occidentaux décrètent la libération de fonds très conséquents.

Ensuite, il existait déjà un vaccin prototype, mis au point par une firme canadienne. En une année à peine, son évaluation a été réalisée avec succès là où cela prend généralement deux à trois ans. Il faut dire qu'on a utilisé une méthode ingénieuse, la vaccination "en anneaux" : dès qu'un individu est contaminé, on vaccine ses proches et ses voisins, jusqu'à 100 ou 150 personnes. Le résultat ne s'est pas fait attendre : testé en Guinée sur 6.000 individus, le VSV s'est avéré efficace à 100%, ce qui est inespéré pour un virus aussi virulent, capable de tuer plus d'une personne malade sur deux en quelques jours.

Troisième élément : l'OMS était critiquée pour son indolence par certaines ONG qui, elles, s'épuisaient sur le terrain à contenir l'épidémie. Sur fond d'émoi médiatique, tout ce terreau était fertile pour que les bouchées doubles soient mises.

EM : Ces deux avancées battent-elles en brèche le constat fréquent selon lequel "on n'a pas d'argent pour les pays pauvres" ou "L'Afrique indiffère la communauté mondiale" ?

EB : On n'en est plus tout à fait là. Le contexte a changé à plusieurs niveaux. Le succès des trithérapies contre le virus VIH (Sida) a accéléré le mouvement de synergie entre les acteurs étatiques et les organisations philanthropiques privées. Malgré leur know how, les firmes seules n'y seraient pas arrivées. Le concours de fonds privés, comme celui de la Fondation Bill Gates, est nécessaire. Ce genre de partenariat permet de débloquer des sommes considérables au profit de la lutte contre des maladies – il est vrai – autrefois négligées. Par ailleurs, les multinationales pharmaceutiques occidentales, sous la pression concurrentielle des fir mes indiennes ou brésiliennes, sont capables de fabriquer des produits de qualité à moindre prix. L'enjeu est également celui de l'image sociétale. GSK a fait savoir que le vaccin contre la malaria se vendrait au prix coûtant, soit 1 à 3 euros. Cela reste cher par rapport à d'autres vaccins, mais peut-on demander plus à des entreprises qui ne sont pas philanthropiques ?